Installation de panneaux solaires sur le toit d'un bâtiment en Californie / Image : Dept of Energy Solar Decathlon - Flickr.
La lutte politique entre le Congrès américain et la Maison-Blanche est vieille comme la démocratie en Amérique. L’escarmouche actuelle concerne la protection de l’industrie solaire américaine vis-à-vis de la concurrence étrangère. Plongeons-nous dans cette bataille politique qui secoue la transition énergétique étasunienne.
La passe d’armes commence le 6 juin 2022 alors que l’administration Biden annonce un large éventail de mesures destinées à stimuler la production d’énergie solaire sur le territoire des États-Unis d’Amérique (le « Made in America »). Parmi les mesures, on compte notamment l’utilisation du Defense Production Act (DPA) pour stimuler la production nationale d’un ensemble de produits estimés nécessaires à la transition énergétique : panneaux photovoltaïques et leurs composants, isolation des bâtiments, pompes à chaleur, matériaux rares et composants pour les piles à combustible et enfin composants stratégiques nécessaires au réseau électrique comme les transformateurs.
Une autre mesure, plus contestée, concerne une exemption de taxe douanière pour les composants de panneaux solaires provenant du Cambodge, de Malaisie, de Thaïlande et du Vietnam, taxes définies dans le cadre de réglementations antidumping. Cette mesure apparaît en premier lieu contreproductive par rapport à l’objectif de made in America, puisqu’elle facilite les importations depuis ces pays d’Asie du Sud-Est. Le gouvernement Biden a toutefois défendu que cette exemption ne dépasserait pas 24 mois, le temps que se construise la filière nationale, et qu’elle permettrait en même temps de soutenir la très forte croissance de l’industrie solaire américaine.
De fait, les États-Unis sont en train de tripler la capacité de fabrication de panneaux photovoltaïques sur leur sol, passant de 7,5 GW/an en 2022 jusqu’à 22,5 GW/an prévus en 2024. Mais tous les composants ne sont pas produits sur le sol américain.
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Le 28 avril 2023, la Chambre des Représentants approuve une résolution abrogeant cette exemption de taxe douanière pour les quatre pays d’Asie du Sud-Est ; douze démocrates se sont joints aux républicains en faveur du projet de loi, tandis que huit républicains ont voté contre. Le 3 mai 2023, le Sénat approuve une résolution similaire, adoptée par 56 voix contre 41. Neuf démocrates se sont joints aux républicains pour l’approuver, et un républicain a voté contre.
Il s’agit donc d’une opposition bipartisane forte du législateur à la volonté de l’exécutif. Elle marque l’intérêt de plus en plus fort du Congrès pour le découplage de la chaîne d’approvisionnement des États-Unis par rapport à la Chine. En effet, les mesures liées à la transition énergétique font l’objet de critiques de plus en plus intenses selon lesquelles les subventions américaines, payées par le contribuable américain, profitent à l’industrie et aux emplois chinois. Et parmi ces critiques, les produits importés depuis les pays d’Asie du Sud-Est sont dénoncés comme des produits chinois déguisés, puisqu’ils seraient uniquement terminés dans ces pays à partir de composants chinois.
Rappelons que dans un contexte de forte hausse de la capacité de production de panneaux photovoltaïques au niveau mondial, la protection des filières nationale sera un enjeu de plus en plus fort.
Le véto du Président Biden
L’industrie solaire américaine, elle, défend qu’elle a besoin de ces importations de composants asiatiques pour pouvoir proposer des panneaux photovoltaïques à un prix bas et permettre ainsi les objectifs ambitieux d’installation de capacité solaire. Abigail Ross Hopper, présidente de l’Association des industries de l’énergie solaire (SEIA) a ainsi déclaré que la perte de l’exemption de droits de douane sur ces composants menacerait 30 000 emplois aux États-Unis.
Le 16 mai 2023, le Président Joe Biden oppose son véto au projet de loi bipartisan du Congrès, tout en donnant des gages sur le fait que l’exemption ne serait pas prolongée au-delà des deux ans initialement prévus. Pour outrepasser ce véto présidentiel, il faudrait une majorité des deux tiers à la Chambre des représentants et au Sénat, lesquels ne seront vraisemblablement pas obtenus. L’exemption de taxes douanières du Cambodge, de Malaisie, de Thaïlande et du Vietnam sur les composants solaires sera donc maintenue.
À lire aussi Où se situera la plus grande usine de panneaux solaires de France avec ses 10 000 employés ?La transition énergétique vise entre autres objectifs à atteindre une forme d’indépendance énergétique. Cette question peut être vue sous différents angles : faut-il favoriser l’installation rapide de panneaux photovoltaïque pour produire le plus vite possible le plus d’énergie solaire, quitte à rester dépendant des fabricants de ces mêmes panneaux ? Ou mieux vaut-il une croissance plus lente de la production d’énergie solaire, mais qui permette de s’assurer que la chaîne d’approvisionnement favorise l’industrie intérieure et ne conduise pas à subventionner ses propres concurrents ? Une question de tempo, en somme. Une question évidemment difficile à trancher comme nous le montre cette passe d’armes entre la Maison-Blanche et le Congrès.
Commentaires
Si vous regardez le site eco2mix, vous allez constater que les prix de l'électricité sont régulièrement négatifs l'après-midi en raison d'une nette surproduction photovoltaïque. Les producteurs doivent alors payer pour qu'on les débarrasse d'un surplus d'électricité qui menace de faire disjoncter le réseau.
Donc la réponse est qu'il vaut mieux privilégier une croissance lente et raisonnée plutôt que le fleuve de subventions qui s'est déversé en Europe depuis 20 ans.
Bonjour Karim,
je suis assez d'accord avec vous : les transitions se passent mieux quand elles sont moins brutales. Il est possible également que la tension sur les fournitures d'hydrocarbures poussent à une certaine frénésie du côté occidental.