Non, l’extraction des minéraux pour les énergies renouvelables ne menace pas des millions de km²


Non, l’extraction des minéraux pour les énergies renouvelables ne menace pas des millions de km²

Une mine de cuivre en Nouvelle-Galles-du-Sud (Australie) / Image : Getty - Canva.

« L’extraction des matériaux nécessaires à la production solaire et éolienne menacerait environ 40 millions de kilomètres carrés (km²) sur notre Terre et au fond de nos mers, selon cet article de la revue Nature » : voilà ce qu’on pouvait lire dans notre article « Nucléaire et énergies renouvelables : si l’on arrêtait de les opposer ? » publié le 4 février dernier. Louable intention, devant la menace des dérèglements climatiques il faut faire, si j’ose, feu de tout bois.

Estomaqué par ce chiffre considérable, j’ai voulu y aller voir de plus près. Nature, a priori, c’est du sérieux, une des plus prestigieuses revues scientifiques à comité de lecture, Nature ne publie pas n’importe quoi. D’un autre côté, 40 millions de km², c’est beaucoup, les terres émergées comptant 150 millions de km² – mais peut-être est-ce « le fond de nos mers » que l’extraction des matériaux menace surtout, les océans couvrant 360 millions de km² ?

Publicité

Cet article de l’université du Queensland en Australie qu’a donc publié Nature en septembre 2020 prétend cartographier les aires minières et évaluer leur coïncidence spatiale avec les sites et priorités de conservation de biodiversité. Ses auteurs affirment que l’extraction affecte potentiellement 50 millions de km² de la surface de terres fermes, dont 8 % coïncident avec des aires protégées, 7 % avec des zones clés de biodiversité, et 16 % avec des zones restées sauvages.

Conclusion : les « menaces pour la biodiversité vont augmenter alors que davantage de mines visent des matériels nécessaires à la production d’énergie renouvelable et, sans planifications stratégique, ces nouvelles menaces pour la biodiversité peuvent surpasser celles que l’atténuation des changements climatiques peut éviter. »

À lire aussi Éoliennes et métaux rares : rumeurs et réalités

Une hypothèse surprenante

Notre hypothèse sur le fond de nos mers s’écroule : l’extraction menace potentiellement 50 millions de km², soit un tiers des terres émergées. Comment ce chiffre est-il construit ? D’abord, par l’hypothèse que les impacts s’étendent dans un rayon de 50 km des sites miniers : chaque mine affecte donc 3,14 × 502 = 7 850 km². Cette hypothèse étonne beaucoup les relecteurs : « Elle semble entièrement arbitraire », car oui, tout le dialogue entre les auteurs de l’article et les relecteurs sollicités par Nature est en ligne dans l’information supplémentaire.

Seconde hypothèse, la plupart de ces mines produisent des matériaux critiques pour la production d’énergies renouvelables. Un supplément nous permet de lister ces mines. Il y en aurait 25 594 produisant donc des matériaux « critiques pour les renouvelables », et 9 195 des matériaux « non critiques pour les renouvelables » (charbon, phosphates, potasse, uranium, etc.). Heureusement, très souvent les zones d’impact de plusieurs mines se recouvrent, faute de quoi elles couvriraient 200 millions de km² de terres émergées, soit… plus qu’il y en a. Mais plus les mines sont proches, plus la biodiversité est menacée. C’est sans espoir !

À lire aussi La transition énergétique va-t-elle manquer de matières premières ?

Une autre étude récente, dont la plupart des auteurs sont de l’Université économique de Vienne, affirme que sur un total de 35 000 mines connues (à peu près le même chiffre), seules 6 000 ont été actives au moins un temps entre 2000 et 2017 – et incluant le charbon, les phosphates, etc. soit sans prétendre distinguer les mines ayant à voir avec la transition.

Cette étude évalue les surfaces concernées, sur la base de données satellitaires et en montrant qu’en général une zone de 10 km de rayon (soit 314 km²) recouvre les impacts visibles (avec quelques exceptions comme pour les salars du Chili, ou l’impact est considéré beaucoup plus important étant donné la nature fluide du substrat). Elle conclut à un total de 57 300 km², soit presque mille fois moins que l’université du Queensland.

Des mines exploitées pour d’autres usages que les renouvelables

Revenons à l’étude de l’université du Queensland. Les mines les plus nombreuses prises en compte sont celles d’or (plus de 13 000), de cuivre (4 400), de fer (1 800), de nickel (près de 1 200), d’argent ou de zinc, 1 100 chaque, puis on tombe à 400 pour lithium, 300 pour le graphite…
Autrement dit, pour les auteurs de ce papier, toute la production de l’or est liée à l’essor des renouvelables, de même que celle de cuivre, fer, nickel, argent, zinc, lithium, graphite…

On se pince pour y croire. Comme l’a dit un relecteur, « Les auteurs ne tentent pas d’explorer l’importance relative de cette demande de minéraux due aux technologies renouvelables. Fondamentalement, il semble trompeur d’impliquer que les techniques renouvelables expliquent la menace pour la biodiversité due à l’extraction de minéraux qui parmi tous leurs autres usages sont aussi utilisés par les renouvelables. » En réponse, les auteurs de l’article reconnaissent le problème, mais disent en gros que ce serait trop compliqué…

Alors, rappelons quelques faits. L’or par exemple – qui l’aurait deviné ? – est d’abord utilisé comme monnaie de réserve et en bijouterie. Ses usages industriels représentent 8 % de l’extraction totale. Combien pour les panneaux photovoltaïques et les éoliennes ? Ce chiffre est introuvable, sans doute parce que trop faible… Le fer, donc l’acier ? Le système électrique, dont les éoliennes, pourrait représenter jusqu’à 12 % de la production française de 2018 dans un scénario « 100 % renouvelables », contre 6 % dans un système « 50 % renouvelables – 50 % nucléaire ».

À lire aussi France : que faire des nombreuses anciennes mines d’uranium réparties sur le territoire ?

Les renouvelables réduisent l’expansion des mines de charbon ?

Le nickel présente d’évidents enjeux de biodiversité, notamment en Indonésie, mais 70 % est utilisé pour fabriquer des aciers inoxydables, pour l’instant seulement 6 % pour des batteries. Le cuivre est déjà très utilisé dans les réseaux. Le cobalt, le zinc, le graphite, et bien sûr le lithium pourraient, comme le nickel, voire leur consommation s’envoler, mais bien plus du fait de la demande des véhicules électriques que du fait de la production d’électricité par les énergies renouvelables.

À l’inverse, la production de charbon s’effondre dans la transition énergétique – et il s’agit de milliards de tonnes. Même en comptant tous les déchets miniers, le total des roches à extraire diminuera dans la production électrique et augmentera dans la fabrication des véhicules, mais au total, c’est la diminution qui l’emporte. De plus, une fois ces minéraux extraits, ils pourront être recyclés, ce qui n’est absolument pas le cas du charbon. La transition énergétique, comme son nom l’indique, du point de vue des minéraux, ce n’est qu’un mauvais moment à passer avant que le recyclage ne fournisse l’essentiel des minéraux nécessaires dans un régime plus ou moins stationnaire.

À lire aussi Les premiers kilos de lithium français ont été extraits du sous-sol alsacien

Le nucléaire est sans doute plus économe en matériaux critiques que les renouvelables. Mais le nucléaire, comme les énergies renouvelables que sont le solaire et l’éolien (celles qui vont dominer le mix mondial), ne peuvent prétendre éliminer les énergies fossiles que par l’électrification des bâtiments, de l’industrie et des transports. Or c’est l’électrification des transports, bien davantage que la production d’électricité, qui soulève de vraies questions sur l’extraction d’une poignée de minéraux. Nucléaire et énergies renouvelables – et si on arrêtait de les opposer… au moins dans les domaines où ils ne se distinguent pas vraiment ?

Publicité

Sur le même sujet

Commentaires

Copyright © 2024 Révolution Energétique - Tous droits réservés Mentions légales Site édité par Saabre

Exit mobile version