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Nucléaire : faut-il abandonner les réacteurs EPR au profit des surgénérateurs ?

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Par Kevin CHAMPEAUPublié le 27 mars 2025
Le surgénérateur Superphenix à gauche et l'EPR de Flamanville à droite / Illustration : RE, EDF.

Dans le domaine du nucléaire, les surgénérateurs sont autant porteurs d’espoir que d’inquiétude. Pour autant, seraient-ils une option viable pour renouveler le parc nucléaire français ?

La décision finale d’investissement pour les nouvelles tranches nucléaires françaises devrait avoir lieu en 2026. Il est encore temps de se poser la question de savoir si les réacteurs EPR sont la bonne solution pour remplacer les réacteurs actuels. Et si le salut de la production nucléaire française devait venir de la surgénération ?

Le potentiel de la surgénération

Dans un réacteur traditionnel, on utilise principalement de l’uranium enrichi (environ 3 % à 5 % d’uranium 235, et le reste d’uranium 238) pour engendrer une réaction de fission. L’uranium 235 a la particularité d’être fissile, cela signifie qu’il peut subir une fission nucléaire en étant frappé par un neutron, et libère alors une grande quantité d’énergie. Le recours à ce type de combustible pose problème, puisqu’il engendre une importante quantité de déchets nucléaires qui ne peuvent être réutilisés en l’état, à savoir des produits de fission, dont du plutonium. De plus, l’uranium 235 ne représente que 0,7 % de la quantité totale d’uranium présente sur Terre.

La notion de surgénération est apparue dès les débuts de l’énergie nucléaire. En 1945, un certain Enrico Fermi, notamment connu pour avoir conçu la première pile atomique au monde (Chicago Pile-1), propose le concept de surgénération. Il s’agit d’un procédé nucléaire dans lequel un réacteur produit plus de combustible fissile (plutonium 239 et uranium 233) qu’il n’en consomme. Pour cela, il transmute des matériaux fertiles, comme l’uranium 238 ou le thorium 232 en isotopes fissiles. Concrètement, cela signifie que l’uranium 238 a la capacité de capturer un neutron, ce qui le transforme en plutonium 239, une matière fissile.

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Ce procédé multiplie les avantages, puisqu’il permet d’utiliser des matériaux très abondants. L’uranium 238 représente 99,3 % de l’uranium total, et le thorium est trois fois plus abondant que ce dernier.

En général, on distingue deux couples de matières fertiles et fissiles :

  • Uranium 238 et plutonium 239,
  • Thorium 232 et uranium 233.

Pour exploiter ce concept, on utilise des réacteurs à neutrons rapides. Le premier prototype de ce type, appelé Clémentine, est mis en service en 1949, dans le Laboratoire national de Los Alamos, au Nouveau-Mexique.

La surgénération, étape de la stratégie nucléaire française

En France, les recherches sur la surgénération ont débuté dès les années 50, et ont abouti à la première divergence d’un réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium en 1967. Appelé Rapsodie, ce réacteur, d’une puissance thermique de 40 MW, avait pour but de trouver une utilisation civile au plutonium.

La notion de surgénération faisait partie de la vision à long terme du plan Messmer, lancé en 1974. En effet, les réacteurs à eau pressurisée (REP), qui composent la base du parc nucléaire français, devaient permettre la constitution d’un stock de plutonium. Celui-ci devait ensuite pouvoir être utilisé dans des réacteurs à neutrons rapides, permettant alors d’utiliser de l’uranium 238. C’est dans cette optique qu’ont été construits les réacteurs Phénix (1968), et surtout Superphénix.

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Superphénix était un prototype de réacteur nucléaire à neutrons rapide, refroidi au sodium liquide, qui affichait une puissance de 1240 MWe. Après un début des travaux en 1976, il a été mis en service en 1985. Ce prototype utilisait comme combustible un mélange de 80 % d’uranium 238, et 20 % de plutonium fissile. Sur le papier, les 5 tonnes de plutonium initialement chargées dans le cœur du réacteur pouvaient être régénérées en 30 ans.

Néanmoins, l’existence de Superphénix a été marquée par de fortes oppositions politiques et environnementales ainsi que d’importants problèmes de disponibilité. Sur ses 12 ans de service, il n’aura produit de l’électricité que pendant 200 jours.

Des défis techniques qui sont encore à relever

Cette faible disponibilité est, en partie, liée aux difficultés de faire fonctionner un réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium. Dans son architecture, Superphénix était considéré comme plus sûr que des réacteurs à eau pressurisée grâce à l’enveloppe d’uranium 238 qui empêchait une réaction en chaîne incontrôlée.

Néanmoins, contrairement aux réacteurs français traditionnels, l’eau ne peut pas être utilisée dans les circuits primaires et secondaires, car elle ralentit les neutrons. Pour cette raison, on utilise du sodium liquide. Or, ce matériau pose d’importants défis techniques. D’abord, sous sa forme liquide, le sodium explose lorsqu’il entre en contact avec l’eau, et s’enflamme lorsqu’il est en contact avec l’air. Ces particularités sont à l’origine de nombreux accidents.

En 1994, un réservoir de sodium du réacteur Rapsodie a explosé pendant une opération de nettoyage, coûtant la mort à l’ingénieur René Allègre.  Dans le monde, plusieurs RNR ont subi des incidents, comme le réacteur Monju, au Japon. En 1995, une fuite de 640 kg de sodium liquide a causé un incendie et un important dégagement de fumées toxiques. Outre les risques, le sodium liquide est opaque, ce qui rend plus difficile l’inspection et la surveillance du réacteur.

Le surgénérateur de Monju au Japon en 2007 / Image : AIEA.

Une technologie trop chère pour le moment

Malgré les défis importants, on compte de nombreux projets de RNR dans le monde. Pour l’heure, seule la Russie possède des réacteurs connectés au réseau électrique avec le BN-600 et le BN-800, qui utilise un mélange de plutonium et de dioxydes d’uranium comme combustible. Trois réacteurs sont en cours de construction en Inde et en Chine.

En France, le développement d’une filière RNR devait se poursuivre avec le projet ASTRID, un prototype de réacteur rapide à caloporteur de sodium de quatrième génération. Lancé en 2010 et piloté par le CEA, le projet devait aboutir à la mise en service du réacteur en 2020, mais a finalement été suspendu en 2019. Outre les défis techniques, c’est surtout le budget nécessaire qui a conduit à sa suspension. Si l’arrêt de ce projet a été vivement critiqué, l’administrateur du CEA a justifié cette décision par le prix bas de l’uranium, qui ne justifie pas la surgénération. En 1997, si l’arrêt de Superphénix était avant tout lié au contexte politique et aux problèmes techniques rencontrés, le faible prix de l’uranium a contribué à la décision.

Si la production d’énergie nucléaire augmente dans les décennies à venir, il ne fait aucun doute que le prix de l’uranium va augmenter. Les surgénérateurs deviendront alors une solution viable d’un point de vue économique. Pour l’heure, il semble que, malgré les difficultés rencontrées à Flamanville, les EPR2 soient une meilleure option que d’hypothétiques RNR pour renouveler le parc actuel.

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