Voilier-Cargo Grain de Sail
Ce qui fait d’abord la notoriété de Grain de Sail, ce sont ses produits au chocolat et ses cafés. Son choix de recourir à la voile pour le transport de ses matières premières pousse les consommateurs à s’engager avec l’entreprise bretonne.
Grain de Sail
Tout est dit, ou presque, des valeurs de Grain de Sail, au dos de l’emballage qui protège ses tablettes de chocolat. « Deux fois par an, il [le voilier Grain de Sail] exportera des vins français bio vers New York et ramènera une partie de nos matières premières bio d’Amérique latine avec un bilan carbone au ras des pâquerettes et une belle aventure maritime !! ».
Ce scénario, le bateau, qui porte le nom de l’entreprise fondée par les frères jumeaux fondateurs Olivier et Jacques Barreau, le réalise depuis 2020. Le dernier départ a eu lieu il y a quelques jours de Saint-Malo (35). Un site plus adapté que le port de Morlaix (29), où est localisée la chocolaterie.
« Nous avons démarré l’activité commerciale en 2013 avec la torréfaction de cafés. Les tablettes de chocolat ont suivi en 2016. Les produits au cacao représentent aujourd’hui 90 % de notre activité », commente Stefan Gallard, directeur du marketing.
Le transport maritime décarboné à la base
« L’idée de la création de l’entreprise Grain de Sail, en 2010, est née avec le recours à un transport maritime décarboné. Plusieurs options ont été étudiées en partant du principe que le vent est l’énergie la plus facile à utiliser, et que c’est lui qui apporterait le gain écologique le plus important. Les 3 principales possibilités étaient de rétrofiter un bateau de course, exploiter un vieux gréement, ou de faire construire un voilier qui corresponde à nos besoins », lance notre interlocuteur.
« Une chaîne humaine de 200 ou 300 personnes qui se relaient pour embarquer ou descendre la marchandise c’est très beau à voir. Mais l’usage d’un vieux gréement pose 2 problèmes. Tout d’abord il ne pourrait pas entrer dans les ports de commerce sécurisés. Et un tel navire ne remonte pas au vent. Il ne serait donc pas plus adapté à nos besoins qu’une voiture de collection pour effectuer des livraisons », explique-t-il.
« Avec un bateau de course rétrofité, ce serait comme prendre une Formule 1 pour transporter des marchandises. Ces navires vont vite, mais ils ne sont pas renforcés aux bons endroits et sont conçus pour tenir le temps d’une course. Le coûts en maintenance et reconstruction après chaque traversée seraient insoutenables pour une entreprise comme la nôtre », poursuit-il.
Comment financer la construction du voilier ?
A partir du moment où la décision a été prise de recourir à un voilier qui réponde bien aux besoins spécifiques de Grain de Sail, il restait encore à trouver les moyens d’en financer la construction.
« Comme on le dit : Il faut d’abord remplir la cale avant d’engager les frais du chantier. Nous avions pour cela 2 possibilités. Classiquement, pour un armateur, l’usage est de faire appel à des chargeurs externes, c’est-à-dire des clients qui vont remplir le carnet de commandes. C’est sur ce business plan que les banques prêtent ensuite les fonds nécessaires à la construction du bateau », présente Stefan Gallard.
« Mais le coût du transport maritime est aujourd’hui optimisé. Notre solution écologique reviendrait 2 à 3 fois plus cher pour les clients. Et le budget pour faire construire un grand bateau est lourd, de l’ordre de 50 à 100 millions d’euros. Le coup de génie de Grain de Sail a été de ne pas vouloir se prêter à la course à l’armement », se réjouit-il encore.
« Il s’agissait plutôt de fonctionner en boucle fermée, de déconnecter le projet des pressions économiques et de la logistique. Nous avons cherché une équation qui tienne la route, à partir d’un voilier plus petit et du transport de produits à forte valeur ajoutée», témoigne-t-il.
D’abord lancer le fonds de commerce
« Nous avons décidé d’inverser les étapes du projet, de créer d’abord notre fonds de commerce. Et à partir d’un certain niveau de production, nous pourrions basculer vers notre propre moyen de transport. Quelque part, nous avons décidé de construire l’entreprise sur une promesse », rapporte Stefan Gallard.
« En effectuant ce choix, ce sont d’abord les consommateurs qui participeraient au financement du voilier-cargo. Ce qui imposait que la bascule s’effectue assez rapidement, afin que notre démarche soit perçue comme sérieuse, sans doute possible, et non comme du greenwashing », justifie-t-il.
« Grain de Sail a signé en 2018 avec le chantier naval. Deux ans plus tard, le voilier a été mis à flot. Son premier voyage transatlantique a été effectué en novembre 2020. Maintenant que nous avons le navire, la situation est beaucoup plus facile. En 2015, le chiffre d’affaires de l’entreprise était compris entre 250 000 et 300 000 euros. Il sera de 8 millions d’euros cette année, doublé en 2 ans », calcule-t-il.
À lire aussi Cette compagnie veut concurrencer l’avion avec une flotte de voiliersPremière mondiale
« Le Grain de Sail est le premier voilier-cargo moderne à satisfaire aux exigences des autorités de la marine marchande internationale. Comme les gros cargos », annonce, non sans une légitime fierté toujours teintée d’une certaine humilité, Stefan Gallard.
« Et pourtant tout n’a pas été simple. Il a été reproché au départ, le gîte que prenait notre bateau. C’est quelque chose de normal sur un voilier, et nous avions prévu une quille de 7 tonnes. Il nous a été répondu que nous n’avions pas le droit de rester sur cette solution. Il fallait donc revoir la stabilité », cite-il en exemple.
« Cette stabilité, nous avons pu l’obtenir en passant à une quille de 13 tonnes. Mais ça posait alors des problèmes au niveau des mâts et des voiles. Nous avons dû réviser avec le bureau d’études le gréement, pour ne pas risquer de démâter avec la pression imposée par la nouvelle quille. Tout ça a pris du temps », souligne-t-il.
Caractéristiques principales
« Le navire a été conçu en fonction des capacités de financement de l’entreprise. Même s’il y avait de la marge, le Grain de Sail est déjà trop petit. Permettant d’embarquer l’équivalent de 2 conteneurs, il assure aujourd’hui l’acheminement d’un peu moins de 60 % de nos besoins en matières premières », expose Stefan Gallard.
Long de 24 mètres, dont 22 pour la coque, et large de 6 m, il possède jusqu’à 520 m2 de surface de voile au portant. Le tout permet de transporter jusqu’à 50 tonnes de marchandises dans des cales qui peuvent être réfrigérées avec les énergies vertes.
Pour cela et l’alimentation des autres systèmes électriques, le bateau, au gréement de type goélette, est équipé de 9 panneaux photovoltaïques (24 V – 200 W unitaires), 2 éoliennes (24 V – 500 W unitaires), 2 hydrogénérateurs (600 W unitaires), et des alternateurs.
« Le Grain de Sail est finalement pour nous une sorte de prototype. Il ressemble à un voilier classique, mais pas à un voilier de charge », estime le directeur du marketing.
Jusqu’à 99 % de CO2 en moins
« Nous avons l’obligation d’avoir au moins un petit moteur pour les manœuvres dans les ports et passer les écluses. Sans lui, nous aurions recours à un remorquage. C’est un diesel de 115 ch, avec un réservoir de 600 litres. C’est la quantité de gazole qui serait nécessaire pour faire avancer le bateau sur une journée avec ce bloc. Pour comparaison, lors de notre dernière traversée, sur le trajet entre Saint-Malo et New York, le Grain de Sail n’a consommé que 9 litres. Nous nous améliorons : au trajet précédent nous avions grillé un peu plus de 40 l », chiffre notre interlocuteur.
« Ce moteur sert aussi de backup au groupe électrogène. Nous devons présenter une redondance des différents systèmes clés. Notre architecture permet d’aller jusqu’à une baisse de 99 % de CO2 par rapport à un modèle conventionnel », compare-t-il.
À lire aussi Des cargos écolos grâce à l’ammoniac vertAcheminer des vins bio à New York
Il est prévu que le Grain de Sail effectue 2 boucles transatlantiques par an, avec 4 marins professionnels à bord. D’une durée d’environ 3 mois chacune, elles sont programmées au printemps et à l’automne, afin de concilier les besoins de l’entreprise et les conditions climatiques. A l’aller qui peut durer entre 3 et 5 semaines, le voilier-cargo achemine entre 15 000 et 20 000 bouteilles de vins français bio.
« Nous ne voulions pas effectuer ce parcours à vide. De même, nous ne souhaitions pas prendre en charge des produits qui existeraient déjà aux Etats-Unis. Les Américains appréciant les vins français, nous nous sommes orientés vers ce commerce. Il s’agit bien de commerce, car nous sélectionnons et achetons les bouteilles. Nous ne voulions pas jouer le rôle de simple armateur avec ces produits », détaille Stefan Gallard.
L’assurance du goût conservé
« Alsace, Côtes-du-Rhône, Bourgogne Languedoc, etc. : il n’y a plus beaucoup de vins français absents de nos livraisons. Nous avons notre propre équipe aux Etats-Unis pour la logistique et les diffuser. Avant de sélectionner les productions, nous les goûtons et effectuons des tests de stabilité afin de nous assurer que la traversée de l’Atlantique ne va pas les altérer », avance le directeur du marketing.
« En cas de doute, nous écartons certains vins. Nous souhaitons que Grain de Sail soit un gage de qualité. Un armateur classique ne procèderait pas comme nous le faisons. Nous, c’est différent, car la marchandise nous appartient jusqu’à ce qu’elle trouve des clients », compare-t-il.
Café vert et cacao
Au retour, le Grain de Sail rapporte d’Amérique latine du café vert et du cacao. « Nous effectuons nous même la torréfaction des grains de café. En revanche, ce ne sont pas des fèves que nous importons, mais de la masse de cacao. Les fèves qui la composent ont auparavant été broyées et séchées », indique Stefan Gallard.
« Nous avons fait ce choix pour 2 raisons. Tout d’abord parce que le cacao se présente ainsi sous la forme de blocs faciles à transporter. Avec une logistique améliorée, nous gagnons 20 à 30 % de produit. Nous avons également tenu à ce que les populations locales conservent leur expertise et leur savoir-faire autour du cacao », liste-t-il.
« Dans nos diverses activités, nous n’oublions pas que dans l’agroalimentaire, la valeur première c’est le goût. Pour rendre notre projet intéressant vis-à-vis de nos clients, l’essentiel et de leur proposer au final de bons produits », insiste-t-il.
À lire aussi Oceanbird : un cargo transatlantique 100% éolienUn prochain voilier
« Nous avons déjà finalisé le design du prochain bateau. Le chantier naval qui va le construire dès 2022 a été choisi. Les premières soudures pourraient être réalisées au printemps prochain. Nous comptons 14-16 mois de construction. Notre futur voilier pourrait ainsi nous être livré au deuxième semestre 2023 », révèle Stefan Gallard.
« Le nouveau navire mesurera 50 mètres et devrait pouvoir transporter 350 tonnes de marchandises. Il correspondra davantage à nos besoins actualisés. Une longueur de 60 mètres est une valeur limite pour un voilier. Au-delà, il faut des mâts qui peuvent se rétracter pour emprunter certains passages », prévient-il.
« Par ailleurs, avec ce format plus petit, nous trouvons toujours une place dans les ports sans avoir besoin de réserver. Les navires de 150-300 m doivent retenir des slots et respecter un timing. Dans ce cas nous serions obligés d’utiliser plus souvent le moteur diesel afin de tenir les délais », traduit-il.
« En outre, afin de limiter l’inertie, nos voiliers font largement appel à l’aluminium plus léger, mais aussi plus cher que l’acier. Nous ne pourrions pas nous le permettre avec des modèles plus grands », oppose-t-il.
Promotion du transport à la voile
Comme nous l’annoncions dans un précédent article, Grain de Sail fait partie des presque 160 acteurs embarqués pour la création d’une filière bretonne du transport à la voile.
« Aujourd’hui, il faut clairement réfléchir à une logistique mondiale décarbonée. Nous échangeons beaucoup sur le sujet avec Wind Ship autour de projets de plus grandes envergures, incluant des modes hybrides de propulsion. Même si, de notre côté, nous nous attachons pour notre entreprise à n’exploiter que la voile », commente notre interlocuteur.
« Nous commençons à regarder plus loin que Grain de Sail avec l’envie de mutualiser notre expérience. Ce qui passe par notre présence au sein des instances. Il s’agit de démontrer que le transport commercial à la voile, c’est faisable », prolonge-t-il. « La création d’une filière régionale soutenue par l’Etat est une étape. Au niveau mondial, il y a l’IWSA, l’association internationale qui soutient le développement des navires propulsés par le vent », met-il en avant.
Emplois locaux et sociaux
Depuis le début de l’aventure, Grain de Sail fait appel à l’Esat des Genêts d’Or de Morlaix. Un partenariat qui vient d’être reconduit pour un minimum de 3 ans. « Le père des fondateurs Olivier et Jacques Barreau était éducateur spécialisé. Ce qui explique une certaine sensibilité concernant les personnes en situation de handicap », rapproche Stefan Gallard.
« Ce n’est pas la seule ni principale raison. Au démarrage de la chocolaterie, il nous fallait une salle blanche dédiée à l’agroalimentaire. L’Esat, qui travaillait déjà pour les oignons de Roscoff, en avait une sur place. Il faisait en plus face, à l’époque, à une baisse de l’activité. La situation arrangeait très bien les 2 établissements. Le partenariat s’est établi naturellement », se souvient-il.
« Avec l’accroissement de la demande, nous avons dû construire notre propre chocolaterie qui a été inaugurée en octobre dernier. Désormais, ce sont une vingtaine de travailleurs de l’Esat qui viennent chez nous, encadrés par 4 ou 5 éducateurs des Genêts d’Or. Notre salle blanche a été conçue pour cette collaboration », conclut notre interlocuteur.
À lire aussi Transport maritime : l’électrification peut-elle « verdir » les bateaux ?Remerciements
Révolution Energétique et moi-même remercions vivement Stefan Gallard pour sa réponse rapide à notre sollicitation d’entretien et pour le temps pris à nous présenter les spécificités de l’entreprise Grain de Sail. Une heure de discussion passionnée et passionnante, avec, en ce qui me concerne, la possibilité d’accompagner plus agréablement que d’habitude ce moment.
Dans ma préparation, j’avais inclus l’achat en grande distribution d’une excellente tablette 85% cacao noir dont le grignotage a imprimé son rythme à mes questions. « C’est notre meilleure vente », m’a répondu aussitôt le directeur du marketing informé de ma gourmandise de découverte dès le début de l’entretien.
A noter que le voilier et la chocolaterie peuvent être visités sous conditions. Si, comme moi, vous être sensible à la démarche de Grain de Sail : n’hésitez pas !
À lire aussi Le premier cargo 100% électrique effectue son voyage inaugural
Commentaires
Incroyable ce que ces gens arrivent à faire! Mais la consommation de gasoil est insuffisante! 9 litres sur les 600 du réservoir, combien d'années pour les consommer (surtout en refaisant l'appoint)? Or le carburant s'altère avec le temps qui passe, on ne peut pas le conserver pendant des années. gros problème!!
"démontrer que le transport commercial à la voile, c’est faisable"
C'est un euphémisme... Cela fait des milliers d'années que le transport à la voile existe! Certains l'ont trop vite oublié, à cause de la puissance conquérante de Monsieur Rockefeller...
Belle initiative et progression prudente et astucieuse !
L'on ne peut qu'applaudir cette quête récente de PROPRETE des TRANSPORTS MARITIMES (avec celles des tanker au GNV)...!
Car il faut savoir que la pollution des océans par nappes d'huile de pétrole de fuites des puits (et dégazages) s'étendant très loin en fines pellicules presque invisibles, les rendraient surchauffés par manque d'évaporation. Comme dans l'Artique (chauffant plus vite) où ces pollutions stagnent via des courants tel que celui du Gulf-Stream (sans parler des pollutions de micro-plastiques !§!).
Hors, quand on sait que la planète est recouverte à 70% d'eau et que l'eau absorbe... jusqu'à 35 fois plus de CHALEUR que ne le peut l'air sec..., la cause principale du réchauffement climatique actuel est vite trouvée (sans parler de l'aggravation additionnelle produite par les gaz à effet de serre...).
Pour cette même raison d'échange thermique efficient de l'eau..., alertons les politiques qui ne sont pas assez conscients de cela, et également du manque d'eau retenue et d'humus sur les continents à rendre plus arborés de partout > https://greenjillaroo.wordpress.com