Le brûleur d'une chaudière à gaz / Illustration : Getty, montage : RE.
Comment réduire la dépendance aux combustibles fossiles en Allemagne ? Le gouvernement veut passer par l’interdiction des systèmes de chauffage fossiles dans le secteur résidentiel. Or la république parlementaire allemande repose sur un délicat équilibre entre les partis membres de la coalition au pouvoir, et cette mesure affectera de très nombreux foyers. Cela promet un parcours particulièrement houleux pour le projet de loi.
Plus de 80 % des 40 millions de foyers allemands sont équipés de moyens de chauffage utilisant des combustibles fossiles. C’est le gaz naturel qui occupe la première place parmi les systèmes de chauffage dans près de la moitié des logements, le fioul équipant ensuite 30 % des foyers.
Dans le contexte de la guerre en Ukraine et des sanctions prises par l’Union européenne contre la Russie, le gaz est devenu considérablement plus coûteux et difficile à approvisionner, conduisant à des risques de pénurie au pic de consommation en hiver. De plus, le chauffage est à l’origine de 15 % des émissions de CO2 du pays, et l’Allemagne reste un grand émetteur de gaz à effet de serre.
L’enjeu est donc de réduire cette dépendance aux sources d’énergie fossiles, notamment par la généralisation des systèmes de pompe à chaleur. Or, deux tiers des nouveaux systèmes de chauffage vendus en Allemagne fonctionnent encore au gaz ou au fioul. De ce fait, des mesures liées à l’interdiction du chauffage domestique fossile ont figuré en bonne place dans l’accord de coalition qui a conduit au pouvoir le gouvernement Scholz à la suite des élections fédérales du 26 septembre 2021.
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Le gouvernement Scholz est en effet soutenu par une coalition « tricolore » constituée des députés du Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD), de l’Alliance 90/Les Verts (Grünen) et du Parti libéral-démocrate (FDP). Un telle coalition repose sur un équilibre délicat entre les orientations politiques très variées de ses membres.
Le gouvernement allemand était parvenu à un accord sur un projet de loi en avril. Toutefois, lors de sa présentation par le ministre de l’Économie Verte et du Climat, Robert Habeck, il a conduit à une levée de boucliers, non seulement de la part de l’opposition des chrétiens-démocrates (CDU) mais également d’une part du SPD et du FDP. Membres de la coalition, ils s’inquiètent toutefois des conséquences de la mesure en termes de coûts pour les foyers allemands.
Le SPD et les Verts souhaitaient que la législation soit adoptée avant les vacances d’été du Parlement, c’est-à-dire en juillet et août. Mais le FDP a suggéré de retarder la conclusion d’un accord jusqu’à l’automne. Le FDP a fini par bloquer un vote parlementaire sur la question.
Que veut interdire la loi ?
La proposition de loi vise à interdire toute nouvelle installation de chauffage qui ne fonctionne pas avec au moins 65 % de sources d’énergie renouvelables. L’interdiction concerne toute nouvelle construction mais aussi les constructions existantes dont le système de chauffage doit être changé. À l’origine, l’interdiction était prévue pour 2025, mais la date a été avancée à 2024 à la suite de la guerre en Ukraine.
Les systèmes de chauffage autorisés sont les pompes à chaleur, les systèmes solaires thermiques et les systèmes hybrides couplant des combustibles fossiles avec une pompe à chaleur. Les combustibles issus de la biomasse, notamment le biométhane, peuvent être utilisés mais uniquement dans les constructions existantes. Le raccordement au réseau de chauffage urbain reste autorisé si l’opérateur de ce dernier a un plan de transition aux énergies renouvelables.
Un point notable : les systèmes au gaz « hydrogène-ready » seraient autorisés, à la condition qu’il existe un plan de fourniture à long terme du gaz. L’intégration des systèmes hydrogène, poussée par le parti FDP au nom de la liberté technologique, a été un motif important de désaccord au sein de la coalition. Ce point rappelle bien entendu les débats occasionnés par le sujet des combustibles de synthèse, cette fois au niveau de l’Union européenne et dans le cadre de l’interdiction des voitures à combustibles fossiles.
Des contraintes difficiles à concilier
Le relativement faible taux d’équipement des logements neufs en systèmes de chauffage renouvelable s’explique en Allemagne par un coût d’investissement élevé pour des pompes à chaleur neuves. Il représente près du double de celui de systèmes fossiles conventionnels, et conduisent à des factures s’élevant souvent à plus de 20 000 €. D’après un sondage réalisé par Bild, 61 % des Allemands seraient inquiets des coûts de ces systèmes.
Par ailleurs, les foyers ne sont pas les seuls à être rendus inquiets par cette interdiction : les propriétaires bailleurs ainsi que leurs locataires sont directement impliqués. Et le problème n’est pas mince. En effet, l’Allemagne est le pays d’Europe qui a la plus importante proportion de locataires. Le SPD, socialiste, ne veut pas que le coût des nouveaux systèmes soit répercuté directement sur les locataires. Le fardeau ne pourra toutefois pas être uniquement assumé par les propriétaires.
Au-delà des intentions, en somme, qui va payer, donc ? Et c’est là que les discussions deviennent difficiles au niveau politique. Notons tout d’abord que les propriétaires âgés de plus de 80 ans ou les bénéficiaires de prestations sociales seront totalement exemptés de devoir respecter l’interdiction. Par ailleurs, dans l’objectif d’éviter des difficultés sociales, le gouvernement Scholtz envisage des subventions à hauteur de plusieurs milliards, mais sans que les détails soient tout à fait précisés. Le parti des Verts a par exemple préconisé initialement que les subventions couvrent 25 à 40 % des coûts, en fonction des revenus, avant de proposer qu’elles couvrent jusqu’à 80 % des coûts.
Un chemin difficile pour la nouvelle loi
Rolf Mützenich, président du SPD au Parlement, a annoncé mardi 13 juin, lors d’une déclaration commune aux trois partis de la coalition : « Nous sommes parvenus à un accord à l’issue de négociations fiables menées ces derniers jours ».
Le parcours législatif promet toutefois d’être mouvementé. L’opposition CDU s’oppose catégoriquement à la loi. Il est donc très probable que des amendements soient déposés lors du processus parlementaire. Par ailleurs, le Bundesrat, la chambre haute du Parlement allemand constitué des représentants des 16 États fédérés, aura également à se prononcer et a déjà présenté plusieurs demandes d’amendements.
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Commentaires
"hydrogen-ready" ? Utiliser l'hydrogène pour le chauffage ne fait pas sens, notamment à cause du fait que cette petite molécule est incompatible avec les canalisations. Donc il faut garder l'H2 pour les usages de chimie, engrais, à la limite les poids lourds.
Par ailleurs développer à marche forcée l'utilisation de l'électricité pour les pompes à chaleur alors qu'on vient de fermer trois centrales (35 TWh bruts en 2022)... ??
Comment ne pas anticiper que certaines nuits d'hiver, ces pompes à chaleur tourneront au charbon (transformé en électricité avec 70% en pertes de chaleur dès la centrale). Les écologistes dans la coalition au pouvoir en Allemagne sont-ils vraiment des écologistes ?
"incompatible avec les canalisations" : oui, mais sur de grandes distances ( et encore : cf. Téréga avec le projet Barmar; et l'étanchéité proposée par la SEPRA81) .Dès lors cela peut-être effectif à petite échelle, par exemple pour des lotissements ou des régies municipales ( voir le projet de SEPRA81) .En outre avec les pompes à chaleur les plus répandues, quand il fait froid il n'y a presque pas de calories à récupérer dans l'atmosphère.A noter aussi qu'il n'y a pas que l'hydrogène vert à considérer : notamment le bleu et le blanc ( cf. l'article sur la découverte en Lorraine).
On reproche à la France d’avoir encouragé le chauffage électrique et créé ainsi la fameuse pointe hivernale que tous redoutaient cet hiver, et l’Allemagne voudrait prendre le même chemin ?. Que va t-il se passer les jours de ”dunkleflaute” ? vu qu’aujourd'hui on n’installe quasiment aucun stockage.
Les allemands ont raisons d’être un peu méfiant. On appelle cela mettre la charrue avant les boeufs. :-(
Le problème en France, c'est n'est pas l'utilisation de l'électricité mais les simple "grilles-pains" qu'on utilise. Le stockage va arriver: ce n'est qu'une question de temps Minos.
Ce n'est pas la charrue avant les bœufs: on ne va pas changer des millions de chauffages au gaz où mazout en quelques années. Ça va être progressif et ça va durer plusieures décennies. Ça va être pareil partout, aussi en France d'ailleurs. L'interdiction complète du chauffage à base de fossile est prévu pour 2045 selon le projet de loi Allemand.
@Perlybird,
Il y a bien des types de logements (surtout les petits, type chambre de bonne à Paris ou d'en d'autres grandes villes) qui ne peuvent que difficilement faire sans "grilles-pains"... (Hélas mais factuel)
Pour les chauffages/convecteurs électriques, ils ont fait de gros progrès depuis 40 ans.
¨Le stockage de chaleur existe déjà mais n'est pas développé. C'est juste des cuves de stockage d'eau chaude de Chauffage pour une distribution différée de la chauffe (avec des pompes à chaleur cela peut être plus que bénéfique sur le pilotage de la consommation française). Reste le problème de financement de ce sujet... (Avis Perso, et vu le coté Low-Tech du sujet et les possibilités de pilotage de consommation, il y a urgence à développer le sujet !).
Dernier point, le développement de la notion d'inertie thermique des batiments est essentielle (Avis Perso). Certains batiments peuvent être chauffés partiellement "à l'avance" et restituer doucement la chaleur par la suite... (Je pourrais même ajouter que des "grilles-pain 2.0" "connectés" et insérés dans certains murs porteurs de certains types de logement du type Haussmannien à Paris sur les murs porteurs intérieurs, cela pourrait stocker en temps réel bien des excès de production pour une restitution douce par la "pierre"... et éviter des consommations de pointe excessive et absorber des pointes de production éolienne en Automne-Hiver...).
Interdire le fossile dans le neuf me semble être du bon sens qui devrait déjà être en vigueur partout.
Dans l'ancien c'est plus compliqué car cela passe avant tout par l'isolation.
J'avais vu une étude (que je ne retrouve malheureusement pas) qui montrait la consommation d'une PAC avec et sans isolation. La conclusion est qu'il vaut mieux garder une chaudière gaz dans un logement bien isolé que installer une PAC dans un logement mal isolé.
En gros, d'abord on isole pour limiter la consommation d’énergie, et ensuite on choisi la chaudière qui utilise la meilleur énergie.
@Envyatar,
L'isolation est effectivement nécessaire, mais pas suffisante et conduit parfois à des aberrations sur certains batis anciens avec la perte de l'avantage de l'inertie thermique (notamment avec des isolations de murs par l'intérieur qui peuvent déboucher sur des "effets rebond" de consommation lorsque les murs deviennent très froids lors de froides périodes hivernales. L'isolation intérieure ne permettant que peu de les "chauffer", l'impact de ce froid se faisant ressentir sur les consommations pendant parfois des périodes importantes par la suite)
L'inertie thermique est une grande "oubliée" actuellement et pourtant, certains logements ont un potentiel de stockage de chaleur de court à moyen terme très important en particulier dans leurs murs (ou autres parties structurelles). Ce point devrait faire plus réfléchir car en chauffant certains logements à 21-22°, donc à l'excès, à certains moments via des moyens électriques (notamment durant le passage de dépression et durant le WE) on accumule de la chaleur qui sera restituée ultérieurement et/ou nécessitera bien moins d'apport thermique lors des périodes de pointe consécutives...
Perso, je ne comprends pas bien votre comparatif : "" La conclusion est qu’il vaut mieux garder une chaudière gaz dans un logement bien isolé que installer une PAC dans un logement mal isolé. "" !??? Oui, certes, mais vous comparez 2 catégories de logements différents !
Les logements avec peu d'inertie thermique, même bien isolé, impacte souvent les pointes car la chaleur ne s'y accumule que peu et nécessite donc du chauffage de pointe pour ses occupants lorsqu'ils sont en "mode actif"...
Le même sujet est aussi sur la table en France avec un projet de loi interdisant les chaudières à gaz, ça va être intéressant de voir les discussions avec exactement les même problèmes.
La France est légèrement en avance pour le neuf, où l'interdiction est déjà effective pour les maisons individuelles depuis l'année dernière et d'ici 2025 pour le collectif. Donc la proposition allemande d'interdiction en 2024 pour le neuf est assez similaire à la France.
Louable intension que d'interdire les nouvelles installations de chaudières aux fossiles...
Cependant je pense que la possibilité d'installer des chaudières "Hydrogen ready" va vider de son sens cette mesure, comme l'autorisation de l'installation de chaudières "biofioul ready" a rendu complètement théorique l'interdiction des chaudières fioul en France...
Sans parler de l'idiotie de bruler de l'hydrogène "vert" dans des chaudières quand on pourrait les remplacer par des pompes à chaleur qui utiliseraient, pour le même service rendu, au moins cinq fois moins d'électricité que celle nécessaire à la production de cet hydrogène.
cette option #hydrogen ready# fait partie d une strategie sur le long terme. Dans le futur, apres 2045, on va avoir un exces de production d energie . L exces pourra etre converti en hydrogene, stocke et donc utilise.
Là, les Allemands s'attaquent réellement à un gros sujet !
Sans base importante, permanente et stable dans la production électrique cela risque d'être compliqué certaines semaines...
Il y a des points positifs, que les Allemands ne manqueront pas de développer, comme le stockage d'eau chaude pour le chauffage (une source très intéressante de stockage d'énergie et de pilotage des consommations) mais le cout pourra être un obstacle...
Il reste encore (et surtout) la remise en cause du modèle des grosses Bagnoles allemandes qui sont une source inouïe de pollution !!!
Pour ce qui est des grosses bagnoles, c'est tout relatif: en France le secteur des transport à un poids plus important en pourcentage qu'en Allemagne, où le secteur énergétique et l'industrie ont un poids dans les émissions plus important qu'en France.
Mais après des années où rien n'a en effet été fait pour améliorer la situation dans le secteur des transports en Allemagne, ça commence à enfin bouger:
Les constructeurs premiums à haute marges auront plus de facilités a passer au tout l'électrique: tous les nouveaux modèles d'audi seront à partir de 2026 electriques par exemple. Et avec le développement d'usines de production de batteries en europe, les émissions dues à la production des batteries va elle aussi grandement diminuer par rapport aux batteries venant d'Asie.
@Perlybird,
Les % peuvent faire dire beaucoup de choses... C'est toujours relatif à la base 100 choisie !
Nos industries et notre secteur électrique émettant nettement moins que celui des Allemands, le transport impacte fort nos émissions en %... De plus, il est certain que vu la plus faible densité de population au km2 en France, nous avons des parts significatives de notre population qui "doit" rouler beaucoup pour la vie de tous les jours...
Personnellement, je pense que les Grosses Bagnoles électriques sont un désastre car elles vont engloutir des quantités énormes de ressources et littéralement plomber une évolution rapide vers le VE à grande échelle (faute de Flux de matières... notamment). On aurait mieux fait de privilégier de petites voitures électriques pour le plus grand nombre et ce rapidement (de petites Audi A1 ou A2... mais fini les A5 et au delà ou seulement avec des surtaxes colossales!). Les Allemands ont réussi à faire protéger leur modèle de Grosse bagnoles à Bruxelles, c'est une réussite "économique" pour eux, mais au final un désastre à l'échelle européenne en consommation de matières et aussi en termes d'émissions...
L'article ne l'indique pas mais dans la proposition de loi, les communes seront tenues de développer, selon la taille de l'agglomération, d'ici 2026 où 2028 un plan réseau chaleur. C'était un des point litigieux au sein de la coalition, d'éviter à un particulier où un immeuble de devoir installer une pompe à chaleur alors que quelques années après la ville avait peut-être prévu de développer un réseau chaleur. Donc le stockage de chaleur va jouer sans aucun doute un rôle très important au niveau des villes.
@Perlybird,
Les réseaux de chaleur sont effectivement une bonne solution quand cela est faisable à cout technico-économique... Il faut une densité d'habitations relativement importante pour que cela puisse être amortie...
Pour les zones pavillonnaires (très nombreuses en Allemagne), le stockage individuel (une cuve isolée dans le garage ou dans la cave par exemple) est à développer pour "produire" de la chaleur aux heures creuses et/ou de fortes productions des ENRi... (Perso, je pense que ce sujet est à développer car même en France le potentiel est énorme pour mieux piloter une part importante de nos consommations.