Près d’un an après la signature de leurs contrats de transition écologique avec l’État, les 50 sites industriels les plus émetteurs de gaz à effet de serre en France progressent, mais lentement. Selon une enquête de L’Usine Nouvelle, bien que certains avancent dans leurs projets de décarbonation, les décisions d’investissement les plus cruciales restent en attente.
Cinquante sites industriels français représentent 12 % des émissions nationales (voir la carte). L’année dernière, ils se sont engagés avec l’État à réduire leurs émissions de CO₂ de 45 % d’ici 2030 par rapport à 2015, avec l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050.
Des industries volontaires sur le papier
D’un côté se trouvent les industriels en marche vers la réduction de leurs émissions. Xavier Galliot, responsable du développement durable chez Roquette, témoigne auprès de l’Usine Nouvelle : « Ces feuilles de route ont créé les conditions de l’action. On est maintenant lancé et on garde le tempo. » La société prévoit de réduire ses émissions de 165 000 tonnes de CO₂ grâce à des projets de biomasse et d’optimisation des procédés. L’Usine Nouvelle rappelle que les discussions sur l’émergence d’une filière locale de biomasse prennent du temps, et les industriels doivent également établir des partenariats à long terme pour sécuriser leurs approvisionnements.
Pour accélérer le processus, plusieurs industriels suggèrent d’instaurer des mécanismes de valorisation pour les produits écologiques. Comme l’explique Jacques Chanteclair de Lhoist, « nous produirons significativement plus cher, mais il y a un marché pour la chaux verte dans certaines applications. »
Parmi les autres entreprises ayant présenté une feuille de route, Eqiom. Ils ont démarré la construction d’un nouveau four pour leur cimenterie, permettant une réduction de 20 % des émissions de CO₂ par tonne de clinker. D’autres, comme Heidelberg, renforcent leur efficacité énergétique avec des investissements significatifs.
À lire aussi Ce système peut récupérer et stocker de la chaleur fatale jusqu’à 1 000 °CPeu d’actions réelles
Toutefois, malgré ces avancées, l’absence de décisions d’investissement pour des projets structurants est inquiétante. Aucune des entreprises interrogées par l’Usine Nouvelle n’a encore confirmé des investissements majeurs, malgré des discussions en cours.
Le flou politique entre juin et septembre a exacerbé cet attentisme. Les industriels attendent des subventions publiques pour des projets de plusieurs centaines de millions d’euros, comme l’explique Antoine Hecker, responsable de la transition énergétique chez Lat Nitrogen : « Le groupe ne se lancera pas sans assurance de financement public. » Cette incertitude affecte directement la rentabilité de projets cruciaux, alors que des solutions technologiques demeurent encore peu matures.
La question du financement est primordiale. Les industriels dépendent fortement des subventions de l’État pour rentabiliser leurs projets, d’autant plus que le cadre de régulation des prix de l’électricité après 2025 laisse présager un coût élevé. « Avec un prix du gaz autour de 30 à 40 euros le MWh, il est bien plus rentable de produire avec des énergies fossiles que d’utiliser de l’électricité à 70 euros le MWh », observe un industriel.
Plus le temps de tergiverser
Les projets de décarbonation doivent s’accélérer, car le temps presse. Nicolas Broutin, de Yara France, prévient : « Le temps que l’on perd pour décider des investissements commence à peser. » Alors que la baisse progressive des quotas carbone gratuits se profile, polluer coûtera de plus en plus cher. Les entreprises européennes seront mises sur un même pied d’égalité avec les importations européennes, avec l’introduction des quotas carbones aux frontières. Peut-être une concurrence au plus vert s’installera dans l’UE et le débat se déplacera des financements publics aux solutions, disponibles et moins onéreuses ces prochaines années.