La dernière centrale électrique au charbon du Royaume-Uni vient de fermer ses portes. Le plus polluant des modes de production d’électricité y est donc définitivement enterré. Pour réussir ce tour de force, cette puissance économique a su saisir toutes les mains tendues du destin.

La Révolution industrielle du XVIIIe siècle est née au Royaume-Uni. À partir de machines à vapeur qui se nourrissaient des ressources en charbon dont disposait alors le pays. Des ressources massives que ces machines, justement, permettaient d’aller chercher toujours plus en profondeur. À partir de 1770, l’exploitation du charbon a connu une croissance exponentielle. Elle s’est poursuivie jusqu’à un pic de 300 millions de tonnes de charbon extrait du sous-sol britannique en 1913. Le charbon était alors bon à presque tout. À partir de 1830, par exemple, il a aidé à soutenir le développement des chemins de fer du Royaume-Uni. Puis, il a commencé à être utilisé pour fabriquer de l’électricité. En 1920, le pays produisait ainsi 4 térawattheures (TWh) d’électricité à partir de charbon. De quoi répondre à 97 % de la demande nationale. Même au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, 90 % de l’électricité produite au Royaume-Uni le restait grâce au charbon. Tout ceci offrant au pays une place de choix au tableau des principaux émetteurs de gaz à effet de serre historique.

Pendant la seconde moitié du XXe siècle, toutefois, les usages autres du charbon hors production d’électricité ont commencé à diminuer. En cause, le déclin du chemin de fer à vapeur, la mondialisation et la désindustrialisation du pays ainsi que la montée en puissance du gaz fossile venu de la mer du Nord.

À lire aussi Ces nouvelles centrales au charbon que le monde continue d’installer à tour de bras

La dernière centrale à charbon du Royaume-Uni a baissé le rideau

Et voici aujourd’hui que la toute dernière centrale à charbon du Royaume-Uni vit ses tout derniers instants. Pour la centrale de Ratcliffe-on-Soar, dans le centre de l’Angleterre, la fin de plus d’un demi-siècle de production. Mais pour le Royaume-Uni, une page d’une histoire longue de 142 ans qui se tourne. De quoi faire du pays, la première des économies majeures, le premier des pays du G7 — d’autres comme la Suède ou la Belgique l’ont également déjà fait — à sortir du charbon. Un clin d’œil à l’histoire puisque le Royaume-Uni avait aussi été le premier pays à produire de l’électricité à partir de charbon.

Depuis 1882, le Royaume-Uni a ainsi, selon une analyse de Carbon Brief, brûlé pas moins de 4,6 milliards de tonnes de charbon. Pour une émission colossale estimée à 10,4 milliards de tonnes de dioxyde de carbone (CO2). Rendant ses centrales à charbon, à elles seules, historiquement plus responsables du réchauffement climatique anthropique qu’un pays comme l’Argentine. Et la fermeture de la centrale de Ratcliffe-on-Soar démontre que, même pour un pays qui a été un temps fortement dépendant, sortir du charbon, demeure possible.

Les effets de la combustion du charbon sur la santé

C’est à 1952 que remonte la prise de conscience des dangers du charbon au Royaume-Uni. Ce mois de décembre là, les Londoniens ont allumé des feux de charbon pour se protéger d’un froid qui s’installait sur la ville. Et un anticyclone a emprisonné l’air pollué des fumées au-dessus de la capitale. Le tout se mêlant aux fumées des usines et formant ce qui reste, dans l’histoire, connu sous le nom de « Great smog » — comprenez, « Grand brouillard ». Selon le Met Office, le service national de météorologie britannique, il a duré 4 jours. Pendant lesquels la population a littéralement étouffé sous jusqu’à 200 mètres d’épaisseur de pollution. Les hospitalisations ont bondi et 4 000 morts lui ont été imputées. En réponse, 4 ans plus tard, le Parlement adoptait le Clean Air Act qui fixait des limites aux émissions.

Il a tout de même fallu attendre 1957 pour que la part du charbon dans la production d’électricité du Royaume-Uni passe enfin sous la barre des 90 %. Même si dans le même temps, la capacité de production d’électricité au charbon continuait de grimper. Jusqu’à 57,5 gigawatts en 1974. La production en elle-même a atteint son pic en 1980 avec 212 TWh. Et en 1990, le charbon comptait toujours pour 65 % de l’électricité produite au Royaume-Uni.

À lire aussi Les centrales à charbon peuvent-elles encore servir ?

Les centrales à charbon responsables de catastrophes environnementales

Ainsi, ni les centrales nucléaires ni les centrales au fioul développées toutes les deux à partir des années 1950 n’avaient réussi à réellement faire décliner le charbon dans le mix électrique du pays. Mais dans les années 1990, un phénomène a provoqué le déclic. Ce phénomène : les pluies acides. Elles étaient alors causées par nos émissions de dioxyde de soufre. Or les centrales à charbon en étaient la principale source. Et les technologies de réduction de ces émissions ont fait grimper les prix. Alors qu’en parallèle, la production d’électricité au gaz fossile apparaissait plus propre — grâce aux turbines à cycle combiné — et devenait moins chère. En une décennie, la part du charbon a été divisée par 2, passant de 65 % en 1990 à 32 % en 2000.

S’en est suivi une phase de stabilisation. Pourtant, au début des années 2000, des objectifs de production d’électricité renouvelable ont commencé à apparaître pour alléger le poids de la production d’électricité nationale sur le changement climatique. Mais il a fallu attendre l’adoption de plusieurs politiques — la mise en place d’un marché du carbone au sein de l’Europe, par exemple, ou encore des contraintes sur la capture et le stockage du CO2 émis — destinées à limiter toujours plus la pollution atmosphérique générée par les centrales de production d’électricité pour qu’une deuxième phase d’élimination du charbon commence. Au moment où le charbon était devenu trop peu compétitif face au gaz fossile, au nucléaire et aux énergies renouvelables. De nouveaux projets nucléaires ont vu le jour. Celui d’Hinkley Point C, notamment. Et les productions renouvelables ont doublé entre 2013 et 2018. Elles ont atteint les 150 TWh en 2024.

Objectif : une électricité zéro carbone d’ici 2030

En parallèle, la consommation d’électricité a diminué au Royaume-Uni dès 2005. Le résultat de mesures d’efficacité énergétique. Mais aussi, de la délocalisation de quelques industries à forte intensité énergétique. En 2015, la part du charbon dans le mix du pays n’était plus que de 22 %. Et l’objectif était fixé de sortir du charbon d’ici 2025. En 2016, le Royaume-Uni a connu sa première heure sans électricité au charbon. Puis sa première journée sans charbon un an plus tard. Sa première semaine sans charbon en 2019. Et un mois entier sans électricité produite à partir de charbon en 2020. En juin dernier, la centrale de Ratcliffe-on-Soar a reçu sa dernière livraison de charbon. Cette centrale, la dernière au charbon du Royaume-Uni, a définitivement éteint la flamme le 30 septembre 2024.

Au fil des décennies, le pétrole, le nucléaire et le gaz fossile ont ainsi chacun joué un rôle dans l’élimination du charbon du mix électrique du Royaume-Uni. Désormais, ce sont les énergies renouvelables qui ont pris le relais. Et notamment la biomasse, dont le recours massif est d’ailleurs très controversé. Leur développement se poursuit et en 2024, elles pourraient avoir assuré environ 50 % de la production d’électricité du pays. Et le National Energy System Operator(NESO) espère qu’en 2025, le réseau fonctionnera au moins une demi-heure sans aucun combustible fossile. Objectif : la décarbonation totale de la production d’électricité dans le pays dès 2030.