La machine de Gramme / Image publiée en 1873 dans la revue Nature - Domaine public. Montage : RE.
Cet été, Révolution Énergétique retrace une partie de l’histoire des énergies. Ces « premières fois » où de l’électricité est sortie d’une centrale nucléaire, d’une éolienne ou d’une centrale hydroélectrique. Ces grandes étapes souvent méconnues, où le premier panneau photovoltaïque a été installé, où la première pompe à chaleur a délivré des kilowattheures de froid ou de chaud « bas-carbone ». Cette semaine, nous partons à la recherche du premier jour où la France a produit de l’électricité.
La préhistoire de l’électricité : l’invention des premiers générateurs
Qui dit production d’électricité, dit générateur. Si ce concept peut sembler banal en 2023, il a pourtant fallu des siècles pour réussir à fabriquer des générateurs dignes de ce nom. Si l’on attribue au physicien allemand Otto von Guericke l’invention du premier générateur mécanique, en 1663, celui-ci n’était alors qu’un instrument servant de source d’électricité statique pour ses expériences.
C’est entre 1867 et 1871 que les choses commencent réellement à devenir intéressantes, lorsque le Belge Zénobe Gramme imagine un collecteur d’électricité qui rend enfin possible la réalisation de génératrices à courant continu. Aussi surprenant que cela puisse paraitre, c’est bien à ce bricoleur de génie autodidacte, pourtant menuisier de métier, que l’on doit l’invention de la première génératrice dynamoélectrique (dynamo) de courant moderne, la célèbre « machine de Gramme ».
À lire aussi Il fabrique sa propre centrale hydroélectrique et dit adieu à EDFDécrié, moqué et présenté comme un amateur par les savants et ingénieurs de l’époque, il rentre pourtant dans l’histoire le 17 juillet 1871, lorsqu’il présente son invention à l’Académie des sciences. Tous se rendent alors à l’évidence : la machine de Gramme [1] fonctionne ! Toujours en 1871, Zénobe Gramme, qui venait de déposer son brevet, cherchait à exploiter sa machine. Il fait alors la rencontre d’Hippolyte Fontaine qui deviendra l’administrateur de sa toute nouvelle société : la Société des Machines magnéto-électriques Gramme. Ensemble, ils vont réussir à adapter la génératrice électrique à de multiples usages industriels et poser les bases techniques et économiques de l’industrie électrique française. Grâce à eux et à leur collaboration extrêmement féconde, l’électricité va ainsi pouvoir entrer dans une nouvelle ère.
En 1878, quelques mois seulement avant la mise au point de l’ampoule électrique par Thomas Edison, un autre fait marquant se produit. Lors de l’exposition universelle de Paris, l’avenue de l’Opéra est pour la première fois illuminée par des « bougies électriques de Jablochkoff », un ancêtre de l’ampoule électrique, dont les premiers modèles étaient justement alimentés en courant continu par une machine de Gramme.
À partir de 1881, l’électricité entre dans l’ère industrielle
1881 : cette année-là marque un tournant dans l’histoire de l’électricité, car c’est à cette période que la première Exposition Internationale d’Électricité est organisée à Paris. En 3 mois, elle rassemblera pas moins de 880 545 visiteurs et 1 768 exposants venus admirer des merveilles qui resteront dans l’histoire : l’ampoule électrique d’Edison, le téléphone de Graham Bell, le tramway électrique de Werner von Siemens, la fameuse dynamo de Gramme et même un prototype de réseau de distribution électrique qui est l’œuvre de Marcel Deprez.
En 1884, un industriel suisse du nom de Louis Dumont conçoit la première centrale hydroélectrique de France, près de Bellegarde dans l’Ain. Équipée de 3 turbines capables de développer 2 000 chevaux, elle permettra d’alimenter l’éclairage public de la ville. Le 10 août 1884, Bellegarde devient ainsi la première ville de France éclairée à l’électricité, un titre disputé par une autre ville : La Roche-sur-Foron qui sera en fait la seconde.
En 1886, la ville de Bourganeuf, dans le Limousin, devient la 3ᵉ ville française à recevoir l’électricité. La production s’avéra néanmoins chaotique, le ruisseau le Verger n’étant pas assez puissant pour alimenter correctement les 60 lumières. On envisagea alors d’exploiter la cascade des Jarrauds, mais celle-ci avait l’inconvénient d’être située à 14 km de la ville. La ville avait besoin d’un réseau électrique !
Nous sommes alors 5 ans après la présentation par Marcel Deprez du 1ᵉʳ prototype de réseau électrique lors de l’Exposition Internationale d’Électricité. Entre-temps, l’ingénieur a expérimenté et en 1885, il teste une liaison électrique de 56 km entre la gare du Nord et la ville de Creil. Il prend alors l’initiative d’aider Bourganeuf et après 3 ans d’études et 1 an de travaux, les installations de la petite ville du Limousin deviennent les premières en France à transporter de l’électricité sur une telle distance.
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Depuis cette époque, l’industrie électrique et la science n’ont cessé d’évoluer. Les modes de production d’énergie se sont multipliés et de nouvelles technologies apparaissent en permanence. En 2022, la France a ainsi produit les premiers mégawattheures issus d’éoliennes en mer, grâce au parc éolien en mer de Saint-Nazaire. Que de chemin parcouru depuis la machine de Gramme.
Voilà, maintenant, vous savez tout ! Vous n’avez plus qu’à vous détendre, siroter un cocktail et penser avec fierté : maintenant, je sais quand la France a produit de l’électricité pour la première fois. C’était un lundi, le 17 juillet 1871.
[1] Un exemplaire est visible au musée des arts et métiers