Dans tous les scénarios de transition énergétique, la sobriété dans les usages individuels et collectifs de l’énergie fait partie du mix des solutions à mettre en œuvre. L’isolation thermique des bâtiments et plus particulièrement du bâti ancien apparaît comme une réponse particulièrement efficace pour réduire nos consommations énergétiques. A côté des matériaux traditionnels que sont les laines de verre et de roche, le polystyrène ou le polyuréthane, les isolants naturels ou « biosourcés » sont de plus en plus utilisés. Quel est leur intérêt ?
Les isolants biosourcés appelés aussi isolants « naturels » sont des matériaux issus de la biomasse végétale ou animale. En France, la définition assez précise d’un matériau de construction biosourcé se trouve dans l’arrêté du 19/12/2012 relatif au contenu et aux conditions d’attribution du label « bâtiment biosourcé ». L’arrêté précise qu’il s’agit de produits qui « incorporent majoritairement une même matière biosourcée ».
Pour être éligible au label, le matériau doit être accompagné d’une fiche de déclaration environnementale et sanitaire (FDES) comportant un résumé de ses conséquences environnementales. La délivrance de cette certification exige également la présentation de documents attestant la qualité et la traçabilité des matières premières. Si le produit est composé de bois ou de dérivés du bois, il doit préciser les informations attestant la gestion durable des forêts dont il provient.
Les principaux matériaux utilisés pour fabriquer ces isolants sont des laines ou des fibres issues de la transformation du bois, la ouate de cellulose provenant du recyclage des papiers, les laines de chanvre et de lin, seules ou mélangées l’une avec l’autre, la laine de coton, la laine de mouton, le liège, la paille et le textile recyclé. Les plumes de canard ou d’oie et les fibres de coco sont d’un usage plus restreint.
On n’y pense pas forcément mais les matériaux que nous pouvons choisir pour nos constructions, rénovations ou aménagements ont une influence sur notre santé, celle de nos collègues ou de notre famille. Certains émettent notamment des Composés Organiques Volatils (COV)[1], sources de pollution de l’air intérieur. Ceux-ci peuvent causer des pathologies chroniques : hypersensibilité aux produits chimiques, allergies, maux de tête, fatigue, congestion des sinus, étourdissements, irritation des yeux … C’est la raison pour laquelle les produits de construction et de décoration destinés à un usage intérieur et vendus en France comportent une étiquette relative aux émissions de polluants volatils. Dans le cadre de l’attribution du label, les isolants biosourcés doivent être classés A ou A+. Mais une recherche menée par l’Ademe a montré que tous les matériaux isolants vendus sur le marché européen sont classé A+, y compris les isolants synthétiques (polystyrène ou polyuréthane) ou minéraux (laines de roche ou de verre). Selon les conclusions de l’étude, les résultats en matière d’émission de COV « peuvent être considérés comme équivalents pour les isolants, quelle que soit l’origine des produits ». Contrairement à une opinion répandue, les isolants « naturels » ne sont donc pas, pour cet aspect, meilleurs que les autres. Mais attention : lors de leur mise en œuvre les laines de verre et de roche, en particulier, présentent certains risques pour la santé car elles peuvent émettre des fibres susceptibles de pénétrer dans les voies respiratoires. C’est la raison pour laquelle il est conseillé de porter un masque anti-poussière lors de la pose de ces isolants. Pour éviter que les fibres ne polluent durablement l’atmosphère des locaux, il faut aussi procéder à un dépoussiérage méticuleux à la fin du chantier.
Energie grise et bilan carbone
Il en va autrement losqu’on considère l’énergie (dite grise) consommée pour la fabrication et le transport des différents matériaux d’isolation jusqu’au lieu d’utilisation.
Les isolants biosourcés proviennent de ressources renouvelables, souvent locales et leur fabrication est économe en énergie. Généralement fabriqués à partir de déchets ou de rebus de fabrication, la plupart sont recyclables, réutilisables ou compostables.
Le site autrichien BAUbook (http://www.baubook.at/) donne les résultats de l’analyse du cycle de vie pour différents matériaux isolants. Le bilan carbone apparaît largement positif pour les produits biosourcés, lesquels partagent la particularité de séquestrer, par le processus de la photosynthèse, le CO2 incorporé à la biomasse qui les compose. Leur production est également beaucoup moins énergivore que celle des isolants traditionnels. Par exemple, la fabrication de la ouate de cellulose requiert 98 kWh/m3, contre plus de 250 kWh/m3 pour les laines de roche ou de verre et plus de 850 kWh/m3 pour le polystyrène expansé.
Les processus de fabrication des isolants minéraux nécessitent en effet des traitements thermiques à haute température (de 800 à 1.200°C). Pour certains le transport des matières premières pose aussi problème. Par exemple, les grands producteurs de vermiculite et de perlite, qualifiés parfois aussi d’isolants « naturels », se trouvent en Afrique du Sud, au Zimbabwe, en Australie, en Chine, au Japon et aux Etats-Unis. Quant au verre cellulaire, s’il a l’avantage d’utiliser du verre recyclé pour sa fabrication, celle-ci affiche le plus mauvais bilan énergétique de tous les isolants minéraux.
Issus de la pétrochimie, la production des isolants synthétiques est la plus gourmande en énergie : de 450 à 1200 kWh/m³. De plus, en cas d’incendie, les fumées dégagées sont très toxiques.
Un marché en plein essor
Les ventes d’isolants biosourcés enregistrent un développement exponentiel au cours de ces dernières années. Actuellement ils représentent entre 8 et 10% du marché des isolants (murs et toiture) et le taux de croissance annuel est à deux chiffres. Ces matériaux suscitent l’engouement des maîtres d’ouvrage grâce à l’intérêt grandissant des porteurs de projet pour les constructions réalisées avec des produits ayant un faible impact sur l’environnement, telles que les constructions en bois.
A cela s’ajoute l’action des pouvoirs publics qui ont mis en place des incitants pour promouvoir le marché de ces isolants. Les PME et les PMI qui fabriquent localement des isolants biosourcés à partir de produits et de sous-produits agricoles peuvent ainsi prétendre à des appuis financiers et à des avantages fiscaux.
Ces produits sont présentés sous 3 formes différentes :
- En panneaux (de chanvre ou de fibres de bois)
- En rouleaux (textile recyclé, chanvre, bois, laine de mouton, coton, lin, plumes de canard)
- En ouate à souffler ou à projeter (coton, cellulose, textile)
Performances et prix
Les performances isolantes des matériaux biosourcés sont globalement équivalentes à celle que les isolants classiques. Pour obtenir une même résistance thermique, comptez seulement quelques petits centimètres supplémentaires. La laine de mouton, par exemple, possède naturellement un fort pouvoir isolant : son coefficient lambda (λ) peut varier entre 0,035 et 0,042 W/m.K. Ceux de la laine de chanvre ou de coton et de la ouate de cellulose sont d’environ 0,039 W/m.K. Ces valeurs sont du même ordre que le lambda des laines de roche ou de verre.
Côté coût, comptez en moyenne, pour une résistance thermique identique, un surcoût de 10 à 15% pour les laines et les ouates à base de biomasse par rapport aux produits traditionnels. Elles présentent toutefois d’autres qualités : un meilleur confort acoustique et une plus longue durée de vie.
Le chanvre : culture locale nécessitant peu d’intrants
Le chanvre est une plante ligneuse à croissance rapide, cultivée dans certaines régions de France et de Belgique, notamment. Naturellement résistante, elle n’a pratiquement pas de prédateurs et pousse sur tout type de sols, même pauvres et humides. Sa culture nécessite peu d’intrants et du fait de sa résistance, l’emploi de pesticides est rarement nécessaire. Les fibres servant à fabriquer les isolants en chanvre sont tirés des tiges de la plante, séchées et traitées mécaniquement. Du fait de leur structure végétale, les fibres de chanvre ont la capacité naturelle de réguler l’hygrométrie. C’est-à-dire qu’elles peuvent absorber une partie de l’humidité ambiante et la restituer quand l’atmosphère est trop sèche. Ce pouvoir « respirant » permet de climatiser naturellement l’ambiance des pièces de vie tout en protégeant les matériaux sensibles à l’humidité. A ce titre, le chanvre est idéal pour le concept de « paroi respirante » appliquée dans les maisons à ossature bois.
Naturel et non allergène, le chanvre présente aussi l’avantage d’un bon confort de pose : pas d’irritation des mains et des yeux et pas de poussières dans les voies respiratoires.
Ouate de cellulose : l’isolant naturel le plus utilisé
Utilisée en vrac (par déversement, injection, soufflage) ou sous forme de panneaux semi-rigides, l’ouate de cellulose est l’isolant naturel le plus employé dans la construction. Elle est fabriquée à partir de vieux journaux ou de coupes d’imprimerie. Cette matière première est d’abord moulue puis, comme d’autres produits biosourcés, traitée au sel de bore pour l’ignifuger et la protéger des nuisibles (insectes, moisissures, rongeurs).
Comme le chanvre, ses propriétés régulatrices contribuent à améliorer le confort intérieur, été comme hiver. Son classement au feu (non ou difficilement inflammable), garantit un effet retardateur en cas d’incendie.
Mais attention : lors de sa mise en oeuvre, la ouate de cellulose libère des particules irritantes pour les poumons. Le port d’un masque anti-poussières et de lunettes de protection est recommandé.
Fibre de bois
Développés d’abord dans les pays nordiques, les isolants à base de fibres de bois sont fabriqués par défibrage de déchets de bois non traités issus de la gestion forestière ou de scieries. Mélangée à l’eau, la fibre de bois devient facile à mouler pour produire des panneaux rigides ou semi-rigides. Dans ce procédé humide, la lignine, résine naturelle du bois, se libère et lie automatiquement les fibres sèches. Ce processus est donc totalement exempt de liants ajoutés. Il existe également une méthode à sec qui nécessite l’ajout d’un liant, en général du polyuréthane.
Également fourni en vrac, l’isolant n’est alors constitué que du produit du défibrage. Les producteurs associent parfois la fibre de bois à d’autres matières isolantes telles que le chanvre.
La fibre de bois présente un coefficient de conductivité thermique (λ) de 0,042 W/m.K. Grâce à son caractère hygrométrique, elle absorbe l’humidité. Comme les autres isolants biosourcés, c’est donc un bon régulateur d’humidité qui laisse passer la vapeur d’eau et, en été, rafraîchit le climat intérieur.
La fibre de bois est également un bon isolant acoustique. Le matériau est potentiellement inflammable, mais il n’y a pas de dégagement de gaz toxiques en cas d’incendie.
[1] Les composés organiques volatils (COV) constituent un ensemble de substances appartenant à différentes familles chimiques dont le point commun est de s’évaporer plus ou moins rapidement à température ambiante : benzène, styrène, toluène, trichloroéthylène et d’autres substances très volatiles comme le formaldéhyde et l’acétaldéhyde.
Commentaires
Article très intéressant, mais je regrette qu'il ne soit pas mentionné la capacité de déphasage des matériaux biosourcés qui est réellement un plus par rapport aux isolants minéraux, surtout en cette période de fortes chaleurs.
"Ceux de la laine de chanvre ou de coton et de la ouate de cellulose sont d’environ 0,039 W/m.K. Ces valeurs sont du même ordre que le lambda des laines de roche ou de verre."
Les meilleures laines de verre sont à 0,032 (voire 0,030). Cela fait une différence quand même. Pour obtenir une résistance thermique de 6 en paroi verticale (minimum pour obtenir du basse consommation), on passe ainsi de 18 cm requis (en 0,030) à 23,4 (en 0,039).
Les meilleurs isolants synthétiques sont à 0,022 soit 13,2 cm d'épaisseur pour un R de 6. Soit plus de 10 cm au pourtour d'un bâtiment. Soit 10 cm de plus de plancher, plafond et couverture.
Pour le bilan carbone, il ne faut pas s'arrêter uniquement à celui de l'isolant, il faut le regarder globalement notamment en terme d'incidence sur les autres ouvrages.
Faites le calcul pour une longueur de 1 m de paroi verticale. Un isolant moins performant, même si moins émetteur pour sa propre fabrication, va demander de 0,05 à 0,1 m² de plus de plancher bas, plafond et couverture à intégrer à son propre bilan. Si plancher porté, cela peut avoir des incidences sur les fondations.
Cela veut aussi dire plus de surface de terrain pour avoir la même surface habitable, etc.
Christophe,
Il existe des laines de bois avec un lambda de 0.036 (Chez Steico), et si on envisage une isolation à R = 3.7, ça donne en comparaison avec une laine de verre GR30 :
- Laine de bois 0.036 : 3.6 cm * 3.7 + 2 cm lame d'air passe réseaux électriques + 1.3 cm plaque de plâtre -> total = 16,6 cm
- Laine de verre 0.030 : 3 cm * 3.7 +2cm lame d'air passe réseaux électriques + 1.3 cm plaque de plâtre -> 14,4 cm
Soit une perte de 2,2 cm le long des murs donnant sur l'extérieur, mais de meilleurs paramètres de confort d'été ainsi qu'une une meilleure gestion de l'humidité. Pour être honnête, je doute que rapprocher le mur de 2,2 cm soit réellement si sensible...
Je me refuse à comparer avec du polyuréthane, dans la mesure où au delà de son bilan de production très émetteur, c'est un matériau parfaitement étanche à l'humidité (donc mauvais confort en particulier d'été et incompatibilité avec le bâti ancien), et très toxique en cas d'incendie.
PS : comparer les lambda sans parler de la mise en œuvre revient souvent à comparer des choses qui n'ont rien à voir. On sait en particulier que la présence d'un pare vapeur ou frein vapeur continu est nécessaire au maintien des performances de l'isolant dans le temps. De même les systèmes de montage sur ossature métallique peuvent fortement dégrader les performance d'une paroi si les appuis intermédiaires sont métalliques.
@Seb
Avec un R de 3,7 pour l'isolant tu es juste conforme à l'arrêté du 3 mai 2007 modifié en intégrant les ponts thermiques ponctuels de fixation de tes profilés et de joints entre panneaux d'isolant.
Comme indiqué pour faire du basse consommation il faut au moins un R de 6 sur l'isolant, on passe respectivement à 18 et 22 cm d'épaisseur, on a presque doublé l'écart.
Par contre avec des isolants plus traditionnels dans du bâti ancien (donc d'avant 1948) mais non en pierre, on peut se dispenser de l'ossature en collant directement le complexe isolant sur le mur, on gagne ainsi l'ossature métallique (très émissive à produire) et on se contente d'une plaque de plâtre de 9,5 mm contre 12,5 mm (là aussi mons d'émission).
Pour les réseaux, avec un peu de réflexion et de bons sens on arrive à limiter les besoins sur les parois extérieures limitant ainsi les ponts thermiques et les besoins de passage de réseaux (qui doivent être côté chaud donc pas dans la lame d'air "de collage").
Pour le bâti en pierre, c'est différent mais si non en limite, pour le confort d'été il est préférable de conserver la masse de pierre à l'intérieur.
"Je me refuse à comparer avec du polyuréthane", discours qui pour moi ressort du dogme. Dogmes qui nous emmènent bien souvent dans l'erreur, on le voit avec les dogmes sur la voiture électrique ou sur le diesel. Tu devrais pourtant faire les calculs à la fois thermique (y compris donc simulation dynamique) et bilan carbone.
Merci Bernard pour cet article.
La question du bilan carbone des matériaux d'isolation biosourcés est importante, cependant pour l'instant, en France, compte tenu des méthodologies utilisées pour les fiches FDES, en particulier la non prise en compte du stock carbone pour les isolants et le choix de scénarios de fin de vie très pessimistes (brulage sans récupération d'énergie, quand on considère sur les FDES que la laine de verre est recyclée...) ce meilleur bilan est difficile à faire valoir en France. Les industriels de l'isolation minérale et synthétique ont écrit cette méthodologie et on peut s'interroger sur la façon dont de grands groupes influencent profondément, et souvent dans des détails assez fins, peu compréhensibles par de non experts, les textes qui encadrent leur activité.
Un autre aspect que vous évoquez me semble majeur, c'est la capacité de certains isolant biosourcés à mieux composer avec l'humidité du bâtiment, en jouant le rôle de tampon hygrothermique. C'est ce qui explique leur meilleure compatibilité des matériaux biosourcés avec les bâtiments anciens, ainsi qu'une partie des gains de confort, en particulier l'été.
PS: Bernard, vous êtes sûr que la dernière photo ne serait pas une photo de laine de roche ?
Seb, pour la dernière photo, il y avait un doute, en effet. Je l'ai remplacée. Merci d'avoir attiré mon attention
Merci pour ce super article très complet ! Longue vie aux isolants bio sourcé !