La Chine veut créer un super-réseau électrique mondial, baptisé « World of Energy Interconnection » (WEI). Cette vision, en France et ailleurs, offusque les partisans de l’autonomie énergétique et du localisme. D’autres concepts, misant notamment sur l’hydrogène, sont aussi mis en avant.
C’est une interview phare qu’a publiée PV Magazine ce 10 juillet. Mark Jacobson, Directeur du département Energie et Atmosphère au sein de la prestigieuse Université Stanford en Californie, et l’un des intellectuels les plus influents au monde dans le domaine des énergies renouvelables, y aborde une problématique fondamentale. « D’un côté, vous pourriez avoir 100 % de stockage et une interconnexion minimale. De l’autre vous pourriez simplement interconnecter le monde et n’avoir aucun stockage, car vous pouvez toujours obtenir de l’énergie renouvelable provenant de quelque part dans le monde. En réalité, vous allez avoir quelque chose entre les deux. »
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La première voie, celle de la production et du stockage locaux, s’inscrit dans une approche libérale (au sens philosophique), individualiste et localiste, avec comme idéal de s’émanciper, de s’affranchir le plus possible de l’État et des multinationales de l’énergie. Cela correspond au concept “SwaRaj” (littéralement « diriger par soi-même ») de Gandhi en Inde lorsqu’il s’agissait de se libérer du joug colonisateur britannique. Un concept qui était cher à l’ex-député Hermann Scheer, père des premières lois allemandes sur les renouvelables.
L’autonomie, c’est possible pour ceux qui habitent dans une maison individuelle, beaucoup moins si vous vivez dans un immeuble de 10 étages ou davantage. En outre, l’idéal philosophique de l’autonomie énergétique ne sera jamais atteint car les panneaux solaires et les batteries ne sont pas fabriqués par les particuliers chez eux, tout seuls dans leur coin.
Techniquement, sur une année, il est possible d’atteindre en France une proportion d’environ 60% de solaire photovoltaïque au niveau d’une maison (avec stockage intrajournalier). Mais pour aller au-delà il faut surdimensionner lourdement le système ou opter pour un stockage tout aussi lourd. Sur le plan du bilan écologique, cela n’est pas idéal. Cette option est en outre fortement dépendante des ressources en matériaux.
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Dès les années 1970 une initiative américaine connue sous le nom de Global Energy Network Institute (GENI) a fait la promotion d’un concept de super-réseau électrique à l’échelle de la planète.
Vers 2000 le chercheur Gregor Czisch a été le père du concept TREC (Trans-Mediterranean Renewable Energy Cooperation), rebaptisé « DESERTEC » par Gerhard Knies qui était focalisé sur la technologie thermosolaire (Concentrated Solar Power) alors que Czisch prônait de l’éolien associé à l’hydroélectricité. Czisch a proposé un concept de supergrid transcontinental entre l’Europe, l’Afrique du nord et le Moyen-Orient pour tirer profit de l’effet de foisonnement
Pour Czisch, joint par téléphone, l’approche de l’autonomie énergétique est « idéologique » et stérile. De très vifs échanges ont eu lieu en Allemagne a ce sujet, l’influent Hermann Scheer estimant que DESERTEC était une « fata morgana », autrement dit un mirage.
Un internet ou réseau mondial de l’énergie est une voie exactement opposée à celle de l’autonomie énergétique. Elle est collectiviste et s’inscrit dans une vision planificatrice et technocratique. C’est celle retenue par l’Empire du milieu. Elle s’accompagne d’une emprise étatique globale.
Cette vision repose sur l’Ultra-HVDC. Un tel réseau en courant continu à très haute tension (HVDC) est possible en version terrestre ou sous-marine. Cette technologie permet de perdre très peu d’énergie électrique par millier de kilomètres parcourus. Sur le plan technique elle permet un foisonnement optimal. A tout moment, il y a en effet une partie de la planète qui est éclairée par le Soleil. Quand il est midi a Dakar il est 15h à Moscou, 20h à Pékin et 8h à Santiago.
Il y a six ans, le président chinois Xi Jinping a présenté l’idée d’un « Internet mondial de l’énergie » aux Nations Unies. Depuis lors, son pays essaie de persuader le monde de construire les autoroutes à très haute tension qui constitueraient son épine dorsale. Si les plans de Xi se réalisent un jour, cela pourrait avoir de profondes implications géopolitiques, conférant à la Chine un pouvoir et une influence similaires à ceux que les États-Unis ont acquis en façonnant le système financier mondial après la Seconde Guerre mondiale.
Bref, ce projet de SuperGrid (via GEIDCO, Global Energy Interconnection Development and Cooperation Organisation) serait selon certains observateurs un cheval de Troie chinois pour contrôler les flux énergétiques mondiaux. Si l’UE et les USA refusent de participer, les Chinois sauront probablement trouver des partenaires en Russie, au Moyen-Orient, en Afrique et en Amérique latine. Il suffirait à la Chine de conclure un partenariat avec le Pakistan (où la Chine possède déjà une base militaire) et l’Arabie Saoudite pour être électriquement reliée à l’Afrique.
Bien qu’il ne soit pas certain que cela sera validé par le Congrès, le nouveau président américain Joe Biden veut, quant à lui, investir 100 milliards de dollars dans les réseaux électriques. A cet effet, il souhaite la création d’une nouvelle autorité de déploiement du réseau « pour stimuler des lignes de transmission à haute tension et prioritaires supplémentaires » le long des autoroutes fédérales. Et une étude commandée par des agences au Canada, au Mexique et aux États-Unis sur le potentiel de connexion de leurs réseaux doit être publiée cette année.
En avril, l’Union européenne a mis en place un groupe de travail pour aider à redimensionner son réseau, lequel est déjà le système international le plus développé au monde pour le commerce de l’électricité. Un des objectifs consiste notamment à développer un réseau offshore multinational pour les parcs éoliens.
Et en février, le Danemark a fait connaître son intention d’investir 34 milliards de dollars dans la construction d’une île énergétique artificielle qui sera au cœur d’un système de distribution en étoile. Avec un potentiel prévu de 10 gigawatts, le projet ajouterait deux tiers de capacité de production au réseau danois actuel ; c’est beaucoup trop pour ne servir que le marché national.
Supergrid ou stockage ?
Le vent tournerait-il en faveur des personnes qui promeuvent depuis des années l’idée des supergrids ? « Je pense que notre heure est venue », expliquait Mika Ohbayashi, directeur du Renewable Energy Institute, dans le cadre d’une interview pour l’agence Bloomberg. Cette organisation basée à Tokyo a été créée en 2011 par Masayoshi Son, le fondateur de Softbank Group, à la suite de la catastrophe nucléaire de Fukushima. Sa mission est de promouvoir un super-réseau en Asie du Nord-Est, lequel relierait la Chine, le Japon, la Mongolie, la Russie et la Corée du Sud. « Je ne peux pas imaginer un Japon en 2050 qui soit encore isolé de partout ailleurs », déclare Ohbayashi.
Quand les batteries coûtaient très cher, le concept de supergrid semblait fort intéressant. Mais une autre vision émerge car les batteries sont chaque année meilleur marché. Mark Jacobson, pour qui un monde alimenté à 100% par les énergies renpouvelables est possible sans recourir aux bioénergies, estime que « le stockage est gagnant car il devient de plus en plus difficile de mettre en place de nouvelles lignes de transmission ». Cette option est toutefois fortement dépendante de certaines ressources minières comme le lithium.
Quant à celles et ceux qui détestent viscéralement les éoliennes, le concept d’un supergrid global permet d’envisager un monde 100% photovoltaïque. Et sans stockage par batterie.
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Il existe une troisième voie. Celle qui consisterait à produire de l’électricité photovoltaïque et éolienne sur des sites mondiaux à la fois peu peuplés et bénéficiant des meilleurs gisements solaires et éoliens. Les puits de pétrole deviendraient des puits d’hydrogène. Le concept est proche de celui de DESERTEC, mais en version hydrogène, et non plus HVDC. Nul doute que cette approche séduit l’industrie du pétrole et du gaz qui y voient une opportunité de prolonger leur business actuel.
Comme le rapporte le quotidien britannique The Guardian, le plus grand projet mondial de production d’énergie renouvelable – 50 GW de solaire et d’’éolien en Australie – s’inscrit dans cette approche. Il dépasse de peu (tout est relatif), l’énorme projet du même type en cours qu Kazakhstan (45 GW). Pour rappel, la puissance totale du parc électronucléaire français est de 60 GW.
L’hydrogène, qui serait ensuite transformé en ammoniac (NH3) ainsi qu’en carburants synthétiques, deviendrait alors « le nouveau pétrole ».
Certes le rendement de la chaîne hydrogène est faible. Mais « aucune loi physique n’impose que cela reste ainsi dans le futur » rappelle le chercheur et professeur Bernard Multon, joint par mail. En outre, le fait de choisir des sites où les gisements solaires et éoliens sont très élevés, compense ces pertes. Un panneau photovoltaïque installé dans une région où l’ensoleillement est 2 ou 3 fois plus important qu’en France est bien plus productif par euro investi.
Un des points forts de cette approche hydrogéno-ammoniacale est de contourner les réflexes NIMBY. Il n’est alors plus nécessaire d’installer de nouvelles lignes à très haute tension ou de nouvelles centrales éoliennes et solaires en France. Ce serait peut-être l’approche la moins complexe à mettre en œuvre. Les paysages, du Mont Saint Michel à la Montagne Sainte Victoire, seraient alors épargnés de la présence de machines énergétiques.
Compte tenu de l’électrification attendue des transports et du chauffage, les consommations électriques vont fatalement augmenter en France comme partout dans les décennies à venir. La quantité d’éoliennes et de panneaux solaires nécessaire pour satisfaire cette demande est colossale. Il est peu probable que l’acceptation sociale soit au rendez-vous. Même en Allemagne et au Danemark l’opposition va croissante.
Compte-tenu de l’ampleur des protestations anti-éoliennes et anti-photovoltaïque dans l’Hexagone alors que l’éolien et le solaire ont été peu développés dans le pays à ce stade, un DESERTEC-Hydrogène serait-il la véritable voie d’avenir ? Adieu les rêves d’indépendance et autres « autonomie énergétique » ?
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Au final nous aurons probablement des batteries (stationnaires et embarquées) pour stocker localement à l’échelle journalière, permettant d’atteindre une autonomie partielle. Mais aussi un super-grid continental voire transcontinental pour optimiser le foisonnement et la mutualisation des outils de flexibilité. La force d’un réseau.
Et enfin de l’hydrogène solaire et éolien importé. Ce vecteur sera sans doute incontournable en France pour passer d’un mix électrique composé de 80% de renouvelables – ce qui devrait être possible avec du stockage journalier – à 100% ; ce dernier objectif nécessitant du stockage à long-terme. Cet hydrogène servira aussi à fabriquer les carburants synthétiques nécessaires à l’aviation.
Il est amusant de constater que les nucléophiles mettent toujours en avant l’indépendance énergétique alors que 100% de ce que l’on enfourne dans les réacteurs nucléaires et importé de l’étranger. Le réseau de transport d’énergie sous forme électrique n’apportera rien de plus que le réseau de transport par camions qui nous apporte le yellow cake d’une teneur à 75% d’uranium.