C’est un ensemble de technologies qui avaient fait parler d’elles, il y a quelques années, mais qui ne sont plus guère citées dans l’actualité. Et pourtant, elles promettaient de stocker la chaleur indéfiniment. Ont-elles été définitivement abandonnées ? Prenons un peu de recul.

C’est un container semblable à nul autre qui a été modifié sur un parking dans la région de Zurich. Ce sont environ 18 m² de capteurs solaires thermiques qui ont été ajoutés sur son toit et sur une de ses faces. À l’intérieur, une tuyauterie complexe relie plusieurs réservoirs à un réacteur central. Et dans ce réacteur, se produit une réaction bien particulière. Lorsque la lumière du soleil réchauffe les capteurs à l’extérieur, la chaleur produite permet d’assécher une solution de soude, c’est-à-dire d’en extraire l’eau et de la concentrer. Inversement, lorsqu’il n’y a plus de chaleur solaire, l’eau est réinjectée dans la solution de soude concentrée. Et cette dernière réaction produit une grande quantité de chaleur.

C’est une réaction tout à fait connue, que peut-être certains de nos lecteurs ont déjà expérimentée en travaux pratiques de chimie : il faut diluer la soude dans l’eau, et pas l’inverse, et ce très lentement, afin de ne pas risquer de surchauffe du mélange et des projections dangereuses. Et c’est cette réaction, réversible, qui permet de concevoir un système de stockage de la chaleur.

C’est l’expérience qu’a menée l’équipe de Benjamin Fumey, pour démontrer la possibilité de stocker la chaleur solaire dans la soude. Il s’agissait du projet COMTES, financé par l’Union européenne. Au cours de leurs essais menés en 2015 et en 2016, ils ont pu restituer une puissance thermique de 1 kW. Mais ils ont également rencontré des difficultés techniques, liées à la conception du réacteur. Leurs résultats sont décrits dans leur article publié dans la revue Energy Procedia, accessible en source ouverte.

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Le stockage thermochimique permet de conserver indéfiniment la chaleur

La technique utilisée par l’équipe suisse fait partie d’un éventail de technologies, généralement désignées par l’acronyme TCES, pour Thermochemical Energy Storage. Elles ont pour finalité de stocker la chaleur, en utilisant des réactions réversibles qui absorbent de la chaleur (endothermiques) lors de la phase de charge du stockage, et qui produisent de la chaleur (exothermiques) lors de la phase de décharge.

Il faut bien distinguer le TCES de deux autres types de stockages par chaleur. Tout d’abord le stockage par chaleur sensible, basé sur la variation de température d’un matériau, qui est le principe utilisé dans un ballon-tampon, ou une simple bouillotte. Il se distingue également des systèmes basés sur le changement de phase d’une substance (chaleur latente), par exemple, de la glace, comme dans le concept de ballon de glace de la société Boreales.

En général, les TCES bénéficient généralement d’une plus grande densité énergétique que ces autres systèmes, et surtout, en principe, ils ne perdent pas d’énergie au cours du stockage. En effet, la chaleur est stockée de manière pérenne dans les liaisons chimiques entre les substances utilisées ; en particulier, il n’y a pas besoin d’isoler thermiquement le réservoir pour limiter au maximum les pertes de chaleur. La majorité des pertes d’énergie ne se produisent ainsi qu’au cours des phases de chargement et de déchargement, comme dans un accumulateur électrochimique comme les batteries Li-ion.

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Les projets n’ont cependant pas abouti

Malheureusement, les expérimentations menées n’ont pas encore permis d’aboutir à la mise sur le marché de systèmes de stockage opérationnels. Un des projets les plus avancés était celui de la société SaltX, en partenariat avec Vatenfall, sur la centrale de Reuter West. Une installation de taille importante avait été mise en service en avril 2019. Elle devait stocker 10 MWh. Il semblerait qu’elle ait fonctionné correctement. Elle a toutefois été rapidement démantelée. Depuis, la société SaltX utilise sa technologie pour la calcination, plutôt que pour le stockage de chaleur ; sur son site internet, elle propose toutefois sa technologie pour du stockage d’énergie si des clients se montrent intéressés.

Il faut dire que de nombreux désavantages ont été identifiés pour cette technologie, comme le révèle une étude par N’Tsoukpoe et Kuznik en 2021. En pratique, ce type de stockage montre bien des pertes de chaleur avec le temps. Par ailleurs, les matériaux restent coûteux au regard de la valeur économique de l’énergie stockée. Les auteurs recommandent ainsi une évaluation complète de ces systèmes, avant de mener tout projet de développement. Est-ce un dernier clou dans le cercueil de cette technologie ?

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Mais l’histoire n’est pas finie

Les technologies de stockage d’énergie thermochimiques sont toujours citées dans les options d’avenir pour le stockage de la chaleur. Par exemple, elles figurent en bonne place dans le rapport de la Commission Européenne intitulé Novel Thermal Energy Storage in the European Union, de 2023. Le rapport note toutefois que leur leur niveau de maturité technologique est moins élevé que des solutions concurrentes, au mieux de 7 sur l’échelle TRL (Technology Readiness Level), c’est-à-dire le niveau de l’échelle pilote.

De nombreuses recherches sont toujours en cours. Citons ne serait-ce que cette étude de 2024 de chercheurs italiens de l’école polytechnique de Milan et de l’institution de recherche RSE. Ils ont pu tester un prototype avec diverses zéolites, un minéral constitué d’un squelette d’aluminosilicate et d’un réseau très dense de micropores. Lorsque de l’air humide est insufflé dans la zéolite, l’humidité est adsorbée à la surface de la zéolite, ce qui produit de la chaleur, et chauffe l’air. Inversement, insuffler de l’air chaud et sec permet de sécher la zéolite et de la préparer pour une restitution ultérieure de chaleur. Tant que la zéolite sèche reste à l’abri de l’humidité, le stock d’énergie est ainsi conservé. L’expérience a pu mieux comprendre ce genre de système, les cas où il se montre plus efficace que d’autres, et estimer son efficacité énergétique globale à environ 50 %.

Le stockage d’énergie thermochimique est-il donc dans une impasse ? Non, car ces solutions n’ont pas été abandonnées. Même s’il faut toutefois fortement tempérer ses possibilités pratiques aujourd’hui. Ainsi, ce n’est malheureusement pas demain que vous pourrez équiper votre maison d’un système de stockage thermochimique qui stockera le surplus de chaleur de vos capteurs thermiques, pour la restituer l’hiver prochain. Mais peut-être après-demain ?

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