L'avion à hydrogène est une chimère !
En juin dernier, le gouvernement français annonçait un plan de soutien à l’aéronautique de 15 milliards d’euros, assorti d’une exigence : le lancement d’un avion « vert » à l’hydrogène d’ici 2035. Quelques mois plus tard, Airbus présentait déjà trois concepts d’avion à l’hydrogène. Une option « exceptionnellement prometteuse comme carburant aéronautique propre », selon le constructeur qui se donne comme objectif de répondre aux vœux du gouvernement. Faut-il y croire ? Pour répondre à cette question, nous avons rencontré Cédric Philibert, un expert français en énergies renouvelables.
« Les deux premiers concepts d’avion à hydrogène présentés par Airbus sont de configuration classique à fuselage cylindrique. L’un est un court-courrier à hélices, l’autre un moyen-courrier à réaction » nous explique d’emblée ce consultant qui a travaillé plusieurs années pour l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) sur les changements climatiques et les énergies renouvelables. Il est aussi passé par l’Ademe.
Avec sa forme d’aile volante, la troisième esquisse de l’avionneur européen est plus disruptive. « Il s’agit en réalité d’un avion à fuselage intégré. Également moyen-courrier au départ, il pourrait préfigurer un futur long-courrier à l’hydrogène », poursuit Cédric Philibert.
« Ces appareils resteront principalement propulsés par des turbines, leur densité de puissance étant plus grande que celle des piles à combustibles. Turbopropulseurs pour les avions à hélices, turboréacteurs à double flux dits ‘turbofans’ pour les autres » précise notre interlocuteur.
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Toutefois leur motorisation est le moindre des problèmes. « Celui des réservoirs est autrement plus coriace. Comme l’a écrit Eric Dautriat, l’ancien directeur des lanceurs du CNES[1], les défis techniques et opérationnels sont d’une ampleur inégalée ».
« Un A320 contient 23 tonnes de kérosène. Il suffit de 9 tonnes d’hydrogène pour disposer de la même énergie. Mais s’il est liquide, il occupe un volume quatre fois plus important que le kérosène, et près de huit fois s’il est comprimé. Dans les deux cas c’est très compliqué. Les voitures à hydrogène utilisent de l’hydrogène comprimé et le poids des réservoirs est dix-huit fois celui de l’hydrogène qu’ils contiennent… Donc pour l’aviation où le poids reste la question clé, l’hydrogène liquide s’impose. Mais comme il faut maintenir sa température à -253°C pour éviter l’ébullition, les réservoirs devront être extrêmement bien isolés ».
Si Airbus parvenait à concevoir des réservoirs d’hydrogène dont le poids ne serait pas beaucoup plus important que ceux de kérosène, ce serait déjà un exploit, estime Cédric Philibert. « Au décollage, le kérosène représente 30% du poids d’un moyen-courrier et 45% de celui d’un long-courrier. Si l’énergie embarquée pèse davantage c’est autant de moins pour les passagers ou le fret et autant de plus pour la consommation, avec le risque d’un effet boule-de-neige : plus de poids, donc plus d’énergie pour décoller, donc encore plus de poids … » nous explique-t-il.
Le volume d’hydrogène embarqué est tel qu’il faut redessiner complètement les avions. « Le kérosène est stocké dans les ailes somme toutes assez minces. Mais ce ne sera pas possible pour l’hydrogène liquide car pour le conserver à -253°C, il faut se rapprocher le mieux possible de la forme qui réduit au maximum les échanges de chaleur, c’est-à-dire la sphère. Les avions de forme classique seront fortement allongés pour loger l’hydrogène dans le fuselage, à l’arrière de la cabine. Le circuit d’alimentation des turbines risque d’être assez complexe car il doit être à l’abri du givrage ».
Un fuselage intégré, proche d’une aile volante, libère davantage de place intérieure et facilite le volumineux stockage d’hydrogène. « Le projet d’Airbus est basé sur deux propfans[2], et les images publiées suggèrent une propulsion de type ‘aspiration de la couche d’air superficielle’, plus efficace. CHEETA, un projet comparable de la Nasa, repose, lui, entièrement sur des piles à combustibles et la propulsion est assurée par des hélices à moteur électrique. Je crois que rien ne sera arrêté avant 2025. Des attelages hybrides pourraient associer la densité de puissance des turbines pour le décollage et l’ascension, et la meilleure efficacité énergétique des piles pour la croisière », nous confie Cédric Philibert.
Le casse-tête du remplissage
Le remplissage des réservoirs d’hydrogène est un autre casse-tête. « Admettons que l’on puisse produire suffisamment d’hydrogène vert, par électrolyse de l’eau avec de l’électricité renouvelable. Il faut encore liquéfier cet hydrogène, une opération coûteuse et énergivore. Ensuite son transport à l’état liquide jusqu’aux aéroports en wagons ou camions serait un désastre économique et énergétique : un 38 tonnes ne transporte que 4 tonnes d’H2 liquide ! », nous rappelle l’expert. « On pourrait livrer l’hydrogène comprimé par pipe-lines, ou le produire par électrolyse et le liquéfier sur place, à l’aéroport. Puis remplir les réservoirs lentement en conservant cette température incroyablement basse, tout en évitant l’ébullition. Mais comme l’a écrit Dautriat, il faudra naturellement faire cette opération à l’écart du public et à l’air libre, car toute fuite en espace clos représente un risque majeur, l’hydrogène étant susceptible d’exploser à de faibles concentrations. A l’extérieur l’hydrogène fuyard monte rapidement dans l’atmosphère, à la différence d’un hydrocarbure ».
Selon Cédric Philibert, un récent brevet déposé par Airbus apporte peut-être une solution à ce problème. Il concerne un court-courrier à six hélices, fixées sur autant de ‘pods’ attachés sous les ailes mais amovibles. « Chacun d’eux comprend un réservoir à hydrogène liquide, une pile à combustible et un moteur électrique. Je ne suis pas certain que ce concept améliore beaucoup les performances, mais il devrait au moins simplifier le remplissage du carburant et surtout améliorer la sécurité de l’avion et de ses passagers », ajoute notre interviewé.
Les avions à hydrogène pourront-ils être certifiés ?
En réponse aux vœux du gouvernement français, Airbus projette la mise en service de son avion à hydrogène dès 2035. « Mais il ne suffit pas de résoudre les problèmes techniques, encore faut-il faire qualifier ces avions. Un responsable de l’autorité fédérale américaine de l’aviation m’a confié récemment ses doutes. Il ne pense pas que des avions bourrés d’hydrogène puissent un jour être certifiés pour une utilisation commerciale. Mettons qu’il se trompe et que le modèle à « pods » puisse être développé, certifié et commencer à voler dans quinze ans. Il en faudra autant sinon davantage pour remplacer peu à peu les flottes des compagnies ».
« Les avions à hélice représentent 10% du parc mondial d’avions commerciaux, volent moins vite et parcourent moins de distance, ils sont responsables d’environ 5% des émissions de gaz à effet de serre de l’aviation. Même un succès dans ce segment ne changerait pas fondamentalement la donne : d’ici à 2060, l’avion à hydrogène ne sera pas en mesure d’infléchir sensiblement ces émissions. Si l’économie mondiale doit parvenir à des émissions nettes nulles à cette échéance, il ne faut pas compter sur lui pour y parvenir. A mon avis, la seule solution réaliste est l’utilisation, dans les avions d’aujourd’hui et de demain, de kérosène de synthèse, produit avec de l’hydrogène bas-carbone et du carbone recyclé de l’atmosphère » conclut notre expert.
Révolution-énergétique remercie vivement Cédric Philibert d’avoir pris le temps de partager son expertise et de nous confier ses doutes concernant l’avion à hydrogène.
À lire aussi Première mondiale : KLM opère un vol commercial avec du kérosène synthétique « vert »[1] CNES : Le Centre National d’Etudes Spatiales est un établissement public chargé d’élaborer et de mettre en œuvre le programme spatial français.
[2] Un propfan est un turboréacteur dont la soufflante est fixée directement sur la turbine, en dehors de la nacelle.
Commentaires
Les réacteurs thermiques sont bien trop cher et de mauvais rendement, 42 millions d’US$ pour un seul GE90x. Les piles à combustible et EFans plus lourds sont moins chers et de rendement presque double...Puis, l’H2 avec 100mio.tons/an on sait faire mais faut que les pétroliers vendent leur kérosène...
L'Hydrogène vert par électrolyse est celui qui est "censé" décarboner l'énergie de demain pour l'humanité, mais aujourd'hui et dans 100 ans il faudra toujours 55kWh d'électricité pour produire 1kg d'Hydrogène. Les lois de Coulomb ne changent pas...
L'électricité verte restera toujours chère si elle est produite par des éolienne et des panneaux solaires... MAIS les éoliennes sont une catastrophe écologique en terme de cycle de vie (pâle à base de fibre de carbone, résines époxy à base de bisphénol, socle en ciment) et les panneaux solaire n'en parlons pas (silice fondue à 1200°C, EVA pétrolier, recyclage inexistant, etc...).
Toutes ces sources de production d'électricité vertes dependent du pétrole...
Faire des carburants de synthèse à partir de carbone renouvelable est LA SOLUTION pour réduire les émission de CO2 fossile et surtout de ne pas changer tous les modes de transports utilisant les moteurs thermiques.
Utiliser l'Hydrogène vert par électrolyse (trop cher, 55kWh) et le CO2 capturé dans l'air (0,04%) qui coûte 250€/Tonne est encore une fois une folie industrielle...
La révolution énergétique passera par un mix énergétique inévitablement (nucléaire, solaire, éolien, hydraulique), mais la part de la biomasse ne doit pas être négligée, bien au contraire... "mais en le faisant intelligemment" !!!
On dit souvent en chimie que pour avoir un produit pur, il faut partir d'un produit pur.
C'est exactement ce que nous souhaitons faire avec la biomasse non alimentaire (2G) en séparant ses 3 constituants : cellulose, hemicelluloses et lignine.
Avec ce concept, TOUS les carburants de synthèse peuvent être produits et cela à partir du CO2 atmosphérique que la biomasse a capturée "gratuitement" grâce à la photosynthèse...
Et au rythme de l'absorption du CO2 par la photosynthèse, et de la consommation croissante et inévitable de carburants dans le monde, on peut espérer stabiliser la concentration en CO2 de l'atmosphère, et à terme retrouver une concentration d'avant l'ère industrielle et retrouver un climat acceptable.
Cette solution est réaliste et immédiate aujourd'hui. Plus d'informations sur www.bioeb.fr
Utiliser l'hydrogène vert par électrolyse trop cher 55kwh(/kgH2?). Tout dépend du prix du KWh ! Comme les énergies vertes (éoliennes) sont intermittentes on surinvestit en équipement et par moment elles produisent trop de courant qui ne peut pas être stocké. Le prix du MWh sur le marché en gros (voir le site de RTE eco2mix) est très variable suivant le pays et l'heure, parfois NEGATIF: vous me prenez de l'électricité et je vous paie pour cela. Bien sur aujourd'hui cela arrive que quelques centaines d'heures par an. Cela est aussi "absurde" qu'un taux d'intérêt négatif mais cela existe. Maintenant regardez bien une voiture qui fait 10 000km par an à 50km/h de moyenne ne marche que 200h/an et l'hydrogène comprimé se stock indéfiniment (pas de fuite) ce n'est pas comme une batterie. Donc ce process n'est pas aussi "impossible" que vous pensez.
Maintenant je suis d'accord avec vous cela ne peut pas être LA SOLUTION cela restera marginal. Une solution plus "générale" est comme vous le dites de remplacer les produits pétroliers "fossiles" par des essences vertes mais cela coute plus cher que de partir du pétrole. Une solution plus économique serait d'utiliser du combustible nucléaire. Cela n'est pas industriellement absurde. Dans les années 60 US Airforce voulait que ses bombardiers transportant la bombe atomique n'est plus à se ravitailler en vol. ORNL (Alvin Weinberg) a fait un prototype de réacteur nucléaire qui a fonctionné sans problème pendant 5 ans et a même était transporté dans un bombardier pour vérifier son fonctionnement dans différentes position d'un avion en vol. Il s'agit d'un réacteur à sels fondus de 5MW qui a fonctionné au départ avec de U233 fabriqué dans un autre réacteur partir de thorium et la dernière année au thorium seul. Cette expérimentation a été arrêté car les bombes atomiques ont été mises dans des fusées, plus besoin de bombardier. Personne n'a repris le développement des réacteurs à sels fondus sauf les chinois, récemment, après Fukushima.
Le train ne marchera jamais... Ne pas confondre affirmations sans fondement et arguments s'appuyant sur les lois de la physique. La densité de l'hydrogène, son énergie de liquéfaction, sa furtivité etc ne sont pas des élucubrations mais des faits!
Transformer les problèmes en solutions, c'est facile à dire et ne résoud rien. Quand c'est trop lourd, eh bien... On pose l'avion sur un bateau!
Mais aucune loi de la physique ne dit qu'il sera impossible de faire voler un avion à hydrogène, et parler de chimère est prématuré, de la même façon qu'il est prématuré de dire qu'on fera voler un avion à hydrogène. L'heure n'est pas à dire que ça marchera ou ne marchera pas, mais à faire l'inventaire des problème que cela pose et qui n'ont pas de solution évidente. Mais il faut aussi savoir que les solutions évidentes n'apparaissent pas toujours au premier regard. L'homme a déjà réalisé l'impossible dans le passé, et justement dans l'aviation, car il était bien connu que l'homme ne pouvait pas voler, les lois physiologiques s'y opposaient, nous ne sommes pas fait comme les oiseaux, avec des os trop lourds par exemple, mais à ces lois d'interdiction nous avons opposé les lois de la mécanique, et nous avons volé. Tien justement il n'y a aucune loi de la mécanique qui ne s'oppose au vol d'un avion à hydrogène, c'est peut-être un signe ?
Pas d'accord du tout. Ce n'est pas un pb de techno à développer. C'est de la thermodynamique, mécanique et thermique avant tout. Regardez simplement les pb du SLS/artémis actuels : fuites d'hydrogène à droite ou à gauche. Après 10 milliards de $ dépensés ça ccontinue.On lit dans la presse que ce sont des systèmes anciens (sous-entendu que si on refait tout, tout ira pour le mieux). C'est faux! Les technos utilisées sont toujours au top et personne ne saurait mieux faire aujourd'hui, ni dans 10 ans, sauf des bricoles à la marge.
Croyez moi, je connais bien ces sujets de reservoir LH2, moteurs cryo, et tout ce qui va avec. 35 ans de métier !
Hubert est réaliste. Rien de plus . Le pétrole a fait naître une économie shimerique qui disparaîtra avec lui. Car parler d' énergie sans parler de coût et un pet en l'air. A un 70 USD le baril, le prix du kWh mécanique au réacteur et env 15 a 20 cts d'euros. Avec du pétrole quasi détaxe. Ce coût est env 45% du prix d'un vol long courrier. Accepterons nous de payer un billet 5 ou 6 X plus ???
La seule alternative crédible est le kérosène végétal. On ne fera jamais voler sans danger un réservoir d'hydrogène.... Et de efficacité énergétique et vol de pierres n'a et ne fera jamais bon ménage. Autant viser l'hyperloop pour aller vite et loin
Bien d'accord avec vous mais n'oublions pas que les Zeppellins sont gonflés à l'hydrogène gazeux à la pression atmosphérique et que les fusées utilisent de l'hydrogène liquide. Quant'au coût de production de l'hydrogène n'oublions pas que par électrolyse son coût est directement lié au prix du KWh sur le marché de gros et plus il y aura des éoliennes plus il y aura des périodes où le prix du KWh sera faible voir NEGATIF.
"On ne fera jamais voler sans danger un réservoir d’hydrogène…"
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Ceci étant écrit, il faut admettre que faire voler un engin quel qu'il soit (et se mettre aux commandes, tant qu'à faire) n'est pas sans danger. Je vous invite à essayer!
On ne fera jamais......
Tout ce qu'on a fait par la suite. 😄
Le train à vapeur ne marchera jamais ! Les femmes feront des fausses couche dans les trains, à cause de la vitesse. Toutes ces histoires de trains à vapeur n'ont ni queue ni tête. La traction hippomobile est la seule solution. Ceux qui prétendent le contraire sont fous et devront être enfermés.
2035 est une date absurde. 15 ans est le délai nécessaire à l'étude, la certification et la mise en production d'un nouvel avion "classique", un A380 par exemple. Si en plus il faut tout révolutionner, aussi bien dans l'avion que dans les aéroports, cela mettra forcément un tout petit peu plus de temps.
En gros c'est "laissez-nous faire (des maquettes) et dans 15 ans on aura la solution". Et 15 ans plus tard ce sera "bah non, ça n'a pas marché c'est pas possible". Et la planète aura perdu 15 ans. Et l'industrie aura gagné 15 ans de "business as usual".