Une raffinerie de pétrole / Image : Getty - Canva.
Près d’un mois après sa parution, il faut revenir sur le dernier rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), ce document qui synthétise les trois volets de la sixième évaluation du dérèglement climatique : les bases physiques, les impacts, l’adaptation et la vulnérabilité, enfin les mesures d’atténuation, publiés quant à eux en août 2021, février et avril 2022. Moins pour en rendre compte à notre tour, que pour s’étonner de la façon dont la plupart des commentateurs en ont rendu compte.
Ils en ont surtout retenu une nouvelle confirmation de la réalité du dérèglement climatique, qui se fait plus pressante et inquiétant que jamais. Le rôle des activités humaines dans ces changements est moins que jamais mis en doute par les scientifiques du Giec, qui relèvent également la grande injustice ainsi faite à ceux qui ont contribué le moins, mais subiront les conséquences les plus rudes, en général les habitants des pays en développement.
Surtout, les commentateurs ont insisté sur le fait que les émissions de gaz à effet de serre n’ont jamais cessé d’augmenter, trente ans après le premier rapport du Giec. Constat alarmant, incontestable, et peut-être même utile à la prise de conscience. Et pourtant, il y a dans ce sixième rapport des signes d’espoirs trop peu souvent relevés, comme si beaucoup de commentateurs n’étaient pas allés au bout de leur lecture. C’est bien dommage, la prise de conscience n’ayant vraiment de valeur que si elle conduit à l’action.
À lire aussi Les renouvelables, le dernier espoir du GIECOr c’est au rayon des moyens d’action que ce rapport tranche le plus sur la série des rapports précédents – tout simplement parce qu’en quelques années seulement beaucoup de choses ont changé. Entre 2010 et 2019, les coûts de l’électricité photovoltaïque et des batteries lithium ion ont diminué de 85 %, celui de l’éolien de 55 % – le déploiement du photovoltaïque a été multiplié par dix ou plus, celui des véhicules électriques par 100, note le rapport. Bref, là où les précédents rapports se contentaient d’énumérer l’ensemble des actions possibles ou souhaitables, celui-ci les hiérarchise, évalue leurs potentiels, leurs coûts et leurs bénéfices autres que l’atténuation des changements climatiques.
Les moyens de lutter contre le réchauffement climatique (fig. 7) / Infographie : GIEC.
Hommage spécial au Guardian, l’un des rares journaux sur la planète qui a pris le parti de souligner combien la maîtrise du changement climatique était aujourd’hui à portée de la main – à portée d’humains. La semaine dernière encore, Damian Carrigton y détaille la figure 7 du rapport de synthèse, la plus significative de toutes. « Cela semble impossible, écrit-il. Le monde doit pratiquement diviser les émissions de CO₂ par deux dans les sept prochaines années pour rester sur la voie d’un réchauffement mondial de seulement 1,5° C et éviter le pire des impacts du changement climatique. Et pourtant les émissions croissent. Cependant, une figure dans le rapport du GIEC fournit une feuille de route pour échapper à la catastrophe, évaluant avec une extraordinaire clarté le potentiel des réductions d’émissions de plus de 40 options. » Compilé par une équipe des meilleures scientifiques, basé sur 175 études, la puissance de cette figure est amplifiée par le fait qu’elle est signée par tous les gouvernements du monde.
À lire aussi Combien le nucléaire émet-il réellement de CO2 par kilowattheure produit ?Le solaire et l’éolien en tête des options à coût nul
Le graphique montre d’abord que le solaire et l’éolien sont de loin les meilleures options, avec le potentiel de réduire de 8 milliards de tonnes les émissions annuelles de CO₂ en 2030 – l’équivalent des émissions des États-Unis et de l’Union européenne aujourd’hui. Et l’essentiel de ce potentiel est à coût nul, car fournissant une énergie moins chère que les alternatives. Les autres grands gagnants du hit-parade des solutions sont l’efficacité énergétique, l’arrêt de la déforestation et la réduction des émissions de méthane.
Le nucléaire et la capture et stockage du CO₂ ont chacun tout juste 10 % du potentiel de l’ensemble soleil et vent, et à des coûts bien plus importants. La « bioélectricité » est dans le même cas. L’amélioration de l’efficacité des bâtiments, de l’industrie, de l’éclairage et de l’électro-ménager permettrait d’éviter 4,5 milliards de tonnes, et la réduction des émissions de méthane, notamment liées aux énergies fossiles, environ 3 milliards de tonnes. Transports publics et vélos réduiraient autant les émissions que les voitures électriques.
À lire aussi Le bilan CO2 des panneaux photovoltaïques s’est considérablement amélioréD’autres options ont trait à l’agriculture, la foresterie et l’usage des sols. Une alimentation moins carnée éviterait 1,7 milliard de tonnes, la suppression du labour et l’enfouissement de charbon de bois pourraient ensemble éviter 3,4 milliards de tonnes. Toutes ses solutions coûtant moins de 100 euros par tonne permettraient de diviser les émissions par deux en 2030. Elles ne requièrent pas de nouvelles technologies, mais de la volonté politique.
Cédric Philibert est auteur de « Éoliennes, pourquoi tant de haine ? », paru aux éditions Les Petits Matins/Institut Veblen.
Commentaires
Le tableau ( fig 7) est "à prendre avec des pincettes", résultant d'une synthèse de diverses études, très différentes suivant leur localisation : par exemple la fourchette donnée de ~50-200 $ pour le CCS, alors que, suivant l'ADEME se serait ~110.Or , au niveau de l'Europe, vient juste d'être voté le renforcement du marché carbone, qui fait que cette valeur, actuellement à ~100, ne pourra qu'augmenter.Dès lors la production d'hydrogène par vaporeformage ( ~95% contre ~3 % par électrolyse) permettra d'utiliser , en attendant l'hydrogène dit vert,et les autres sources, l'hydrogène dit bleu, en substitution de l’électricité ( notamment pour le chauffage et les transports ).
Je rejoins ceux qui disent qu'au final le nucléaire représente(ra) une portion infime de l'énergie produite, et donc consommée, à l'échelle mondiale. Donc, même pour un pro-nucléaire comme moi, l'option nucléaire n'est pas l'alpha et l'oméga des solutions.
Mais pour ce qui est du recours au photovoltaïque, je ne suis pas sûr que les études tiennent compte de l’albédo des panneaux PV. Avec un albédo d'environ 10% (contre 80-90% pour la neige) qui provoquent en réchauffement local. D'ailleurs lorsqu'on fait un vol en ULM, on se rend compte qu'on est secoué lorsqu'on passe au-dessus d'une transition entre culture et forêt. La forêt étant plus sombre, elle provoque des courants d'air chaud ascendant.
Autre effet "curieux" de l'albédo, si on tapisse le Sahara de panneaux PV, on va créer un gigantesque courant ascendant d'air chaud, qui va provoquer une massive aspiration horizontale en basse altitude qui va faire venir de l'air humide en provenance de l'océan, et va provoquer des pluies dans ce désert et peut-être enclencher un cycle de re-végétalisation de cette zone : changement climatique.
https://www.lesoleil.com/2021/07/18/des-panneaux-solaires-qui-rechauffent-le-climat-est-ce-que-ca-se-peut-a9bcff583b24420ea7411f39e7afcdf1
Mais il faut se souvenir qu'il l'a déjà été (vert) dans un passé pas si lointain.
https://odysseedelaterre.fr/sahara-vert/
Si je regarde mon cas personnel, mes panneaux PV ne me fournissent pas une indépendance énergétique, mais juste une agréable diminution de l'achat au réseau. Que dire des gens qui habitent en appartement ? Et il n'existe pas encore à ce jour de solution domestique pour fabriquer soi-même son e-methanol en aspirant le CO2 atmosphérique , pour cesser d'utiliser les carburants fossiles. Les marges de progression sont donc non-négligeables.
D'autres petits gestes peuvent produire des effets. Le réchauffement actuel provoque la fonte de glaciers et diminuer l’albédo des zones touchées, provoquant à son tour un réchauffement, donc une boucle de rétroaction négative. Dans un lieu reculé dans la Cordillère des Andes, un village fut ainsi privé d'eau à cause de ce phénomène. Une solution locale fut trouvée : peindre la montagne en blanc, avec de la peinture à base de chaux. La baisse de température de la roche a pu ré-enclencher le phénomène de condensation de l'humidité , la situation locale s'est partiellement améliorée. On pourrait imaginer la même solution au Groënland , là où les roches deviennent apparentes et accélèrent le réchauffement.
https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/climatologie-peindre-montagnes-blanc-refroidir-atmosphere-ca-marche-35073/
Peindre les roches en blanc ne prendrait que quelques mois, décarboner notre mode de vie prendra des dizaines d'années. On fait quoi en attendant pour gérer le court terme ?
Nous sommes capables de trouver de milliards pour construire des oléoducs et gazoducs, au demeurant fort utiles compte-tenu de notre dépendance actuelle. Ne peut-on débloquer quelques milliards à l'échelle d'un continent pour mettre en oeuvre des solutions certes incomplètes et partielles, mais ayant au moins l'avantage d'une action immédiate ? Pour gagner du temps.
C'est un point interessant auquel je n'avait pas pensé mais c'est peut-être déjà pris en compte dans les rapports du GIEC comme une part de forçage radiatif. L'article semble indiquer qu'il est préférable de ne pas faire de "monoculture" de solaire donc plutôt des petites installations réparties. Les nouveaux types de tuiles solaires ont sûrement un albedo différent.
Concernant l'albédo de panneaux PV, j'ai le souvenir d'un article scientifique datant de plusieurs années où un laboratoire avait fait subir à des cellules PV silicium un flash lumineux extrêmement intensif mais extrêmement court. La cellule était devenue plus sombre, mais avait gagné en performance. Après analyse de la surface, il a été constaté que cette surface avait complètement changé : au lieu d'être plutôt lisse , elle était devenue couverte de pics et de creux très profonds, qui avaient la particularité de mieux piéger les photons : il entraient dans les trous comme dans un tuyau et ne pouvaient en ressortir.
Pour ce qui est des recommandations d'éviter la monoculture du solaire, je pense que si les enjeux financiers sont énormes, les opérateurs feront de ces recommandations un "classement vertical". Business is business.
C'est un peu similaire a la structure carbone a micropointes decouverte recement qui pourrai etre utilisée pour des materiaux supernoirs:
https://www.inc.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/le-carbone-dans-tous-ses-etats-un-reseau-de-micropyramides-de-suie
Une autre solution est la technologie des cellules hautes performance de soitec qui utilise une couche de silice avec structure en lentille de frenel comme concentrateur.
Attention à ne pas comprendre ce graphique de travers (ce que j'ai déjà vus sur au moins un autre sujet de ce site).
Il ne dit pas que c'est intéressant ou moins chère de développer le solaire ou l'éolien en France, il dit que ces 2 méthodes de production peuvent faire économiser des émissions de CO2 (beaucoup) si elles remplacent des sources carbonées (ce n'est pas le cas en France). Cela est précisé dans le paragraphe qui suit le graphique dans le rapport : "Relative potentials and costs will vary by place, context and time and in the longer term compared to 2030".
Je défend souvent le nucléaire mais je n'ai pas eu besoin d'attendre ce rapport pour me faire cette idée.
Pour connaitre ce qui est intéressant pour nous, il faut savoir où sont nos émissions, puis, en se basant sur ce graphique, voir quels sont les leviers les plus efficaces:
Réduire les émissions de co2 semble donc à portée de main. À condition de réduire l'incompétence et l'affairisme de la classe politique, ce qui est beaucoup plus difficile.
Sur la partie production d'énergie, les projections du think tank Ember à partir des chiffres de 2022 sont accessibles depuis peu sur https://ember-climate.org/insights/research/global-electricity-review-2023/ C'est assez positif de voir que, même si le total du coût carbone de la production d'électricité a encore augmenté, l'intensité carbone du kWh mondial est descendu, et ils prédisent le pic carbone de la production d'électricité déjà en 2023, notamment grâce au déploiement record du solaire et de l'éolien. C'est aussi intéressant de constater (en particulier dans le débat français si focalisé sur le nucléaire) que solaire + éolien correspondent en 2022 à 12% de la production mondiale, devant le nucléaire à 9% (derrière l'hydro à 15% pour le moment).