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C’est un thème très en vogue auprès des adversaires des énergies renouvelables qui ne jurent que par le nucléaire : l’éolien et le solaire ne feraient en France que prendre la place de l’énergie nucléaire. Et de ce fait, ne contribueraient en rien à décarboner le mix électrique français ou européen.
Jean-Marc Jancovici, entre autres, aborde ce thème dans sa fameuse bande dessinée « Le Monde sans fin » (avec Christophe Blain, éd. Dargaud), pp. 158-159. La thèse est reprise avec force par deux autres polytechniciens, anciens dirigeants d’entreprises, Gérard Buffière et Bernard Kasriel, dans une tribune d’Atlantico le 4 avril dernier : « La priorité d’injection sur le réseau, que confèrent leurs contrats aux producteurs d’énergie renouvelable, dès que leurs installations éoliennes ou solaires produisent, se traduit par une baisse de la production nucléaire. » Or, il n’y a de priorité d’injection en métropole que pour les installations de moins de 400 kW. Les énergies renouvelables sont appelées en priorité parce que leur coût marginal variable est proche de zéro, ce qui n’est le cas d’aucune autre technologie. Passons.
No duettistes poursuivent : « C’est ce que confirme une analyse minutieuse des données de RTE pour chacune des années de 2006 à 2019 (2020, 21 et 22 sont trop perturbées par de multiples facteurs pour permettre la même analyse). On constate sur le graphique ci-dessous que, pour une production totale pratiquement stable sur la période, la production nucléaire a été réduite pour faire la place à l’éolien et au solaire, injectés en priorité. Il ne s’agissait en rien d’une incapacité du nucléaire à produire plus puisque sur toute la période la France a été un grand exportateur net d’électricité. »
Le nucléaire qui s’efface au profit des renouvelables : une fausse évidence
Cela semble avoir la force de l’évidence : l’éolien et le solaire progressent, entraînant une baisse de la production nucléaire. Même si l’on saisit mal ce que le fait exportateur ajoute à l’argument.
Pourtant, RTE affirme le contraire dans une note de 2020 : « En France, le développement de l’éolien et du solaire ne s’est pas réalisé, au cours des années récentes, en substitution à l’énergie nucléaire. Une réduction significative de la production annuelle des réacteurs nucléaires a certes été enregistrée depuis les années 2000, et principalement entre 2005 (production annuelle de 430 TWh) et 2016 (production de 384 TWh, soit une baisse de près de 50 TWh en un peu plus de dix ans). Cette réduction tient principalement aux performances du parc nucléaire, dont les réacteurs font l’objet d’arrêts plus fréquents et plus longs, notamment dans le cadre du programme du grand carénage. »
Cependant, RTE reconnait que « dans le contexte d’aujourd’hui, la modulation à la baisse de la production des réacteurs nucléaires en périodes de grande abondance de production renouvelable est un phénomène qui existe ». Toutefois, il « demeure rare et se produit essentiellement lors des périodes de faible consommation électrique (en particulier certains week-ends et jours fériés). » Alors qui a raison ? Comment savoir si l’éolien et le solaire ont réellement fait diminuer la production nucléaire, comme l’affirment Buffière et Kasriel, ou si le phénomène est resté marginal, comme l’explique RTE ?
Disponibilité et facteur de charge
Pour en avoir le cœur net, il faut comparer deux indicateurs de la performance du parc nucléaire : la disponibilité à produire de l’énergie, d’une part, le facteur de charge, de l’autre. Le premier indique l’énergie disponible, le seconde la production réelle, l’un et l’autre en pourcentages de de l’énergie de référence, celle que chaque réacteur aurait produit en fonctionnant 8 760 heures par an sa puissance nominale.
La différence entre cette énergie disponible et l’énergie effectivement produite, c’est l’énergie disponible, mais non produite, en raison, nous dit un document de l’AIEA qui explicite ces notions (Technical report 428, p.21, fig.11), du suivi de la demande, du contrôle de la fréquence, des ajustements de réseau (ou d’une mise à l’arrêt pour les raisons précédentes). Rappelons qu’avant la montée en puissance des énergies renouvelables variables que sont l’éolien et le solaire, il y avait déjà beaucoup de variabilité dans la demande d’électricité, sur toutes les échelles de temps, journalière, hebdomadaire, saisonnière, rendant nécessaire le suivi de la demande.
À lire aussi Non, l’extraction des minéraux pour les énergies renouvelables ne menace pas des millions de km²Le graphique ci-dessous compare le coefficient de disponibilité et le facteur de charge du parc français sur la période 2002-2019. Le premier est disponible jusqu’en 2022 sur le site d’EDF open data. Le second à la p.96 d’une présentation générale d’EDF, jusqu’en 2021. Une étude « minutieuse » aurait dû bien sûr comparer ces deux indicateurs.
Les renouvelables, chasseuses de fossiles
Or que voit-on ? Eh bien… pas grand-chose : l’écart entre la disponibilité et le facteur de charge (que l’on a fait figurer également), oscille entre 4 et 12, sans qu’une tendance nette se dégage. Son maximum est en 2003, son minimum en 2008, dans les deux cas bien avant la montée en puissance, toute relative d’ailleurs, de l’éolien et du solaire. En 2018 et 2019, lorsque l’éolien et le solaire devraient « se voir » le mieux, cet écart (5,4 %) se trouve même inférieur à l’écart moyen (6,9 %) de la période 2002-2017.
Rien en tout cas, qui confirmerait un rôle éventuel de la production électrique éolienne et solaire sur la baisse de la production. Si le phénomène était amené à se produire – peut-être – un jour, il n’est pas visible aujourd’hui. On peut également conclure de cette comparaison que, comme le dit RTE, l’électricité éolienne et solaire produite en France ne déplace pas, ou guère, d’énergie nucléaire, mais bien plutôt des énergies fossiles en France et en Europe, via les interconnexions. Buffière et Kasriel ont tout faux.
À lire aussi Pourquoi l’État veut freiner sur l’éolien terrestre ?Cédric Philibert est l’auteur de « Éoliennes, pourquoi tant de haine », paru aux éditions Les Petits Matins/Institut Veblen.
Commentaires
J'aime beaucoup les personnes qui hurlent contre les prix négatifs.
Mais effectivement, quand on produit aux pays-bas 11GW de solaire, un samedi 24 mai 2023 entre 15h et 16h, c'est magnifique.
Même si on en consomme que 1,5GW.
C'est une pré-vision de la réalité quasi quotidienne du grid d'ici 10ans.
Donc bien avant que les équipes redoutablement rapides efficaces et travailleuses des fonctionnaires de droit privé d'électricité de France (les équies avec la même culture de travail que celles qui font la maintenance....) aient pu commencer à corriger la 4ieme version du bâtiment réacteur du dernier EPR, en (dés)accord avec l'ASN et autres organismes ultra efficaces d'état..
J'insiste sur cette course contre la montre, car c'est sur ce plan que tout va se jouer.
Je suis certain, vu le nombre d'acteurs, vu la concurrence et l'aspect mondial de ces investissements (en Chine, aux USA en Europe), que l'on fabriquera des dizaines(centaines?) de GWh par an de stockage avant que les EPR ne soient en ligne (parce que la France est le seul pays au monde ou on fait un tel programme de dev du nucléaire, à cause du monopole d'électricité de France qui impose presque de continuer dans cette voie) .
Pour info, les privés ont achetés 3GWh de batteries stationnaires (marché totalement embryonnaire) en Europe en ... 2022 . Comme pour les VE qui sont à 17% de part de marché en Europe au premier trimestre 2023 (là ou Tavares prévoyait pas plus de 18% avant 2030... !) , comme pour Tesla qui a complètement retourné le marché (Pour la 1er fois de l'histoire, la voiture la plus vendue en Europe et dans le monde durant les 3 premiers mois de 2023 est une 100% électrique à batterie), le marché de la batterie stationnaire, étroitement liée à la chaine de valeur des BatteryElecVehicle (recyclage direct avec une vraie création de valeur) , va exploser dans les 10ans.
Notre confort va s'améliorer et le prix de l'elect baisser (massivement au point que EDF(groupe) gagnera surtout sur le grid par sur la prod) pour peu que le nuc ne nous soit pas imposé dans notre mix de consommateur.
Les variations de fréquence seront gérées, avec ou sans les barrages , car les électroniques d'aujourd'hui qui pilotent ces fermes de batteries sont extrêmement efficaces et fiables.
Quel foutage de gu...
Partout il faut sauver le nucléaire, tout d'abord on lui collant la taxonomie verte (avec son copain le gaz) puis maintenant en pointant du doigt les ENR.
Les arguments de Janco sont incomplets dans cet article, car il prône aussi et surtout la décroissance. Que le nucléaire soit remplacé par des ENR n'est pas un problème en soit tant qu'on consomme pas plus d'énergie, voire qu'on se met à en consommer moins.
Le seul moyen de freiner le réchauffement climatique (et Janco le dit) c'est de réduire notre activité.
Le truc c'est que c'est pas en augmentant notre activité deux années de plus qu'on ira dans la bonne direction.
La production thermique fossile en France en Twh n'a jamais baissé. La part dans le mix stagne à 8% depuis de nombreuses années. On a ouvert la centrale à Gaz de Landivisiau. Le niveau de GES/ Twh du mix et de decarbonation du mix ne baisse pas non plus. Si ça remplace du thermique, c'est certainement pas en France, analysez donc les rapports RTE.
C'est faux, si tu regardes la production électrique fossile dans le Bilan électrique 2022 de RTE (https://analysesetdonnees.rte-france.com/bilan-electrique-synthese), tu vois qu'on ai passé d'entre 50 et 60 TWh par an dans les années 2000 à autour de 40 TWh depuis 2015 (la baisse n'est pas incroyable mais elle est indégnable). Et quand on se débrouille pour baisser la demande, on peut même descendre à 30 TWh en 2023 (https://analysesetdonnees.rte-france.com/production/thermique-fossile).
Donc si! La production fossile en France à baisser d'environ 15 TWh en 20 ans.
Entièrement d'accord, mais ça les écolo-debiles (qui connaissent tous le futur, vous remarquerez) ne peuvent pas (ou ne veulent pas) l'entendre.
Selon eux "l'usine à gaz" des ENRi Allemandes qui a couté une fortune et n'a jamais fait la démonstration de son utilité (étant donné les émissions de CO2 Allemandes par kwh) va marcher incessamment sous peu....
https://de.statista.com/statistik/daten/studie/38897/umfrage/co2-emissionsfaktor-fuer-den-strommix-in-deutschland-seit-1990/
Sujet très intéressant et hautement polémique : le duel éolien / nucléaire. Mais tout d'abord un mot sur l'auteur de cet article, et d'un livre intitulé "Éoliennes, pourquoi tant de haine ?". On pourrait simplement répondre par "Pourquoi tant d'éoliennes ?" Il suffit de parcourir nos campagnes pour constater à quel point elles défigurent nos paysages et trouver l'origine évidente de cette opposition. Pas besoin d'en faire un livre...
Maintenant, parlons chiffres. L'ADEME situe le bilan carbone des éoliennes de l'ordre de 15 g de CO2 par kWh contre 6 pour le nucléaire et 43 pour le solaire en passant (production chinoise, donc au charbon...). Bref, plus d'éoliennes contribue à recarboner notre électricité. Sans compter que l'intermittence se traduit par une puissance équivalente installée en pilotable (charbon en Allemagne, donc électricité fortement carbonnée de 341 g par kWh en 2022 contre 87 en France). Si l'auteur avait bien lu la BD de Blain/Jancovici qu'il cite en pages 158 et 159, il aurait compris qu'il s'agissait d'un scénario fictif pour la France mais d'une réalité pour l'Allemagne, quand il parle de baisser la production du nucléaire. En effet, en Allemagne, le charbon soutient la production d'électricité malgré les 500 milliards d'euros dépensés dans l'éolien en 20 ans. Tiens, peut-être une autre raison de cette haine de la part du contribuable, en plus de celle du citoyen. Dois-je continuer d'énumérer les défauts de l'éolien en montrant que le stockage à grande échelle, même par des barrages surdimensionnés, est illusoire ? Ou peut-on s'arrêter aux dires de ce ministre de l'écologie, créateur de l'ADEME, dont l'auteur était proche conseiller au début des années 90 : "Le nucléaire, en dépit de ses imperfections, est un allié du climat". Cette phrase sonne comme un aveu de 30 ans d'égarement et d'incompétence chez les écologistes qui ont gouverné notre pays et révélé leur légèreté devant la commission d'enquête de l'assemblée sur notre perte de souveraineté énergétique.
Je ne suis pas scientifique ni expert en revanche j'ai une installation solaire.
Et il y 2 méthodes pour consommer l'énergie en France.
A la méthode EDF et à la méthode autoconsommation.
Si je suis là méthode EDF, je consomme la nuit en heure creuse, ballon d'eau, machine et VE.
Et mon installation solaire crache à midi des kilowatts dans le réseau et EDF conclut que les ENR les emmerdes.
Et à la méthode autoconsommation je consomme le maximum de ma production en décalant ma conso avec la prod solaire.
Bien évidemment je peux réaliser la manip car j'ai tout intérêt à le faire et j'ai une vision de l'installation.
Tout le contraire des ENR de l'ensemble du pays.
Je vous laisse le soin de vous faire votre propre opinion !