Baptisé « eVinci », le nouveau concept de microréacteur de Westinghouse se base sur une innovation dans le milieu nucléaire, d’un grand intérêt : le caloduc. Qu’est-ce que cette innovation apporte en termes de sûreté des réacteurs ?
Nous avions précédemment évoqué le microréacteur eVinci. Le concept proposé par Westinghouse est d’une simplicité extrême : une centrale nucléaire complète qui tient dans un conteneur standard, fournit 13 MW thermiques ou 5 MW électriques, fonctionne en autonomie, sans maintenance, et ce, pendant huit ans. Après cette durée de fonctionnement, le réacteur est simplement retourné au fabricant.
Le concept apparaît séduisant, et s’adresse à de nombreuses applications : réseaux de chaleur urbains, sites industriels et miniers isolés, alimentation de raffineries ou de datacenters, ou compensation de l’intermittence de certaines sources d’énergie renouvelables. Une telle diversité d’applications peut faire craindre une forme de dissémination des réacteurs nucléaires, impliquant en retour l’exigence d’une très grande sûreté de fonctionnement.
Un caloporteur solide pour transmettre la chaleur
Pour ce faire, Westinghouse propose d’utiliser pour son microréacteur la technologie des caloducs (« heat pipe » en anglais). Cette technologie a été mise en œuvre les cinquante dernières dans l’aéronautique ou d’autres industries pour des applications à haute température. Il ne s’agit donc pas d’une innovation comme telle, mais elle n’a que très peu été mise en œuvre dans les technologies nucléaires. Il s’agit de longs tubes fins, chargés de transférer la chaleur d’une extrémité du tube, placé dans le cœur du réacteur, à son autre extrémité, là où elle sera utilisée.
Pour le eVinci, le caloduc mesure 12 pieds (environ 3,7 m) et est composé d’un alliage métallique spécifique composé de fer, de chrome, et d’aluminium. Cet alliage a été conçu pour ses performances en termes de transfert thermique et de résistance à haute température. Un premier caloduc de 12 pieds a été fabriqué au cours de l’année dernière.
À gauche : un caloduc de 12 pieds (366 cm) fabriqué par Westinghouse. À droite : vue en coupe de l’intérieur du réacteur eVinci / Images : Westinghouse.
Vers la sûreté passive
Quels avantages veut tirer Westinghouse de ces caloducs ? En pratique, ils remplacent le caloporteur usuellement utilisé dans les centrales, c’est-à-dire l’eau, par exemple, dans les réacteurs à eau pressurisée (REP). Et cela a beaucoup de conséquences intéressantes du point de vue de la sûreté. Tout d’abord, si un tuyau d’amenée de l’eau est rompu, le cœur peut ne plus être refroidi, amenant à sa fusion et à la dissémination de produits radioactifs (accident de Three Miles Island). Par ailleurs, l’eau nécessite des pompes pour faire circuler l’eau et extraire la chaleur du cœur ; ces pompes peuvent ne plus être alimentées en électricité et ne plus fonctionner, conduisant également à la fusion du cœur (accident de Fukushima).
Ainsi, une conception basée sur des caloducs solides est passive, c’est-à-dire qu’elle ne repose pas sur le mouvement d’un caloporteur. De plus, étant solide, ils ne peuvent fuir et s’écouler loin du cœur comme c’est le cas pour l’eau. Le concept peut ainsi éliminer toutes ces sources de défaillance, et proposer une fiabilité en principe nettement plus élevée.
Par ailleurs, l’absence de circulation d’un fluide élimine des sources de vibration, à l’origine de problèmes de corrosion et de vieillissement. Enfin, le système par caloducs solides ne nécessite pas de pressurisation du caloporteur, comme dans le cas du REP, induisant des structures qui travaillent sous pression et à haute température, et nécessitant une surveillance continue. Il s’agit donc d’un concept très intéressant. Son développement en cours dans le cadre du eVinci nous permettra de suivre son évolution, et les différents essais de ce système. Tiendra-t-il toutes ces promesses ? Le temps nous le dira.