Un méthaniseur en Allemagne / Image : Getty.
Produire de l’énergie bas-carbone avec nos déchets organiques : c’est la promesse de la méthanisation. Mais comment fonctionnent ces installations, dont les premières ont vu le jour en France au début des années 2000 seulement ?
Début 2023, la France comptait un peu plus de 1 700 unités de méthanisation en service. La plupart installées sur des exploitations agricoles, mais également sur des sites industriels ou dans des stations d’épuration des eaux urbaines. Parce que, même si en France, l’écrasante majorité du gisement mobilisable à l’horizon 2030 semble être agricole, à la source de la méthanisation, il peut y avoir différents types de déchets. Des déchets liquides ou solides. Des déchets issus de l’industrie agroalimentaire, de cantines et restaurants, des déchets végétaux, des déjections d’animaux, des boues d’épuration des eaux usées, des effluents d’élevage ou encore des résidus de culture. Et l’idée est de valoriser ces déchets au plus près de leur site de production.
Ce que ces déchets si divers ont pourtant en commun, c’est d’être organiques, donc putrescibles. Comprenez que des bactéries peuvent les décomposer, dans un processus qui génère du biogaz composé en partie d’un méthane (CH4) semblable au gaz fossile. Et qui génère aussi un digestat. Le biogaz peut être injecté dans le réseau public de gaz ou servir à produire de l’électricité et/ou de la chaleur. Il peut également être utilisé comme carburant dans des voitures, camions et navires. Le digestat, quant à lui, peut être valorisé pour fertiliser les sols.
À lire aussi Cette cité de Marseille se chauffe aux excrémentsLa méthanisation, ce n’est pas un procédé inventé par l’homme. Plutôt une technique empruntée à la nature. C’est le savant italien Alessandro Volta (1745-1827) qui a le premier attiré l’attention sur des bulles qu’il avait observées dans les vases du lac Majeur. Ce n’est pourtant qu’une centaine d’années plus tard que la première unité de méthanisation est mise en service. Un digesteur construit en Inde en 1897 pour produire du carburant. Aujourd’hui, le procédé connait un regain d’intérêt dû au contexte de lutte contre le changement climatique notamment. Parce que le biogaz ainsi produit rentre bien dans la catégorie des énergies renouvelables. L’ADEME estime que chaque kilowattheure (kWh) de biométhane injecté dans le réseau de gaz permet d’éviter l’émission de 200 g de CO2eq.
Les étapes de la méthanisation
L’ennui, c’est que comme souvent, avec la méthanisation non plus, tout n’est pas parfait. La production et l’utilisation de biogaz sont à l’origine de l’émission de polluants dans l’atmosphère, bien qu’inférieurs à ceux émis par les énergies fossiles. Si le CO₂ rejeté « aux cheminées » est d’origine atmosphérique, donc relativement neutre sur le climat, les particules fines et autres produits de combustion reste, eux, tout aussi nocifs pour la santé.
Voyons de plus près comment les choses se passent. Dans une première étape, les déchets organiques sont rassemblés dans une cuve hermétique. Celle que l’on appelle le digesteur ou le méthaniseur. Là, des micro-organismes entrent en action. Un broyage et la chaleur aidant — entre 35 et 40 °C —, le tout en l’absence d’oxygène. Dans ces conditions, les bactéries transforment d’abord les chaînes organiques complexes en composés plus simples. Les protéines ou les lipides sont brisés en peptides et autres acides aminés. Cette étape d’hydrolyse peut s’avérer longue ou se produire à des vitesses différenciées selon la nature des déchets injectés.
À lire aussi Voici le plus grand méthaniseur de FranceL’étape suivante, celle de l’acidogénèse, est bien plus rapide. Elle repose toujours sur des micro-organismes — différents des précédents — qui vont produire des alcools, des acides, mais aussi de l’hydrogène (H2) et du dioxyde de carbone (CO2). Puis d’autres bactéries vont utiliser ces produits pour fabriquer de l’acétate et encore du CO₂ et de l’hydrogène. Après cette phase d’acétogénèse, différentes bactéries enclenchent l’étape de méthanogénèse. À partir de l’hydrogène et du CO₂ ou à partir de l’acétate produit précédemment, elles forment du méthane.
En sortie de digesteur — entre 40 et 60 jours après introduction des déchets —, le mélange biogaz est riche en eau. Il se compose de méthane jusqu’à 70 %, de CO₂ jusqu’à 50 % et de quelques autres substances sous forme de traces — de l’ammoniac, de l’hydrogène sulfuré, des composés organiques volatils, etc. Pour l’injecter dans le réseau de gaz fossile sous forme de biométhane (fin 2022, environ 500 méthaniseurs étaient raccordés au réseau français), il doit donc encore subir des opérations de purification et d’odorisation, pour éviter que les éventuelles fuites passent inaperçues, d’adsorption, lavage à l’eau ou encore de séparation membranaire, par exemple.
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En France, un objectif de 10 % de renouvelable dans la consommation de gaz à l’horizon 2030 a été fixé par la loi de Transition énergétique. La méthanisation — aux côtés de la pyrogazéification et du power-to-gas (fabrication de gaz de synthèse à partir d’électricité, de CO₂ fatal et d’hydrogène) — doit y participer presque uniquement grâce à la récupération et à la valorisation de déchets organiques. Les méthaniseurs, en effet, ne sont pas autorisés à fonctionner à partir de plus de 15 % de cultures principales dédiées — qui auraient donc pris la place de cultures alimentaires. L’ADEME estime que cette part ne dépasserait en réalité même pas les 3 %. Toutefois, des cultures intermédiaires apparaissent de plus en plus dans le paysage. Elles sont destinées uniquement à produire de l’énergie. Mais elles ne sont plantées qu’entre deux cultures alimentaires sans en prendre la place.
La méthanisation doit ainsi, in fine, s’inscrire dans une véritable démarche d’économie circulaire. Parmi les avantages : la valorisation locale de déchets eux aussi locaux, des économies d’engrais artificiels pour les agriculteurs et pour les sols, la création d’emplois non délocalisables ou encore la diminution presque par 2 du coût de traitement des déchets par rapport à l’incinération ou à l’enfouissement.
L’installation d’un méthaniseur demande tout de même des investissements conséquents. Et les coûts de fonctionnement et d’entretien du gisement peuvent s’avérer élevés. D’autant que pour une production optimale, il faut veiller au bon mélange des intrants et au maintien d’une température constante dans le digesteur. Le procédé doit aussi être maîtrisé et les installations exploitées avec rigueur pour prévenir tout accident. On pense par exemple au risque d’explosion, du même ordre que celui qui existe sur des installations de stockage de gaz fossile. Il est en principe contenu par une réglementation stricte. Mais il y a aussi le risque de pollution de l’air, des sols et des eaux. C’est déjà arrivé et là aussi, des règles contraignantes ont été mises en place.
Un gisement colossal d’énergie
Pour améliorer l’acceptabilité des projets, des mesures de gestion des odeurs ont par ailleurs pu être décidées. Elles se concentrent sur les étapes de transport — avec des bennes étanches et lavées régulièrement —, de chargement/déchargement — dans un hangar ventilé — et de stockage — gestion en flux tendu pour les déchets les plus odorants — des déchets sources. Car l’absence d’oxygène dans le processus assure que la méthanisation en elle-même ne produit pas d’odeurs.
Autre point sensible : la hausse du trafic lié au transport des déchets de leur site de production à l’unité de méthanisation. Selon l’ADEME, celle-ci se limite cependant à 1 camion par jour travaillé dans le cas d’une installation à la ferme et à 10 camions par jour pour une unité de taille industrielle. Et des optimisations sont prévues pour réduire les distances parcourues et… les consommations de carburant.
Ainsi, la filière méthanisation semble-t-elle encore avoir besoin de quelques ajustements pour devenir totalement efficiente. Mais si elle parvient à mieux s’intégrer dans le paysage, à trouver plus de débouchés de proximité et à améliorer la qualité de ses produits, elle devrait avoir un bel avenir. Le gisement mobilisable étant estimé par les Chambres d’agriculture à quelque 60 TWh à l’horizon 2030. Et même à environ 185 TWh à plus long terme.
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