Dans une centrale de stockage hydroélectrique, le turbinage désigne le processus où l’eau est libérée d’un réservoir supérieur pour passer à travers des turbines, entraînant un générateur afin de produire de l’électricité. À l’inverse, le pompage remonte l’eau vers ce même réservoir. En temps normal, ces deux opérations ne peuvent pas se dérouler simultanément. Cependant, afin d’optimiser le fonctionnement des centrales, un système de pompage et turbinage simultanés a déjà été expérimenté dans l’une de nos installations en France, et les résultats se sont avérés prometteurs. 

La décarbonation des systèmes énergétiques s’appuie largement sur l’intégration des énergies renouvelables, notamment le solaire et l’éolien. Toutefois, cette transition soumet à rude épreuve certaines infrastructures électriques existantes, dont les stations de transfert d’énergie par pompage-turbinage (STEP). Historiquement, ces centrales de stockage étaient utilisées pour accumuler l’énergie durant la nuit et les weekends, pour ensuite la libérer pendant les jours ouvrés.

Cependant, avec l’arrivée des énergies renouvelables, le cycle de stockage et de déstockage des STEP a évolué pour répondre à l’intermittence du solaire et de l’éolien. Ces centrales doivent maintenant accumuler de l’énergie lorsque le soleil brille ou que le vent est fort, et pallier les déficits lorsque ces sources ne suffisent pas. Face à ces nouveaux défis, des améliorations infrastructurelles sont nécessaires. C’est dans ce contexte que s’inscrit l’une des initiatives du projet européen Xflex Hydro centré sur l’hydroélectricité. Dans ce cadre, un concept de pompage et turbinage simultanés (PTS) a été expérimenté à la STEP de Grand’Maison, en Isère, dans le but d’y apporter une mise à niveau afin de mieux correspondre au changement du paysage énergétique.

À lire aussi Il fabrique sa centrale hydroélectrique avec une imprimante 3D

Un court-circuit hydraulique

La centrale de stockage de Grand’Maison est la plus grande STEP de l’Union européenne avec une puissance de 1800 MW. Elle dispose de 12 turbines, dont 8 sont réversibles. C’est en 2021 que l’équipe de Xflex Hydro y a testé ce que l’on appelle un « court-circuit hydraulique ». Cette technique consiste en la réalisation simultanée de pompage et de turbinage avec deux unités différentes. Cela est possible grâce à la configuration des conduites d’eau, car celles-ci se croisent en certains points. Pendant le pompage, l’eau qui atteint ces intersections est donc partiellement redirigée : une partie monte vers le bassin d’eau supérieur tandis que l’autre est déviée vers une turbine pour générer de l’électricité. Grâce à cette méthode, 40% du pompage s’effectue en TPS.

À lire aussi Stockage d’énergie : voici la première STEP marine en projet en France

Un soutien au réseau électrique et une réduction des émissions

Le principal intérêt du PTS est le soutien qu’il offre au réseau électrique en aidant à en maintenir l’équilibre. En temps normal, lors des phases de pompage, la STEP ne peut réguler la fréquence du réseau, qui doit être constamment maintenue à 50 Hz. Cette régulation n’est possible que durant le turbinage. Selon Xflex, le PTS a permis à Grand’Maison de gagner une réserve (ou puissance) d’équilibrage de 240 MW. En cas de surproduction d’électricité, ou de trop forte demande, cette réserve est activée afin de stabiliser le réseau. Les 240 MW supplémentaires correspondraient à 20 % du besoin français en matière de puissance d’équilibrage. En outre, le système pourrait remplacer les centrales fossiles, avec un potentiel d’économie d’environ 90 000 tonnes de CO2 par an en se substituant des centrales à gaz.

À lire aussi À quoi sert cet énorme trou béant creusé il y a 50 ans par EDF ?

La gestion des risques du système PTS

La complexité de la modification apportée au système de stockage de Grand’Maison a exposé l’installation à de sérieux défis. La démonstration de concept réalisée en 2021 avait pour but d’évaluer l’impact de la technique de PTS sur les infrastructures existantes. Cette évaluation a porté sur plusieurs facteurs, tels que les effets de la haute pression et les changements dans le cycle de l’eau. Pour vérifier la compatibilité du système avec le PTS, des simulations numériques ont été employées, permettant d’analyser le comportement dynamique de l’installation. Les résultats ont indiqué que la centrale résiste bien aux pressions élevées requises et que les ajustements apportés restent dans les limites acceptables.

Par ailleurs, des simulations de divers scénarios de PTS ont également été réalisées pour anticiper les risques potentiels. Parmi les risques envisagés, la perte d’énergie était plausible, mais elle s’est révélée minime pour Grand’Maison. Et bien que le PTS puisse influencer la stabilité des flux, les simulations ont montré que les impacts étaient négligeables.

Suite à la validation du concept pour Grand’Maison, EDF prévoit désormais de le mettre en pratique dans la centrale de stockage de Super-Bissorte, en Savoie.