Alors que les projets de nouveau nucléaire fleurissent de par le monde, en réaction aux enjeux environnementaux et de souveraineté énergétique, ces projets ne sont pas sans conséquence pour la filière d’approvisionnement en combustible – surtout lorsqu’ils sont innovants. Et cela peut devenir un enjeu majeur du calendrier de déploiement de ces réacteurs. Voyons pourquoi.
C’est à une véritable effervescence que nous assistons dans le secteur nucléaire, et notamment dans celui des concepts de petits réacteurs modulaires (SMR, pour Small Modular Reactor). De par le monde, ce sont des dizaines de concepts qui sont apparus, et qui se sont lancés à la conquête de ce marché. Ils se basent sur une grande variété de technologies, mais un grand nombre d’entre eux partagent un point commun : ils ont besoin de combustible plus enrichi en uranium fissile (uranium-235) que les réacteurs actuels.
Dans les réacteurs à eau pressurisée (REP, ou en anglais PWR, pour Pressurized Water Reactor) du parc actuel, le combustible est enrichi à une valeur comprise entre 3 % et 5 %. Cette valeur d’enrichissement est considérée comme faible, justifiant ainsi le nom donné à ce type de combustible, à savoir le LEU (Low-Enriched Uranium).
À lire aussiVoici le premier kilogramme d’uranium extrait de l’eau de merMais regardons maintenant certains concepts de SMR, et en particulier ceux basés sur des technologies plus en rupture, souvent appelés (AMR, pour Advanced Modular Reactor). Dans le réacteur à haute température caloporteur gaz (HTR-G) Jimmy de 20 MWth, le combustible se présente sous la forme de petites particules sphériques appelées « TRISO ». Il est envisagé que l’uranium y soit enrichi entre 10 et 19 %.
Il en est de même pour le réacteur KHP-FHR de Kairos Power de 150 MWe, qui utilise également du combustible sphérique, refroidi en l’occurrence un caloporteur à sel fondu ; pour ce concept, le taux d’enrichissement est porté à 19,75 %. Pour le réacteur rapide à caloporteur sodium (SFR, Sodium Fast Reactor) Natrium de TerraPower de 350 MWe, l’enrichissement sera compris entre 5 et 20 %.
Nous le voyons, de nombreux concepts misent sur un uranium plus enrichi, et c’est pour de bonnes raisons. Ce dernier permet notamment de réduire la taille du cœur et de prolonger les cycles d’exploitation entre deux rechargements du combustible. Deux paramètres qui se placent au cœur du concept même de SMR.
À lire aussiLes factures d’électricité vont-elles exploser comme le cours de l’uranium ?Cette gamme d’enrichissement, entre 5 et 19 %, est appelée HALEU (High-Assay Low-Enriched Uranium). Elle est plus plus élevée que le combustible des réacteurs actuels (LEU), mais reste inférieure au domaine des combustibles hautement enrichis (HEU, Highly Enriched Uranium), supérieurs à 20 % et pouvant dépasser 90 % ; cette dernière gamme est réservée aux réacteurs de recherche ou aux applications militaires (propulsion ou armement). Ces gammes (LEU et HEU) ont été définies en premier lieu par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) dans le cadre de la négociation du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) ; on imagine toute l’importance qu’ont ces seuils du point de vue de la politique internationale.
Or le combustible HALEU est une gamme pour laquelle les capacités industrielles d’enrichissement sont limitées. Conduisant la filière à redouter une pénurie de ce type de combustible, au regard de la multiplicité des projets lancés de par le monde. Dans son bulletin du 23 septembre 2023, l’AIEA a ainsi écrit : « De nombreux réacteurs avancés, y compris les SMR, nécessiteront du combustible HALEU, dont la teneur varie de 5 à 20 % U-235 [et] le déploiement de certains concepts de SMR pourraient être retardé de plusieurs années à cause du manque de HALEU. ». Il s’avère en outre que la Russie est aujourd’hui un des principaux fournisseurs d’HALEU, et la situation géopolitique n’est donc pas sans affecter les possibilités d’approvisionnement.
À lire aussiComment la France va faire exploser sa capacité d’enrichissement d’uraniumPour accompagner ces développements, les États-Unis, par l’intermédiaire du Department of Energy (DOE), ont donc lancé, en 2020, le HALEU Availability Program, dédié à la fourniture du HALEU aux nombreux projets en cours de développement. Le DOE a annoncé le 9 avril 2025 être en mesure de tenir ses engagements. En Europe, ce sont Orano et Framatome qui sont appelés à prendre la tête de la fourniture d’HALEU, pour les besoins européens, mais également au titre du développement des projets étasuniens. Pour ce faire, il est envisagé de dédier une partie de la capacité d’enrichissement de George Besse 2 à la production d’HALEU, ainsi qu’en adaptant les sites de fabrication du combustible à ces nouvelles teneurs en uranium fissile ; la production commerciale est prévue pour 2030.
Dans le nucléaire, comme dans tout autre domaine, il importe de ne pas mettre la charrue avant les bœufs. Ou tout du moins de s’assurer que tout converge pour un démarrage avec le moins de heurts possibles de cette multiplicité de nouveaux projets. Il semble que tout cela soit bel et bien en route.
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