Pour économiser de l’énergie à grande échelle, éteindre les appareils en veille et couvrir ses casseroles ne suffit pas. Un gisement de sobriété plutôt méconnu du grand public existe : les transformateurs. En optant pour des modèles à très faibles pertes, il serait possible de réduire massivement la consommation d’électricité.

Ils sont partout : dans les appareils du quotidien jusqu’aux centrales nucléaires. Les transformateurs sont indispensables au fonctionnement d’un grand nombre d’installations électriques. Leur rôle, vous le connaissez probablement : abaisser ou augmenter la tension d’un courant alternatif. Ainsi, de la grande centrale jusqu’à votre petite prise électrique, la tension est modifiée par paliers afin d’optimiser le transport de l’électricité.

Produit à 20 000 volts (V) dans l’alternateur d’une centrale nucléaire, par exemple, le courant est porté à 400 000 V pour être injecté sur les lignes à très haute tension gérées par Réseau de transport d’électricité (RTE). Il est ensuite abaissé à 225 000 V puis 63 000 V. Enfin, l’électricité circule à 20 000 V puis 400 V dans le réseau de distribution opéré par Enedis. À chaque étape, un transformateur est utilisé. Et c’est autant d’occasions de « perdre » une petite partie du courant.

Car le rendement d’un transformateur s’élève généralement autour de 95 %. Cela signifie que 5 % du courant qui le traverse est gaspillé, principalement sous forme de chaleur. Individuellement, cela paraît peu. Mais multiplié par les millions de transformateurs en service en France, les pertes sont significatives. Pour se faire une idée, l’ADEME estime à environ 40 térawattheures (TWh) les pertes annuelles des transformateurs de distribution et de l’industrie dans l’Union européenne (UE). Elles sont responsables de 20 % du total des pertes en ligne du réseau électrique (200 TWh/an dans l’UE). En France, le gisement d’économies d’énergie lié aux transformateurs est estimé à 1,1 TWh.

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Des transformateurs à haut rendement coûteux à l’achat mais économiques à l’usage

Un gisement qui pourrait être exploité grâce aux transformateurs « à pertes réduites ». Des appareils dont le rendement dépasse les 98 %. Trois petits pourcents qui font toute la différence. Car s’ils sont vendus 1,5 à 2 fois plus chers qu’un modèle standard, les économies qu’ils permettent de réaliser sur la facture d’électricité amortiraient rapidement le surcoût. Exemple à l’appui. « Sur un transformateur standard capable de délivrer 63 000 W vendu 2 000 euros, vous aurez environ 2 850 W de perdus. Mais sur un transformateur écodesign à 4 000 euros, vous réduisez les pertes à 1 260 W » explique Guillaume Barat, responsable d’usine chez Circé, un fabricant français de transformateurs basse tension.

« Sauf qu’un transformateur, ça reste souvent branché 24 h/24 toute l’année » lance le cadre, avant de se lancer dans un calcul. « Sur un transformateur utilisé 50 % du temps, on récupère l’investissement en moins d’un an au prix actuel de l’électricité » affirme-t-il. Dans ce cas, les économies annuelles d’électricité s’élèveraient à 1 376 euros. Sur un transformateur exploité en permanence à 100 % de sa puissance nominale, l’économie atteindrait 2 752 euros, soit moins de 6 mois de retour sur investissement. « En plus, on gagne en durée de vie. La température de fonctionnement des transformateurs écodesign étant plus faible, 140 à 150 °C pour 180 °C sur les transformateurs standards ».

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Malgré leurs avantages, les transformateurs écodesign se vendent difficilement

Pour réduire les pertes dans ses transformateurs tout en maîtrisant les coûts, Circé a dû investir en recherche et développement. « On a cherché à faire des transformateurs écodesign à partir de composants standards. On a travaillé sur le circuit magnétique, qui a des tôles hautes performances, sur la géométrie, les températures de fonctionnement, on a augmenté les sections de câbles et on emploie du cuivre plutôt que de l’aluminium » énumère l’ingénieur. Malgré tout, l’entreprise basée à Parigné-l’Évêque près du Mans ne parvient pas à vendre sa gamme écodesign, mise sur le marché début 2023. « On en a vendu de l’ordre d’une dizaine d’unités sur un an » déplore Guillaume Barat, alors que son entreprise réalise un chiffre d’affaires annuel de 3 millions d’euros, en vendant principalement des transformateurs standards.

À l’origine de cette initiative, il y a la directive européenne n° 2019/1783 imposant un rendement minimum de 98 % sur les transformateurs haute tension. « On a pensé que la directive allait forcément arriver sur nous » explique le responsable. Mais aujourd’hui, le texte ne s’applique toujours pas aux transformateurs basse tension, dont Circé s’est fait la spécialité. « Je pensais qu’on en vendrait beaucoup, mais le problème, c’est que les vendeurs de transformateurs ne sont pas des utilisateurs » se dépite-t-il. Car le fabricant écoule une part importante de ses produits à travers des prestataires distributeurs et installateurs, comme Eiffage Clemessy, Equans Ineo, Bouygues ou encore Spie. « Quand un client construit une usine, il fait appel à un prestataire pour faire un devis. Le prestataire va vouloir proposer le devis le moins cher. Comme le client n’est pas forcément pointu sur les transformateurs électriques, il va avoir tendance choisir le moins cher sans regarder la pertinence des modèles écodesign » détaille Guillaume Barat.

Pour tenter d’inverser la tendance, Circé veut communiquer auprès des acteurs du secteur. Le fabricant a notamment invité une trentaine d’industriels dans son usine, pour échanger autour de la sobriété et l’efficacité énergétique, dans l’espoir de faire germer l’écoconception dans l’esprit des clients.

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