Les compteurs Linky seront-ils bridés pour sauver la France d’un blackout ?


Les compteurs Linky seront-ils bridés pour sauver la France d’un blackout ?

Illustration : Révolution Énergétique.

La rumeur enfle sur les réseaux sociaux depuis quelques temps, en perspective d’un hiver tendu sur l’approvisionnement en énergie. L’Élysée a d’ailleurs récemment enjoint les Français à entrer dans une phase de sobriété énergétique, tant la situation semble critique pour les mois à venir. La France va-t-elle parvenir à équilibrer son réseau électrique pour répondre à la demande cet hiver ? En cas de pénurie, des coupures sont-elles possibles ? Le compteur Linky dont la caractéristique principale est d’être pilotable à distance pourrait-il jouer un rôle ? Éclairage.

Le réseau électrique français est piloté par RTE, le gestionnaire, qui doit en permanence faire coïncider l’offre à la demande. Mais parfois, cet équilibre peut être menacé, surtout en hiver, lorsque les températures chutent et que les besoins en électricité sont accrus.

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Pour peu que le réseau soit affecté par des dysfonctionnements, comme un arrêt fortuit de réacteur nucléaire ou la coupure d’une ligne haute-tension, la situation devient alors très tendue. Dans cette situation, le compteur Linky peut-il être un levier pour sauver la France d’un blackout généralisé, comme l’évoquent certains utilisateurs de réseaux sociaux ?

Sur les réseaux sociaux, certains utilisateurs s’angoissent à l’idée d’un bridage du compteur Linky.

L’idée consisterait à limiter à 1 ou 2 kVA la puissance des compteurs Linky afin d’éviter une coupure totale et générale. Ce bridage à distance permettrait de maintenir l’alimentation électrique des appareils essentiels dans tous les foyers : éclairage, réfrigérateur, dispositifs médicaux, téléphones et ordinateurs, mais empêcherait l’utilisation des plus gourmands radiateurs, lave-linges, sèche-linges, lave-vaisselle, fours et plaques de cuisson.

Si le concept est particulièrement intéressant, il soulève de nombreuses questions éthiques et légales, à tel point qu’il semble impossible à réaliser.

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90 % des consommateurs sont équipés d’un compteur Linky

Au 31 décembre 2021, 90% des clients d’Enedis étaient équipées d’un compteur Linky selon la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Un déploiement réalisé malgré de vives oppositions de la part d’une poignée de consommateurs. Pour ces « anti-Linky », le compteur communiquant est perçu comme intrusif et permettrait une forme de contrôle de la vie privée.

Le boîtier collecte en effet des données de consommation électrique extrêmement précises (avec consentement de l’utilisateur) et peut être piloté à distance, par exemple pour couper l’alimentation ou effectuer un changement de puissance souscrite.

L’idée de coupures ou limitations de puissance à distance via le compteur Linky a donc de quoi réveiller le mouvement « anti-Linky », qui commençait à s’essouffler. Mais démêlons le vrai du faux. Il est vrai que le compteur Linky peut être piloté à distance pour relever la consommation ou même diminuer la puissance en cas d’impayés. Mais ENEDIS, le gestionnaire de réseau effectue ces manipulations au cas par cas, sur chaque point de livraison (PDL).

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Un risque de mesure inégalitaire

Pour que le compteur Linky puisse servir à équilibrer le réseau en permettant des diminutions de puissance ou même des coupures, il faudrait pouvoir intervenir sur un très grand nombre de compteurs en même temps, pour que cela soit efficace. Et on ne sait pas si cela est techniquement possible. La procédure n’est probablement pas prévue dans le système de pilotage des compteurs.

Il faudrait également prendre certains arbitrages : les coupures ou baisses de puissance interviendraient-elles par zone géographique, selon la puissance souscrite par l’utilisateur ou d’autres critères ? Le bridage de puissance serait-il appliqué à la totalité des clients ou seulement les plus consommateurs ?

Quid des 10 % de clients qui ne sont toujours pas équipés d’un compteur Linky (par choix ou non) et qui ne subiraient aucune limitation ? Cette intervention poserait un problème d’égalité de traitement entre les usagers si seuls certains d’entre eux étaient touchés.

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En outre, les consommateurs ont signé un contrat auprès de leur fournisseur prévoyant une puissance déterminée. Ils payent d’ailleurs le prix de l’abonnement correspondant à cette puissance. La diminuer remettrait en cause ces contrats et une intervention législative semble indispensable.

Même s’il peut être rendu techniquement possible d’agir sur des millions de compteurs Linky pour équilibrer le réseau, sa réalisation poserait son lot de problèmes et protestations.

La bonne vieille méthode de la coupure générale

Interrogé par Révolution-Energétique, ENEDIS explique que « la possibilité de faire appel à des coupures exceptionnelles, localisées et maîtrisées sur des durées de 2 h, a toujours été l’un des mécanismes potentiellement activables en cas d’atteinte à la sûreté du système électrique en France. C’est celui qui peut être utilisé, en dernier recours, par RTE pour préserver l’équilibre des flux d’électricité sur le réseau, en fonction de la situation d’approvisionnement et de production en électricité du pays ».

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ENEDIS ajoute que « sur décision de RTE, ENEDIS en tant que service public de la distribution d’électricité en France (sur 95 % du territoire), met en œuvre techniquement ces coupures exceptionnelles organisées à l’échelle d’un territoire directement sur le réseau électrique et non en fonction de l’équipement des compteurs Linky ».

Selon ENEDIS, il ne serait donc pas nécessaire de brider les compteurs Linky pour juguler une tension sur le réseau. D’autres systèmes de coupures permettent déjà de plonger dans le noir un quartier, village ou toute une ville le temps de rééquilibrer le réseau. En cas de pénurie, il n’y aurait aucune différence de traitement entre les consommateurs selon qu’ils soient ou non équipés d’un compteur Linky. Un blackout pour tous, rude mais finalement égalitaire.

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Ce type de coupure a d’ailleurs déjà été appliqué en France dans le passé, bien avant l’existence du compteur Linky. Après-guerre, on appelait « répartition de l’électricité » le mécanisme visant à effectuer des délestages par régions. À l’époque, la mesure était admise socialement, ce qui ne serait pas le cas aujourd’hui. C’est d’ailleurs pour cela qu’ENEDIS évoque une mesure appliquée en dernier recours.

La loi prévoit d’ailleurs la possibilité d’effectuer des opérations de délestage. Paru récemment, l’arrêté du 5 août 2022 relatif au critère de sécurité d’approvisionnement électrique mentionné à l’article L.141-7 du code de l’énergie précise que « la durée moyenne de recours au délestage pour des raisons d’équilibre offre-demande est inférieure à deux heures ». À noter que le texte ne prévoit pas de spécificités entre les points de livraison équipés de compteurs Linky et les autres.

Les autres moyens de juguler un blackout

Aujourd’hui, dans la perspective de difficultés d’approvisionnement cet hiver, plusieurs mesures sont mises à la disposition de RTE. La première consiste à demander aux consommateurs de diminuer leurs usages ponctuellement et volontairement.

Cela peut permettre de gagner en souplesse pour équilibrer le réseau. Des contrats de fourniture existent pour encourager les consommateurs à reporter leurs usages en période creuse : les offres heures pleines (HP)/heures creuses (HC), les contrats EJP ou encore TEMPO.

Toutefois, comme nous l’évoquions dans un précédent article, ces contrats n’ont plus le vent en poupe, alors même qu’ils représentent un outil intéressant pour lisser la demande. Le contrat EJP n’est plus ouvert à la souscription et celui HP/HC est critiqué depuis quelques années pour son manque d’intérêt financier pour l’usager. Redynamiser ce type d’offres permettrait pourtant de donner les moyens à RTE de mieux gérer la demande.

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Ensuite, les mécanismes d’effacement permettent de couper la fourniture d’énergie à certains gros sites industriels, moyennant une contrepartie financière. À la différence de l’hypothèse du bridage de puissance du compteur Linky, l’effacement est prévu dans les contrats de ces consommateurs professionnels. Il n’y a donc rien d’anormal à l’appliquer.

Une boite à outils fournie existe donc déjà pour permettre d’ajuster l’offre à la demande, sans que la présence des compteurs Linky soit indispensable dans ce cadre.

De nouveaux outils envisagés face au risque de pénurie

Pour se préparer à des difficultés d’approvisionnement cet hiver, de nouvelles mesures sont en cours d’adoption. Par exemple, la loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat prévoit le cas de difficultés d’approvisionnement en énergie.

Son article 33 prévoit la possibilité, en cas de forte tension sur le système électrique, de mettre à disposition du réseau « la totalité des capacités d’effacement de consommation, de production et de stockage valorisées par des opérateurs d’ajustement ».

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Dans le même sens, lorsque les mécanismes traditionnels d’équilibrage du réseau évoqués précédemment ne sont pas suffisants, l’article 34 prévoit « qu’en cas de menace grave et imminente sur la sécurité d’approvisionnement en électricité (…), les sites de consommation qui utilisent des installations de production ou de stockage d’électricité de plus d’un MW en vue de leur fournir une alimentation de secours sont tenus de mettre à la disposition du gestionnaire du réseau public de transport la totalité de la puissance non utilisée et techniquement disponible de ces installations, par l’intermédiaire du mécanisme d’ajustement ».

En pratique, une information sera publiée la veille du jour concerné par le gestionnaire du réseau pour alerter de la situation de tension sur le réseau. En cas de difficulté, l’État veut donc pouvoir utiliser toute l’énergie disponible pour rééquilibrer le réseau. Là encore, aucune mention n’est faite des compteurs Linky.

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Des expérimentations en cours

Enfin, l’article 42 de cette même loi précise que le gouvernement transmettra au Parlement dans un délai de 4 mois un rapport concernant la mise en place « d’un dispositif national d’effacement volontaire et rémunéré des consommations d’électricité à destination des particuliers ».

C’est un signe que les pouvoirs publics cherchent avant tout à inciter les particuliers à une démarche volontaire visant à réduire leurs consommations en cas de pic de demande, moyennant une incitation financière (vous aussi, cela vous rappelle les contrats TEMPO ou EJP ?). Dans ce sens, des initiatives locales apparaissent également pour concourir à la flexibilité du réseau.

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C’est ainsi qu’à Paris, ENEDIS s’est associé à la société Voltalis pour initier une expérimentation dans trois arrondissements (7e, 15e et 16e) du 1er novembre 2022 au 31 décembre 2023. Concrètement, en cas de tension sur le réseau (ENEDIS parle de crue exceptionnelle de la Seine, mais on peut penser que l’idée est surtout de parer à des problèmes d’approvisionnement plus généraux), les particuliers volontaires subiront de brèves coupures à distance de leur chauffage électrique.

D’autres expérimentations du même ordre verront probablement le jour prochainement, ce qui représentera un outil intéressant pour piloter efficacement le réseau, avec la participation volontaire des consommateurs.

Pour conclure, il est vrai que l’État se prépare à un hiver difficile du point de vue de l’énergie. Mais le fait d’être équipé d’un compteur Linky n’expose pas les consommateurs à un risque plus élevé de limitation de leur consommation. Un blackout impacte tous les consommateurs sans distinction.

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