« Ce rapport est l’une des entreprises les plus importantes et difficiles dans l’histoire de l’Agence Internationale de l’Energie », affirme Fatih Birol, le Directeur exécutif de l’AIE dans son avant-propos au rapport « Net Zero Emissions by 2050 »[1] publié ce 18 mai. Et de fait, il marque un changement sans retour dans la politique de l’AIE, longtemps accusée par les environnementalistes de ménager la chèvre et le chou, prétendant lutter contre le changement climatique mais ne cessant d’alerter sur le risque de sous-investissement dans le pétrole et le gaz.
L’AIE prône en même temps la fin immédiate du développement des centrales à charbon sans capture de CO2, la fin des ventes de chaudières au fioul ou au gaz dès 2025, l’arrêt des centrales à charbon sans capture dans les pays développés en 2030, la fin du moteur thermique en 2035. Les fossiles dans leur ensemble, qui fournissent aujourd’hui les 4/5 de l’énergie, n’en fourniront plus que 1/5 en 2050, soit pour produire des marchandises contenant du carbone, soit pour des combustions avec capture du CO2, soit pour quelques usages où la décarbonation sera plus difficile et plus lente.
Ce changement d’ère est souligné par une évolution plus discrète mais significative : l’AIE rompt enfin avec les « tonnes d’équivalent pétrole » comme unité de mesure de l’énergie, passant aux Joules et ses multiples, notamment l’exajoule[2]. Alors que la consommation mondiale de pétrole passerait de plus de 90 millions de barils/jour à moins de 25, la référence devenait rapidement obsolète.
Place aux renouvelables !
Les renouvelables devront fournir au monde les deux tiers de son énergie en 2050, l’énergie solaire prenant la première place avec 1/5 du total. 88% de l’électricité sera d’origine renouvelable : les énergies solaire et éolienne produiront chacune 35% de l’électricité mondiale, loin devant l’hydroélectricité (12%), le nucléaire (8%), la bioélectricité (5%), le charbon et le gaz avec capture du CO2 (1% chacun), l’hydrogène (2%). Cela suppose une capacité solaire en 2050 de vingt fois sa production actuelle et une capacité éolienne multipliée par onze, soit des rythmes d’installation qui devront être quadruplés d’ici 2030, comme ils l’ont déjà été entre 2010 et 2020.
La production globale d’électricité sera multipliée par 2,5 en 2050 ; elle fournira alors la moitié de la consommation finale d’énergie, contre 1/5 aujourd’hui. Cette électrification, et les mesures d’économie d’énergie, contribuent à une décroissance continue de l’intensité énergétique de l’économie, de 4% par an jusqu’en 2030, de 2,7% ensuite[3]. Les ventes de voitures électriques seront multipliées par dix-huit en 2030, représentant 60% des ventes, et en 2035 la moitié des camions vendus seront électriques.
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Bref, au cœur de la transition, une électrification accélérée appuyée sur un déploiement rapide des renouvelables électriques, éoliennes et solaires, dont le coût ne cesse de décliner. Un peu d’hydrogène aussi, notamment pour la chimie et la sidérurgie, les cargos, le kérosène des avions et une flexibilité additionnelle dans la production électrique. Représentant en 2050 près de 10% de l’énergie finale, cet hydrogène devrait être majoritairement bas carbone dès 2030, produit à parts égales à partir de fossiles avec capture du CO2, et par électrolyse de l’eau avec de l’électricité bas-carbone – solution qui deviendra ensuite prédominante.
Ce formidable bouleversement nécessitera des investissements importants, jusqu’à 5 mille milliards de dollars par an en 2030 dans les renouvelables, les réseaux électriques, l’électrification des usages, les batteries, la capture du CO2 et l’hydrogène. De quoi augmenter la croissance de 0,4 points de pourcentage, selon l’analyse effectuée avec l’aide du Fonds Monétaire International. Des investissements publics, et des politiques publiques capables d’attirer suffisamment de capitaux privés, seront indispensables.
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Si l’AIE en appelle aux gouvernements et aux entreprises, elle insiste aussi sur la nécessité d’une collaboration internationale renforcée. Et elle est consciente que l’appui des populations sera nécessaire. Elle invite à regarder d’un œil neuf l’alternative « technologies VS changements de comportements ». Si elle n’estime qu’à quelques pourcents la part des réductions d’émissions relevant seulement de changements de comportements (température des logements, choix de la marche, du vélo et des transports en commun, tri des déchets), elle estime que moins de 40% des réductions d’émissions résulteront de l’adoption de technologies bas-carbones sans engagement direct des citoyens ou des consommateurs. Et donc à un peu plus de la moitié celles qui nécessitent à la fois le déploiement de telles technologies et l’implication active des citoyens et consommateurs, pour l’installation d’un toit solaire ou d’une pompe à chaleur, ou l’achat d’une voiture électrique.
La transition créera des emplois – évalués à 14 millions – mais en détruira d’autres : environ 5 millions. Toutefois les emplois détruits sont toujours plus visibles et plus « vocaux » que les emplois créés, il y a donc là un risque majeur de mise en échec de la transition si les gouvernements n’y prêtent pas suffisamment attention et ne mettent pas en place les politiques d’accompagnement nécessaires.
À lire aussi Investir dans une coopérative citoyenne : un placement éthique et rentable À lire aussi La coopérative citoyenne EnerCit’IF installe des centrales solaires sur les toits de Paris[1] En français : Émissions nettes nulles en 2050. Sous-titre : A Roadmap for the Global Energy Sector (Une feuille de route pour le secteur énergétique mondial).
[2] Un exajoule, ou milliard de milliards de Joules, représente 23,88 millions de tonnes d’équivalent pétrole.
[3] L’énergie totale (ou primaire) reste à peu près stable après 2030 malgré la croissance économique, tandis que la consommation finale d’énergie décroît de façon continue de 1% par an jusqu’en 2050.
A quoi sert l’AIE ??? Production éolienne en 2018: 4,8% de l’électricité mondiale. Production totale mondiale en 2050 selon l’AIE multipliée par 2,5 produite par 35% d’éolien. cela nécessite 17 fois la production actuelle et non pas 11 fois (et encore bien plus que ça en réalité car il faudra sans doute tenir compte d’un écrêtage 10% de la production (comme cela a été modélisé par l’Allemagne), de 3% de perte dans les interconnexions de 1000km, et des pertes de stockage par batterie (10%), STEP (20%) ou hydrogène (70%). Que l’AIE explique plutôt ce que l’on peut raisonnablement espérer des… Lire plus »
Le cuivre peut en partie être remplacé par l’aluminium dans les câbles électriques. Et le cuivre est parfaitement recyclable, et pourra donc être récupéré des vieilles machines réformées. J’ai vu une petite centrale hydroélectrique abandonnée depuis 50 ans dans la forêt au pied d’une montagne, les alternateurs sont encore là, tout rouillés et envahis par la végétation, par contre tous leurs enroulements en cuivre avaient disparu, et ce n’est certainement pas la « nature » qui les avait soigneusement démontés!
C’est bien, mais le cuivre est moins efficace que l’aluminium (61% de la conductivité du cuivre).
Pour les minerais, il faut voir les réalités en face : l’augmentation des tonnages à extraire et les plus faibles teneurs (on a grosso modo exploité les meilleures mines) entraîne l’utilisation de davantage d’eau, davantage d’énergie. Entre 2011 et 2014, la consommation d’énergie par tonne de cuivre produite a augmenté de 17%.
Bref, recyclons au maximum… tout en apprenant à consommer moins et mieux. Nous sommes de plus en plus nombreux et de plus en plus consommateurs.
Cet article aurait également pu s’appeler : « Révolution à l’AIE : l’agence se lance dans les énergies renouvelables ! » Selon l’AIE, elles occuperaient en 2050 une place prépondérante, et le nucléaire n’aurait qu’une place minime. Cela devrait inciter nos dirigeants à aller de l’avant et à mettre les bouchées doubles dans les renouvelables pour ne pas, ou ne plus être à la traîne