Combien d’éoliennes pour égaler un réacteur nucléaire ?


Combien d’éoliennes pour égaler un réacteur nucléaire ?

Le parc éolien de Port-Saint-Louis-du-Rhône / Image : Jean Weber - Flickr CC, montage : RE.

Seule, une éolienne produit moins qu’un réacteur nucléaire, c’est évident. Mais combien faudrait-il en ériger pour remplacer ou au moins produire autant qu’un réacteur nucléaire ? La question mérite qu’on s’y arrête un instant.

Combien faut-il d’éoliennes pour remplacer un réacteur nucléaire ? Au fil des articles de presse ou des posts sur les réseaux sociaux, différents chiffres sont avancés. Plusieurs milliers pour les uns. À peine quelques centaines pour les autres. Avec des résultats, vous l’imaginez, parfois entachés d’un certain parti pris. Alors, essayons d’y voir plus clair.

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Ce n’est pas seulement une question de puissance

On peut, dans une première approche, se poser la question de la puissance. En France, la plupart des réacteurs nucléaires affichent une puissance de 900 MW. Certains montent jusqu’à 1 300 MW et d’autres même jusqu’à 1 450 MW. La plupart des éoliennes installées à ce jour — des éoliennes essentiellement terrestres — affichent, elles, une puissance allant de 1 à 3 MW « seulement ». Au moins 900 MW d’un côté et au plus 3 MW de l’autre. Le calcul est vite fait. Il faut un minimum de 300 éoliennes, pour atteindre la puissance d’un réacteur nucléaire. Moins, toutefois, si l’on prend le parti de comparer à des éoliennes en mer. Leur puissance va déjà jusqu’à 6 MW et pourrait encore augmenter – il est question de 18 MW. Ce qui nous ramène au moins à 150 éoliennes — en mer — pour un réacteur nucléaire.

Mais les choses ne sont pas si simples. D’abord parce qu’une éolienne ne délivre sa puissance maximale que dans une fourchette de vent bien déterminée, entre 30 et 90 km/h. S’il n’y a pas de vent ou si la vitesse de ce vent est trop faible — ou même que sa direction ne coïncide pas avec celle de l’éolienne —, l’éolienne ne produit pas d’électricité. Ou elle en produit en quantité limitée. Idem lorsque le vent est trop fort. Il faut alors limiter la vitesse de rotation des pales pour éviter les dommages à la structure.

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Ainsi, si dans les faits, les éoliennes tournent plus de 6 000 heures par an, elles ne produisent, selon les experts, qu’entre 1 500 et 3 500 heures à puissance maximale. Une moyenne de 2 000 heures en Europe sur les 8 760 heures que compte une année.

Les réacteurs nucléaires, eux non plus, ne produisent pas tous les jours de l’année à pleine puissance. Ils sont parfois arrêtés pour réaliser des opérations de maintenance notamment. « EDF définit ce que l’on appelle le facteur de disponibilité », nous explique Dominique Vignon, président du pôle énergie de l’Académie des technologies. « Il donne une indication du nombre d’heures dans l’année durant lesquelles un réacteur est disponible. » Techniquement parlant, donc. Mais un autre facteur intervient. Celui que les experts appellent le facteur de charge. « En France, il est d’environ 3 points inférieurs au facteur de disponibilité. Cela traduit le fait que parfois, les opérateurs ne font volontairement pas fonctionner un réacteur à pleine puissance. Parce que les besoins en consommation ne sont pas là, ou parce que l’éolien, par exemple, produit beaucoup. »

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L’importance du facteur de charge

La notion de facteur de charge est valable aussi pour les éoliennes. Elle correspond, de manière générale, au rapport entre l’électricité effectivement produite durant l’année et l’électricité qui aurait été produite si l’installation avait fonctionné à pleine puissance 24/24 et 7/7.

Le bilan électrique 2022 publié par RTE donne ainsi un facteur de charge pour l’éolien français de 21,6 %. Le plus faible de ces 10 dernières années. En cause, des conditions météorologiques défavorables. En 2020, ce facteur de charge avait atteint un record de l’autre côté de l’échelle de 26,6 %. Selon les chiffres du même bilan RTE, le facteur de charge du nucléaire était, en 2022, de 51,7 %. Un chiffre, là aussi, historiquement faible. Les calculs faits sur cette année, qui a finalement été défavorable aux deux moyens de production, donnent qu’un réacteur de 900 MW a pu produire environ 4,1 TWh d’électricité. Pour produire autant avec des éoliennes, il aurait fallu compter sur une puissance installée de 2 170 MW, soit toujours en considérant des éoliennes de 3 MW chacune, sur plus de 720 éoliennes.

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Mais ce calcul sur l’année 2022 peut-il être généralisé ? « Dans les faits, le facteur de charge de l’éolien terrestre en France est plutôt stable depuis une dizaine d’années », commente pour nous Dominique Vignon. De l’ordre de 23 %. « Parce que même s’il est vrai que le potentiel de captation du vent par les éoliennes les plus récentes a augmenté, les sites sur lesquelles elles sont désormais implantées ne sont plus les meilleurs. Il y a probablement un effet de compensation entre ces deux phénomènes. Pour le nucléaire, c’est différent. Nous avons eu des facteurs de charge qui ont atteint les 80 % sur plusieurs périodes. Mais du fait du grand carénage et des problèmes de corrosion sous contrainte, ils ont beaucoup baissé. Je ne vois aucune raison qu’ils ne remontent pas à 80 % à l’horizon d’une petite dizaine d’années. D’autant que ce n’est pas particulièrement élevé par rapport à ce que l’on voit à l’étranger. » Aux États-Unis, par exemple, le facteur de charge du nucléaire est de l’ordre de 90 %. Les réacteurs y sont toutefois pilotés différemment des réacteurs français.

Quel impact du changement climatique sur la production ?

La question qui peut se poser, c’est si ces facteurs de charge vont être affectés par le changement climatique. Concernant celui de l’éolien, d’abord, « les experts estiment qu’il pourrait baisser d’un point à l’horizon 2050 », nous précise le président du Pôle énergie de l’Académie des technologies. En cause : des vents attendus moins puissants d’une part et des périodes de tempêtes plus fréquentes d’autre part. Les deux situations étant défavorables à la production éolienne. Et pour ce qui est du nucléaire, les centrales de bord de mer ne devraient pas connaître de variation de leur facteur de charge.

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Celles de bords de rivières auront, quant à elles, sans doute à faire face à des périodes plus longues durant lesquelles elles devront fonctionner à charge partielle. Pour éviter de perturber les écosystèmes en y rejetant des eaux trop chaudes. « Mais l’effet sera faible parce qu’en été, un certain nombre de réacteurs sont de toute façon arrêtés pour maintenance », nous fait remarquer Dominique Vignon. Ainsi là aussi, la perte de production restera minime. « Au final, il y aura un impact aussi bien sur l’éolien que sur le nucléaire, mais il ne changera pas la donne. »

Ce qui la change, dans une certaine mesure, c’est l’arrivée de l’éolien en mer. Aujourd’hui, il y en a encore très peu, en France. Mais des projets sont lancés. « Et le facteur de charge de l’éolien en mer est sensiblement meilleur que celui de l’éolien terrestre. » De l’ordre de 40 %. Ainsi, pour produire autant d’électricité qu’un réacteur nucléaire de 900 MW, il faudrait installer 1 170 MW d’éolien en mer. Soit, pour des éoliennes en mer de puissance à l’unité de l’ordre de 6 MW, quelque chose comme 195 éoliennes offshore. « En ajoutant de l’éolien en mer, le facteur de charge moyen global de l’éolien français ira donc en augmentant. »

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Au-delà du nombre, un problème de système

Mais ce que ces calculs ne prennent pas encore en compte, c’est la durée de vie des éoliennes comparée à celle des réacteurs nucléaires. Du simple au double. Au minium. Puisqu’on donne entre 15 et 25 ans pour une éolienne terrestre, entre 20 et 30 ans pour une éolienne en mer et au moins 50 ans pour un réacteur nucléaire. De quoi, d’un coup d’un seul, doubler le nombre d’éoliennes nécessaires à produire autant qu’un réacteur nucléaire.

Et même avec ça, ces chiffres bruts ne suffisent toujours pas à dresser une comparaison juste. « Parce que tout ça doit s’intégrer dans un système. L’éolien produit en fonction de la météo. Son déploiement s’accompagne nécessairement de coûts réseau et de coûts système rattachés à la nécessité notamment de lui adjoindre des capacités de stockage. Sans parler de la question de l’empreinte environnementale. Celle de l’occupation des sols et de la consommation des matériaux », conclut Dominique Vignon.

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