Éolien terrestre : cette décision absurde qui enterre les nouveaux projets en France


Éolien terrestre : cette décision absurde qui enterre les nouveaux projets en France

Un chantier éolien à Fos-sur-Mer / Image : Révolution Énergétique - HL.

Stupeur et tremblements : la loi d’accélération des renouvelables à peine promulguée, le dernier appel d’offre éolien du gouvernement français s’achève en désastre. L’appel visait 925 mégawatts (MW) de puissance éolienne. 944 MW ont été proposés par des développeurs… et 54 MW seulement retenus par le ministère de la Transition écologique, sur proposition de la Commission de régulation de l’énergie (CRE).

Soixante dossiers avaient été déposés en décembre 2022 à la suite de la publication de l’appel d’offres – plus exactement, du troisième volet d’un appel d’offres plus général portant au total sur 9 GW de puissance éolienne. Ces 60 projets sont autorisés, et disposent d’une convention de raccordement au réseau. Seuls quatre ont été retenus. La CRE a estimé ne pas pouvoir retenir 48 projets « non conformes » au cahier des charges : une modification avait en effet été introduite depuis les appels d’offres précédents, que la plupart des acteurs, y compris les plus gros, n’ont pas comprise.

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Cette modification augmentait le niveau des garanties d’exécution exigées des développeurs, pour éviter que certains gagnants d’un appel d’offres ne retentent leur chance, pour le même projet, en visant un prix d’achat plus élevé quelques mois plus tard. Modification vertueuse, mais quand une grosse majorité de projets ne comprennent pas une disposition, c’est qu’elle est mal expliquée. La CRE l’admet d’ailleurs, si l’on ose dire, « en creux », puisqu’elle « recommande de modifier le modèle de garantie financière annexé au cahier des charges afin que les conditions attendues y soient clairement explicitées ». Dans ces conditions, exclure d’emblée environ 700 MW au nom d’une clause obscure visant à assurer leur réalisation, c’est la définition même d’une politique de Gribouille !

Sur les douze projets restants, totalisant une puissance de 236 MW, huit ont été éliminés, totalisant 182 MW, parce que leur prix dépassait un plafond… confidentiel. La moyenne pondérée du total des offres s’élève à 89,5 €/MWh, celle des projets retenus à 76,4 €/MWh.

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Un retard qui ne pourra jamais être rattrapé ?

La CRE suggère de reprendre un appel d’offres éolien rapidement pour rattraper ce retard… mais beaucoup estiment que cela prendra plusieurs mois, donc la tranche suivante sera également retardée, et celle d’après aussi, etc… Ainsi le retard ne serait jamais véritablement rattrapé, et ce « presque gigawatt » de puissance éolienne ferait durablement défaut.

Certains développeurs suggèrent qu’on pourrait fortement accélérer le rythme des appels d’offres par l’embauche d’une poignée de fonctionnaires à la CRE et à la DGEC (et dans les préfectures), qui « manquent de bras » – pas des milliers comme pour les réacteurs nucléaires à entretenir ou construire, ni même de centaines comme chez RTE et ENEDIS pour accélérer les raccordements, quelques dizaines en régions, quelques-uns seulement dans les services centraux… L’enjeu n’est pas seulement de rattraper ce gigawatt perdu, mais bien d’accélérer la réalisation des treize gigawatts de projets en attente. Le gigawatt perdu créera-t-il le choc nécessaire pour retrouver dix ou plus ?

Car la ministre peut faire un choix plus simple que de lancer un « nouvel appel » : revenir sur sa décision de ne prendre que 54 MW dans cet appel d’offres, et prendre tous les projets proposés, ou au moins 80 % d’entre eux (la « règle de compétitivité » permet de ne pas retenir les projets les plus coûteux).

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Hausse des coûts de l’éolien

À 89,5 €/MWh, les réponses à cet appel d’offres témoignent d’une augmentation sensible du prix de l’éolien terrestre, due à la dérive inédite du coût des mâts et des turbines, et surtout des taux d’intérêt, depuis mi-2021, qui fait augmenter le coût des projets de 20 €/MWh en moyenne, comme partout en Europe. Elle s’ajoute aux surcoûts spécifiquement français (au moins 10 €/MWh) dus aux limites de tailles de la plupart des machines, à la participation du secteur aux coûts de modification des réseaux (au-delà du raccordement stricto sensu, entièrement à la charge des développeurs d’éolien terrestre), et surtout aux coûts des délais entraînés par les recours en justice.

Même à ce prix, quasiment double du prix de l’éolien maritime en Centre Manche attribué depuis  (45 €/MWh) l’éolien reste une bonne affaire pour le climat, l’économie et la souveraineté énergétique. Il est garanti pour vingt ans dans un contexte de baisse probablement inéluctable des productions hydroélectrique et nucléaire, et d’électricité ex-fossiles coûteuse, volatile et polluante, sur fond d’arrêt du gaz russe.

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La ministre s’interroge peut-être sur la compétitivité de l’éolien, alors qu’EDF promet que les nouveaux réacteurs nucléaires produiront de l’électricité à 75 €/MWh – promesse très difficile à croire, mais même si ce rêve se réalise, la comparaison n’a aucune pertinence pour des projets à mettre en service dans quelques mois, contre quinze ans au moins pour les premiers réacteurs neufs. En attendant, l’alternative aux énergies éoliennes et solaires, ce sont les énergies fossiles. Et aucun surcoût de flexibilité n’est à ajouter, du fait de la variabilité du soleil et du vent, au niveau où se situent ces énergies dans le mix.

Une décision incompréhensible

La CRE soupçonne les développeurs de chercher des profits excessifs, elle ne croît visiblement pas aux vertus de la compétition. Elle pourrait regarder ce qui se passe du côté des « PPA » (power purchase agreement), ces accords d’achat à long terme d’électricité éolienne ou solaire que signent de grands industriels avec les développeurs, dont le prix moyen en France comme en Allemagne, en Pologne ou au Royaume-Uni, dépasse, et parfois largement, les 90 €/MWh. Elles sont sans doute stupides, ces entreprises qui se protègent ainsi de la volatilité des prix de l’électricité…

Une dernière preuve que ces projets auraient dû être acceptés, c’est qu’ils sont semble-t-il inférieurs au plafond légal, fixé par la loi de finances 2023, à 100 €/MWh pour l’éolien et le solaire. Quelle est d’ailleurs la légitimité d’opposer aux projets un autre plafond, confidentiel de surcroît, que celui que la loi a fixé ?

Si sa volonté d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables est sincère, la Ministre doit revenir sur cette décision absurde – et d’abord ne pas la redoubler avec l’appel d’offres photovoltaïque en cours. À défaut, elle montrerait que sa volonté d’équilibre entre renouvelables et nucléaire n’est que poudre aux yeux.

Cédric Philibert est l’auteur de « Éoliennes, pourquoi tant de haine », paru chez Les Petits Matins/Institut Veblen.

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