Début juillet, la commission d’enquête sur « la production, la consommation et le prix de l’électricité aux horizons 2035 et 2050 » a rendu publics ses travaux. Des sénateurs proposent de revoir à la baisse les objectifs de développement des énergies renouvelables et de miser davantage sur le nucléaire. Explications.

La France doit parvenir à la neutralité carbone d’ici 2050. Pour cela, le chef de l’État a donné le cap dès son discours de Belfort en 2022. Il s’agit de relancer l’atome et d’accélérer sur le déploiement des énergies renouvelables. De fait, 6 EPR2 vont être construits sur le territoire et la possibilité d’en installer 8 supplémentaires est étudiée. D’ailleurs, Emmanuel Macron est allé plus loin à l’issue du scrutin européen en affirmant que la France se doterait bien de 14 EPR2. Du côté des énergies renouvelables, dans la lignée du Pacte vert adopté au niveau de l’Union européenne, la France s’est engagée à atteindre 33 % d’énergies renouvelables d’ici 2030 dans le cadre de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC).

Le déploiement des énergies renouvelables fait face à plusieurs défis majeurs

En début d’année, le groupe sénatorial Union Centriste a créé une commission d’enquête pour analyser la production, la consommation et le prix de l’électricité aux horizons 2035 et 2050. Les auditions ont début fin janvier et la commission a rendu ses travaux le 4 juillet 2024. La commission rappelle d’abord le scénario central de la PPE 3 (2024-2035) mise en consultation qui prévoit les objectifs suivants :

La commission admet qu’il faut continuer à développer les énergies renouvelables, mais dans un « déploiement raisonnable et équilibré ». On sent une certaine retenue à l’égard des énergies renouvelables, que le rapport justifie par plusieurs raisons. D’abord, l’éolien en mer doit faire face à des défis en termes de coûts, de maturité technologique et d’acceptabilité qui freinent son développement. L’hydroélectricité fait face à un conflit avec la Commission européenne qui met en attente les acteurs de la filière et empêche le développement de nouveaux projets.

Par ailleurs, la commission pointe du doigt le manque de souveraineté industrielle dans la filière photovoltaïque, en raison du marché fortement dominé par les fabricants chinois. Les sénateurs relèvent également les difficultés liées à l’acceptabilité des projets par les Français ainsi que les délais administratifs particulièrement longs, même si les pouvoirs publics ont tenté d’y remédier avec la loi d’accélération des énergies renouvelables adoptée en mars 2023.

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L’avenir du mix électrique dominé par le nucléaire

Dans ce contexte, les sénateurs esquissent l’avenir du mix électrique français en rappelant d’abord que l’électrification massive des usages va faire augmenter sensiblement la consommation d’électricité à hauteur 615 TWh en 2035 et 700 TWh en 2050, selon leurs propres estimations. Pour comparer, il faut savoir que le scénario Futurs Énergétiques 2050 du gestionnaire de réseaux RTE estime un niveau de consommation électrique de 645 TWh en 2050 (scénario de référence).

Les sénateurs estiment que « la production annuelle pourra s’appuyer sur l’ensemble du parc nucléaire actuel », ajoutant que « tous les réacteurs actuels devraient pouvoir voir leur durée de fonctionnement prolongée au moins jusqu’à 60 ans ». La commission reconnaît que cette hypothèse est « l’un des paramètres cruciaux du scénario retenu par la commission d’enquête ». Il faut espérer à ce titre que les réacteurs vieillissants ne connaissent pas à nouveau les déboires vécus, il n’y a pas si longtemps, avec le phénomène de corrosion sous contrainte qui a conduit à l’arrêt de plusieurs réacteurs, fragilisant la production électrique. En outre, les 14 réacteurs supplémentaires envisagés par les pouvoirs publics sont indispensables selon le rapport sénatorial, tout comme la relance de la filière des réacteurs de quatrième génération, celle des réacteurs à neutrons rapides (RNR).

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La nécessité de décaler les objectifs de déploiement des ENR de 2035 à 2050

Le rapport sénatorial se penche également sur les énergies renouvelables et « estime que les trajectoires et objectifs affichés par le gouvernement à l’horizon 2035 sont à la fois irréalistes et trop élevés par rapport au besoin réel prévisible ». La commission critique notamment les coûts importants engendrés par le déploiement des énergies renouvelables afin d’adapter le réseau électrique en conséquence. Elle insiste sur l’éolien en mer dont les objectifs de déploiement seraient « très incertains » et les prévisions de développement des capacités photovoltaïques d’ici 2035 prévues par le gouvernement seraient « nettement exagérées ».

La commission recommande donc de décaler les objectifs de déploiement prévus pour les énergies renouvelables en 2035 à 2050, ce qui provoquerait un ralentissement de leur développement. Ainsi, il conviendrait d’atteindre 10 GW de puissance installée pour l’éolien en mer d’ici 2035 au lieu de 18 GW prévus dans la PPE3 et 50 GW pour le photovoltaïque et non une fourchette comprise entre 75 et 100 GW prévus par la PPE3. Le seuil serait de 42 GW pour l’éolien terrestre, ce qui reste cohérent avec les 40-45 GW prévus par la PPE3. Quant à l’hydroélectricité, la commission sénatoriale n’envisage qu’une hausse de 1 GW de puissance installée sur la période, en raison « des incertitudes qui pèsent toujours sur la résolution du contentieux avec la Commission européenne ».

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Ainsi, en 2035, le mix électrique serait dominé par le nucléaire, à hauteur de 60 % environ. Le photovoltaïque et l’hydroélectrique plafonneraient autour de 9 %. L’éolien en mer s’établirait à 5 % environ contre près de 14 % pour l’éolien terrestre. En comparaison, le mix électrique français se décomposait de la façon suivante en 2023 pour les sources d’énergie qui nous intéressent ici : 65 % pour le nucléaire, 10 % pour l’éolien (terrestre et en mer), 12 % pour l’hydraulique, 4,4 % pour le solaire (source : RTE).

Ce rapport a pour objectif d’éclairer l’action publique sur les décisions à prendre pour l’avenir énergétique français. Pour l’heure, on ignore quel sera son impact, au vu du contexte politique français, au lendemain des élections législatives qui vont provoquer un changement de gouvernement.