Le sujet des centrales thermiques au gaz dites « Hydrogen-ready » (prêtes à brûler de l’hydrogène) a bien occupé nos colonnes ces dernières années. Et c’est pour une bonne raison : en apparence, elles s’articulent particulièrement bien dans le cadre de la transition énergétique d’un mix électrique dominé par le gaz naturel fossile. C’est une approche toutefois très critiquée, et une nouvelle étude enfonce le clou : elle met en doute leur faisabilité à grande échelle, et renforce ainsi les soupçons que ce label ne soit au fond que du greenwashing.

Nous savons que l’intégration dans le réseau électrique d’énergies renouvelables intermittentes nécessite de prévoir également des capacités de fourniture d’électricité pilotables, lesquelles assurent la relève de la production lorsque les conditions le nécessitent par exemple en cas de manque de vent ou de soleil. Pour ce faire, une stratégie consiste à prévoir dans le mix électrique des centrales thermiques au gaz, et c’est en pratique la solution aujourd’hui la plus accessible techniquement et économiquement. Problème : elles consomment du gaz naturel fossile, lequel doit être importé, et lequel sera à l’origine d’émissions massives de dioxyde de carbone.

Dans ce contexte, le principe des centrales thermiques « Hydrogen-ready » est élégant : elles sont conçues pour fonctionner avec du gaz naturel ou avec de l’hydrogène. Ainsi, elles peuvent être construites rapidement pour être disponibles à courte échéance pour assurer les besoins actuels de stabilisation du réseau face au déploiement rapide des énergies renouvelables, tout en étant progressivement convertibles à l’hydrogène lorsque ce dernier sera disponible massivement, à plus longue échéance.

C’est cette stratégie dans laquelle s’est engouffrée par exemple l’Allemagne, qui envisage la construction de centrales « Hydrogen-ready », pour une puissance très importante, de l’ordre de 17 à 21 GW. Mais ce programme a été particulièrement critiqué outre-Rhin, voire pas loin d’être mis à l’arrêt. Et pour de bonnes raisons. Et début août, l’Institute for energy economics and financial analysis (IEEFA) publie un rapport venant enfoncer le clou. Voyons voir de quoi il retourne.

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L’hydrogène ne remplacera pas le gaz à une échéance connue

Le rapport de l’IEEFA est centré sur le marché étasunien, mais ses conclusions restent applicables au marché des pays européen, voire de façon plus globale. Tout d’abord, l’institut note qu’il n’existe pas de capacité de production de l’hydrogène à hauteur des besoins d’un parc de centrales thermiques « Hydrogen-ready ». En effet, les États-Unis produisent environ 10 millions de tonnes d’hydrogène par an, et la totalité de cet hydrogène trouve déjà une application : l’industrie pétrochimique et la fabrication d’engrais. D’après l’IEEFA, la production actuelle d’hydrogène ne permettrait d’alimenter que les 15 plus grandes centrales au gaz étasuniennes, et ne se substituerait qu’à 10 % de la consommation de gaz pour la production électrique.

Par ailleurs, l’institut pointe l’absence d’infrastructures de transport et de stockage de l’hydrogène. Le transport entre les lieux de production et de consommation de l’hydrogène nécessiterait en effet la construction de milliers de kilomètres de nouveaux gazoducs. Quant au stockage, il n’existe aujourd’hui aucune installation à la hauteur des moyens actuels dédiés au gaz, en termes de capacité et de sécurité. Le stockage du gaz naturel est aujourd’hui réalisé au sein d’un large réseau d’anciens gisements de pétrole et de gaz épuisés, dans lesquels la faisabilité du stockage sûr de l’hydrogène n’a pas été démontrée.

L’intérêt de l’hydrogène remis en question

L’IEEFA relève également que les centrales « hydrogen-ready » n’ont un avantage en termes d’émission de CO2 que pour d’importantes concentrations d’hydrogène dans le méthane. Autrement dit, pour les faibles concentrations d’hydrogène dans le mélange utilisé par les centrales, les réductions des émissions sont proportionnellement plus faibles que la quantité de gaz substitué. Les auteurs du rapport estiment ainsi que pour les faibles concentrations d’hydrogène, le coût des infrastructures supplémentaires est démesurément grand vis-à-vis des bénéfices environnementaux attendus.

Par ailleurs, l’utilisation de l’hydrogène n’est pas parfaitement neutre pour l’environnement. Sa combustion implique la production d’oxydes d’azote (les fameux NOx), dont les émissions doivent être rigoureusement contrôlées pour limiter la pollution de l’air. De plus, l’hydrogène est lui-même un gaz à effet de serre, environ 12 fois plus puissant que le CO2 ; ses fuites contribueront donc au réchauffement climatique, en moindre mesure toutefois que le méthane lui-même, qui est un contributeur 28 fois plus puissant que le CO2.

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« Hydrogen-ready » un label greenwashing ?

Le concept de centrales « Hydrogen-ready » a très tôt été accusé de n’être qu’une manière détournée de permettre la construction de centrales au gaz fossiles. Pour illustrer ce point, L’IEEFA cite notamment le cas des projets de l’électricien Duke Energy, qui envisage 2,26 GW de centrales au gaz « Hydrogen-ready ». La conversion à l’hydrogène de ces centrales est prévue pour 2035, et encore, avec un mélange à très faible teneur en hydrogène (1 % d’hydrogène / 99 % de méthane). Si la conversion à l’hydrogène des centrales au gaz est en pratique repoussée très loin à l’avenir, les centrales continueront à consommer du gaz fossile importé, et à produire des émissions de CO2, ce qui, en effet, ne ressemble en rien à une « transition énergétique ».

Pour limiter ces risques, l’institut établit une liste de recommandations. Pour l’essentiel, ces dernières établissent que les électriciens devraient indiquer les surcoûts totaux induits par la conversion des centrales à l’hydrogène (coûts de conversion, de fourniture et d’infrastructure) ainsi que les stratégies concrètes d’approvisionnement en hydrogène. Il serait pour le moins contre-productif, en effet, que cet hydrogène soit produit à partir de sources carbonées.