Les cheminées d'une centrale au charbon / Image : Getty - Canva.
Dans son dernier rapport publié le 20 mars 2023, l’Agence internationale des énergies renouvelables (IRENA) relève que la puissance installée des ENR avait augmenté dans le monde de 9,6 %, atteignant 3 372 GW, soit 295 GW de plus par rapport à 2021. L’Asie représente quasiment la moitié du total avec 1 630 GW. Ce satisfecit correspond-il à la réalité ?
Avec la crise énergétique qui sévit dans le monde, certains pays optent pour les renouvelables, mais, selon le dernier rapport de l’IRENA, cela demeure insuffisant, puisqu’il faudrait que la cadence triple d’ici 2030, si l’on veut limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C. Le rapport souligne que cette évolution concerne trois régions du monde : Asie, États-Unis et Europe. L’Afrique et l’Amérique latine restent le parent pauvre.
Dans son exposé, l’agence internationale analyse cette évolution par catégories. Ainsi, l’hydraulique reste, avec une puissance de 1 250 GW, l’énergie renouvelable la plus répandue dans le monde, avec une augmentation de 2 %. Par ailleurs, les résultats de l’éolien sont loin des attentes par rapport aux deux dernières années. Sa progression pendant la même période n’a pas dépassé les 9 %. C’est aussi le cas de la géothermie, dont la puissance supplémentaire installée s’est élevée de seulement 181 MW. Quant aux bioénergies, la filière et passée de 8 % en 2021 à 7 % en 2022.
À lire aussi Ces géants du pétrole qui retournent vers les énergies fossiles malgré des profits recordsLe solaire s’est envolé à 191 GW, avec une prédominance évidente du photovoltaïque par rapport au thermique. Cela dit, toutes ces avancées sont jugées insignifiantes par les acteurs, observateurs et scientifiques. Ces derniers ne cessent d’alerter sur la hausse accrue de l’utilisation des énergies polluantes, issues des fossiles, arguant du fait que les énergies renouvelables ne dépassent pas un huitième des énergies globales consommées dans le monde.
Les énergies fossiles toujours imbattables ?
Avec la crise énergétique mondiale de 2021-2023, provoquée par la relance économique post-Covid, et amplifiée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie en mars 2022, les pays du monde ont vu leur demande en énergie augmenter. En fin 2021, l’industrie mondiale avait besoin de 6 % de plus d’électricité, soit 1 500 TWh. Ce qui contraint tant de pays à recourir davantage aux énergies conventionnelles, souvent en contradiction avec les engagements signés dans le cadre des conventions internationales.
D’ailleurs, la consommation des énergies fossiles ne cesse d’augmenter, malgré tous les efforts de transition énergétique menés à travers le monde. Elle est passée de 3,6 milliards de tonnes métriques début des années 2000 à 4,3 milliards de nos jours, soit une demande de 102 millions de barils/jour en 2023.
À lire aussi Ce traité veut éradiquer définitivement les énergies fossilesDurant la même période, suite au déconfinement, la demande mondiale en kérosène a pratiquement doublé. Conséquence de cette demande accrue des énergies fossiles : le niveau d’émissions de gaz à effet de serre a atteint des records, malgré un ralentissement de l’industrie pendant la crise sanitaire. L’Organisation météorologique mondiale (OMM) note, à ce propos, que jamais la progression annuelle des concentrations de méthane n’a été aussi forte depuis 40 ans, et que le taux d’accroissement du dioxyde de carbone dépasse la moyenne.
Commentaires
Attention toutefois, derrière ce tableau sombre il y a de très bonnes nouvelles pour l'année 2022 et pour les premiers mois de l'année 2023. Je vous renvoie aux analyses d'Ember sur la production d'électricité mondiale https://ember-climate.org/insights/research/global-electricity-review-2023/ (et européenne https://ember-climate.org/insights/research/european-electricity-review-2023/) qui montre que la part de renouvelable dans le mix électrique mondial n'a jamais été aussi haut, va continuer d'accélérer et que l'utilisation du charbon dans la production électrique devrait diminuer dès cette année (sans pour autant que cela bénéficie au gaz). Au niveau européen, Ember prévoit par exemple une chute de 20% de l'utilisation des fossiles dans la génération d'électricité.
C'est bien sûr frustrant que ces tendances n'aillent pas plus vite, mais c'est déjà un développement très rapide vu l'échelle du problème. La rapidité de développement et surtout le LCOE de l'éolien et du solaire est assez extraordinaire ce qui permet ce changement somme toute rapide :)
Votre ember, comment elle fait pour pallier l'intermittence des enr?
Mon Ember :) ? Les travaux d'analyse d'Ember (autrefois Sandbag) s'appuyent sur des données publiques et les analyses d'autres organismes (GIEC/IPCC, AIE, ...), dans la review que je cite au-dessus il ne s'agit pas pour 2022 de prévisions mais de constation des faits (la prédiction c'est la chute de 20% de la part du fossile en 2023 dans le mix éléctrique européen).
Donc dans l'analyse en question il n'y a pas de discussion sur l'intégration des EnR intermittentes dans le réseau. Par contre on peut constater dans le rapport que la part du solaire et de l'éolien augmente rapidement et atteint maintenant plus de 60% au Danemark par exemple, 35% au Portugal, plus de 30% en Allemagne et 29% au Royaume-Uni). Donc ces pays sont bien engagés dans l'intégration des EnR intermittentes (ces chiffres correspondent au total de l'énergie produite sur l'année, donc il y a des moments où une part de la consommation instantanée est bien plus importante, ou bien moindre, que la moyenne annuelle produite).
L'intégration des EnR intermittentes au réseau, qui semble être le coeur de votre question, est un sujet abordé (en proposant des solutions concrètes) par de nombreux acteurs :
- le rapport futurs énergétiques de RTE (https://assets.rte-france.com/prod/public/2021-10/Futurs-Energetiques-2050-principaux-resultats_0.pdf), centré sur la France, donne 6 scénarios avec des quantités de renouvelables intermittents qui varient entre 40% et 95% de la production annuelle selon les scénarios.
- Sur la France toujours, le sujet est aussi abordé en détail avec Cédric Philibert dans le premier podcast de revolution énergétique (https://open.spotify.com/episode/0fs7mZXFCNYdCTyuih2K4Y?si=WQDFAhatQzqW1elcTrINeg).
- Au niveau mondial, Mark Z Jacobson et son équipe, basé à Stanford est reconnu internationalement pour ses travaux sur le sujet (voir 100% Clean, Renewable Energy and Storage for Everything (https://www.cambridge.org/highereducation/books/100-clean-renewable-energy-and-storage-for-everything/26E962411A4A4E1402479C5AEE680B08#overview), une analyse très détaillée du sujet) dans lesquels des solutions possibles sont données pour chaque pays du monde.
- Les travaux du GIEC/IPCC détaille également différents scénarios d'intégration des renouvelables aux différents réseaux.
- RethinkX (Tony Seba), décrit un scénario 100% éolien, solaire et batteries (https://www.rethinkx.com/energy).
- Récemment, Tesla a aussi produit leur propre analyse du sujet dans leur rapport d'impact 2022, qui donne une solution similaire (https://www.tesla.com/ns_videos/2022-tesla-impact-report-highlights.pdf).
Je ne peux raisonnablement pas donner l'ensemble des arguments détaillés dans ces rapports dans une réponse de commentaire, mais les grandes lignes sont généralement celles-ci:
- Stockage : l'utilisation de moyens de stockage de l'électricité (STEP, batteries statiques, V2G, batterie par concentration d'air ou de CO2 (comme le très prometteur Energy Dome https://energydome.com/)), et de stockage de chaleur (aquifère, stockage géothermique de la chaleur (https://www.revolution-energetique.com/voici-le-premier-stockage-souterrain-de-chaleur-bas-carbone-en-france/), stockage céramique (voir reportage de Révolution Énergétique sur le sujet https://youtu.be/XLaBkzDg0Jw), stockage sable chaud, stockage eau chaude (voir reportage Révolution Énergétique https://youtu.be/9tgIEXap7nw)) jouent un rôle important pour emmagasiner les surplus de la production gratuite (en production) et décarbonnée des EnR intermittentes. Ce n'est pas un scénario de science-fiction, je vous invite par exemple à consulter electricitymaps (https://app.electricitymaps.com/map) pour voir en temps réel que la Californie, dès aujourd'hui, décale suffisament de production solaire grâce à ses batteries pour couvrir presque 10% de sa consommation d'éléctricité sur les 4h suivants le couché du soleil, et ce n'est que le début de ce type de phénomène.
- Gestion de la demande : la gestion de la demande, qui correspond à déplacer la consommation pendant les phases de production est aussi un méchanisme important d'intégration de l'intermittence des EnR. Cela n'implique pas forcément d'actions directes de la part du consommateur, mais plutôt de configurer certaines opérations qui se déclencheront automatiquement. Dans plusieurs pays européens où les consommateurs peuvent bénéficier d'une tarification de l'éléctricité à l'heure, on peut déjà automatiquement mettre en place la charge de sa voiture éléctrique ou le chauffage de son ballon d'eau chaude pendant les heures les moins chères de la journée (on peut faire ça en France avec le tarif heure pleine/creuse également, mais de manière moins optimisée qu'avec un tarif horaire). Plusieurs distributeurs d'électricité britanniques (British Gas, pour sa partie éléctricité, et Octopus Energy en particulier) ont également déjà des programmes où ils envoient une notification à leurs utilisateurs leur proposant de dépenser moins d'électricité sur certaines plages horaires en échange d'une compensation pécunière. Ces opérateurs ont prouvés qu'ils pouvaient déplacer des puissances de l'ordre de plusieurs centaines de MW sur plusieurs heure par ces méchanismes, qui n'en sont encore qu'à leurs débuts.
- Foisonnement et interconnexions: l'intermittence n'est pas la même partout, et si le vent ne souffle pas dans le nord de la France, il peut tout à fait souffler dans l'ouest. On parle de facteur de charge de ~25% pour l'éolien terrestre (~45% pour l'éolien offshore) mais ce n'est pas l'ensemble des éoliennes qui s'arrête à l'échelle d'un pays quand il n'y a pas de vent, le phénomène s'observe plutôt sur de larges régions (de même manière pour du photovoltaïque, pendant la journée l'ensoleillement, et donc la production, va varier d'une région à l'autre). Ainsi, on peut compter sur le foisonnement (ce phénomène d'intermittence régionalisé) pour avoir toujours une production même si une partie de la génération est interrompue. De la même manière, grâce à des interconnexions entre pays voisins, on peut vendre de l'électricité renouvelable intermittente en surplus ou acheter celle des voisins en cas de besoin. Les interconnexions (HVDC surtout), sont en augmentation importantes de par le monde, avec de nombreux projets à des échelles intra-continentales (la France a déjà plus de 15GW d'interconnexions installées, et plus dans les cartons) et même à l'échelle inter-continentale (plus exotique mais il y a par exemple le Sun Cable Australie-Singapour https://suncable.energy/, le cable sous-marin entre le Maroc et le Royaume-Uni pour transporter 4GW de solaire (https://xlinks.co/morocco-uk-power-project/) et il y a aussi un projet de cable Canada-Royaume-Uni en discussion par exemple).
- Utilisation d'énergie pilotable de suivi de pic dans les rares cas (quelques jours par an, selon les pays) où aucune des solutions ci-dessus ne parvient à couvrir l'ensemble de la demande. Des centrales à gaz utilisant de l'hydrogène vert (c'est-à-dire produit à partir de surplus de renouvelable) sont souvent citées. Je tiens à préciser que cet outil n'est pas présent dans tous les scénarios car plusieurs acteurs pensent que cela ne sera pas nécessaire. Même si cela s'avère nécessaire cette production devra être réservée uniquement pour les quelques jours où le réseau ne peut pas couvrir la demande autrement (voir points ci-dessus) étant donné que la production et l'utilisation d'hydrogène vert est nécessairement très chère au kWh produit par rapport à l'utilisation directe de l'électricité verte.
Regardez les pays et territoires à plus de 50% d'EnR variables qui semblent bien s'en sortir et baisser progressivement et rapidement l'intensité CO2 de leur élec : Australie Méridionale, Nordeste au Brésil ou très prochainement le Danemark, l'Espagne ou les Pays Bas
En effet :) J'ai rajouté des détails allant dans votre sens ci-dessus dans ma (longue) réponse au premier commentaire. En espérant que sa lecture (et surtout les liens dedans) puisse vous être utile ! J'ajoute que le Danemark est déjà à 61% de solaire et éolien en 2022 d'ailleurs ;)
Pas si facile que ça, aux pays-bas les prix deviennent de plus en plus souvent négatifs, les installations solaires sont régulièrement déconnectées et leurs proprios sont en colère. Quant à l'Allemagne, elle va ouvrir 15 nouvelles centrales à gaz.
L'Allemagne va fermer plus de capacités charbon qu'elle n'ouvrira de capactiés gaz. Aux Pays Bas, les installations solaires restent encore très soutenues. Vous n'aimez pas les bons arguments ni les faits
Je vous signale au cas où, et contrairement à ce que les allemands prétendent, le gaz naturel n'est pas une énergie verte...
Vous n'avez pas compris ce que j'ai dit apparemment. Les allemands augmentent leurs capacités en gaz, ils baissent celles en charbon plus vite. Moins de capacités fossiles globalement. De plus, capacité gaz veut dire 1) moins de CO2 que charbon même si gaz fossile n'est pas bon du tout et 2) Les capacités gaz peuvent être utilisées à terme par du biogaz (c'est déjà en partie le cas) et du gaz produit en power2gas par les excédents éoliens et solaires.
Biogaz, power2gaz, hydrogène... pour le moment, les ordres de grandeurs ne collent pas du tout avec le besoin.
Pour ne pas être déçut, il vaut mieux partir du principe qu'une centrale gaz actuelle tournera toute sa vie sur du gaz fossile.(ce qui est peut être mieux que le charbon, mais pire que plein d'autres choses).
On leur estime un facteur de charge de 14% et 10% sera du biogaz avec la production actuelle (qui pourrait augmenter)
Bref, l'Allemagne n'est pas prête de rattraper la France dont les émissions de CO2 sont parmi les plus faibles des pays développés.