La présence de lithium est identifiée depuis longtemps dans les nappes aquifères situées dans le sous-sol du fossé rhénan, une dépression géologique assise de part et d’autre de la frontière franco-allemande. Dans les eaux chaudes puisées en profondeur, Electricité de Strasbourg et le groupe Fonroche, deux acteurs de la géothermie profonde en Alsace, ont mesuré des concentrations élevées de lithium. Les réserves estimées entre 10 et 40 millions de tonnes permettraient à la France d’assurer l’indépendance de son approvisionnement en lithium et de pourvoir aux besoins de son industrie naissante des batteries de stockage d’électricité.
« Les analyses des eaux extraites des puits de forage confirment la présence de lithium en qualité et quantité très prometteuses et permettent d’envisager la production annuelle de quelque 1.500 tonnes de lithium par puits » précise un communiqué publié par Fonroche Géothermie. Les besoins actuels en lithium de l’industrie française étant de 15.000 tonnes par an, 10 forages géothermiques suffiraient donc pour satisfaire la consommation de ce métal stratégique par l’Hexagone.
Le groupe Fonroche, construit actuellement une centrale de cogénération géothermique à Vendenheim (Bas-Rhin) près de Strasbourg. Elle permettra d’alimenter jusqu’à 7.000 logements en électricité ainsi qu’un réseau de chaleur qui sera accessible à 26.000 logements. De la chaleur « douce » pourra aussi être fournie à 70 hectares de serres agricoles.
Dans le cadre de ce projet, les analyses effectuées dans l’eau de la nappe aquifère confirment les résultats obtenus par Electricité de Strasbourg (ES), une filiale d’EDF, qui exploite deux autres sites géothermiques dans la plaine alsacienne. Ces mesurages révèlent une concentration élevée et régulière de lithium, variant entre 180 à 200 mg par litre.
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Mise au point d’un nouveau procédé d’extraction du lithium
Pour l’heure, seule la chaleur est extraite des eaux chaudes pompées par les centrales géothermiques. Le lithium ne l’est pas encore et il est donc réinjecté dans la nappe avec l’eau refroidie.
La mise au point d’un procédé d’extraction du lithium des eaux géothermales nécessitera encore plusieurs années de recherche. C’est l’objectif poursuivi par le projet collaboratif EuGeLi (European Geothermal Lithium Brine) qui fédère neuf partenaires européens dont le groupe Eramet, Electricité de Strasbourg-Géothermie, PSA et l’IFP Energies Nouvelles.
Cette recherche a démarré en janvier 2019 et se terminera en décembre 2021. Son budget de 3.9 millions d’euros est financé à près de 85% par l’EIT-Raw Materials, un organisme de l’Union européenne.
Au cours de ce projet, cinq semaines d’essais pilotes permettront de tester le procédé sur le site d’une centrale de géothermie en Alsace.
Il s’agira d’installer une unité d’extraction directe du lithium, sur la branche de réinjection d’un puits de géothermie. Le dispositif est composé de colonnes remplies d’un matériau actif se présentant sous la forme de petits granulés. Véritable « éponge » à lithium il extrait sélectivement ce métal léger. La saumure appauvrie en lithium peut être ensuite réinjectée dans le sous-sol.
Le lithium est alors récupéré en faisant passer de l’eau légèrement saline dans les colonnes. Il en résulte une solution concentrée en lithium qui sera purifiée avant l’étape de précipitation du carbonate de lithium de qualité batterie.
Ce procédé d’extraction directe a été développé dans le cadre d’un autre projet en Argentine. La formulation du matériau actif est prévue pour être utilisée à température ambiante et à pression atmosphérique et laisse donc espérer une très faible consommation énergétique et une empreinte carbone réduite.
Le principal défi du projet EuGeLi sera d’adapter le procédé aux saumures géothermales européennes et à leurs conditions d’exploitation, notamment les pressions et températures régnant dans la branche de réinjection des puits.
Par ailleurs, la saumure pompée étant réinjectée dans le sous-sol, le procédé ne peut pas impacter ou perturber l’environnement naturel du sous-sol. Enfin, le carbonate de lithium, produit final du procédé, doit être d’une très grande pureté pour alimenter le secteur des batteries lithium-ion.
Notons au passage que cette technologie ne consomme pas d’eau et répond à certaines critiques (non fondées) qui montrent du doigt l’impact environnemental de la fabrication des batteries de stockage.
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Structuration d’une filière française
L’établissement d’une filière de production de lithium en France nécessitera l’exploitation de plusieurs sites d’extraction et d’une raffinerie. Les forages géothermiques pourront tirer profit simultanément de la production d’énergie et de lithium. L’Alsace ne compte encore aujourd’hui que 2 centrales géothermiques en service, mais 7 autres projets, dont celui de Vendenheim sont à différents stades d’avancement.
Fonroche Géothermie, qui détient d’autres permis en France, a notamment relèvé des indices de présence de lithium dans le Massif central, à Valence et dans les Pyrénées. L’entreprise a déposé récemment une demande d’exploration dans le Puy-de-Dôme, pour des forages à réaliser sur un territoire de plus de 700 km2, dans la plaine de la Limagne. La demande vient d’être mise en consultation par le ministère de l’Économie.
Selon Bernard Kempf, directeur du développement d’ES la production française de lithium à échelle industrielle pourrait être espérée en 2025.
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Commentaires
Des expérimentations sont aussi lancées en Allemagne pour récolter le lithium présent dans les eaux du Rhin. Est-ce que la technique de "filtrage" que vous décrivez est comparable à la leur ?
Je ne pense pas que le projet allemand consiste à extraire le lithium des eaux du Rhin, mais bien des nappes aquifères situées dans le sous-sol du "fossé rhénan" que l'on appelle aussi "graben du Rhin" ou "rift rhénan". Il s'agit de la même dépression géologique et des mêmes nappes aquifères que celles qui se trouvent en Alsace de l'autre côté de la frontière franco-allemande (marquée par le Rhin) et dont il est question dans l'article. Les allemands ont évidemment aussi compris l'intérêt d'exploiter ce lithium. Projettent-t-ils de le faire avec la même technique de filtration, je n'en sais rien, mais c'est très probable. Malheureusement ces projets allemands se heurtent à l'opposition de certains habitants qui craignent que les forages géologiques provoquent des tremblements de terre. C'est le fameux syndrome NIMBY (not in my backyard) que l'on trouve partout.
Oui, vous avez raison, je n'avais rien compris à l'article que j'avais lu. Merci.
Le lithium n'est pas un corps rare et de plus il est plutôt bien répartie sur la planète, on en trouve sur tous les continents et pour fixer les idées sur son abondance il faut savoir qu'il est 7 fois et demi plus abondant que l'uranium, tous isotopes confondus. De plus, contrairement à ce dernier dans un réacteur nucléaire, dans une batterie, le lithium n'est pas converti en énergie est recyclable pour faire de nouvelles batteries. Ce qui fait qu'il arrivera un moment où plutôt que d'extraire encore du lithium de la Terre, on réutilisera celui des batteries réformées. Dans un cercle vertueux, le lithium, comme tous les métaux dont on a besoin pour créer une batterie ne constitue pas un pillage des ressources de la planète comme c'est le cas de ce que l'on en extrait pour le transformer en énergie.