Image de synthèse d'une sonde propulsée par un moteur ionique / Capture vidéo Agora.
Sur Terre, le débat est vif : faut-il alimenter les voitures électriques avec de l’énergie solaire ou nucléaire ? En fait, il en est tout à fait de même dans l’espace, même si les raisons ne sont pas strictement les mêmes. Pour y voir un peu plus clair, l’Union européenne a commandé une étude sur la propulsion électrique nucléaire, mais dans l’espace. Le consortium, mené par l’électricien belge Tractebel vient de rendre son rapport.
Dans l’espace, comme sur Terre, ce sont les combustibles chimiques qui dominent : dans les énormes fusées, des composés chimiques (hydrogène, méthane, ou kérosène, par exemple) sont mélangés avec de l’oxygène et leur combustion génère de colossales quantités de chaleur. Cette chaleur est utilisée pour comprimer pour accélérer les gaz de combustion au travers d’une tuyère, générant ensuite le mouvement du véhicule par le principe d’action-réaction (troisième loi de Newton).
Plus récemment, des moteurs plus efficaces sont apparus, appelés « moteurs ioniques ». Ces propulseurs équipent aujourd’hui de nombreux satellites ou sondes interplanétaires ; citons par exemple, la sonde japonaise Hayabusa qui, en 2005, s’est presque posée sur l’astéroïde Itokawa, et ramenant ensuite sur Terre un échantillon de quelques grammes. Les moteurs ioniques utilisent diverses manières d’ioniser et d’accélérer un gaz, à partir d’une source d’énergie électrique, typiquement celle fournie par des panneaux photovoltaïques ; on parle alors de « propulsion électrique solaire » (en anglais Solar electric propulsion, SEP).
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Cette méthode de propulsion est bien plus efficace que la propulsion chimique, ce qui se traduit par une vitesse d’éjection des gaz plus élevée, et au total, une réduction très significative de la quantité de carburant qu’il est nécessaire d’emporter. À noter que ce type de moteur n’est utilisé aujourd’hui que dans l’espace, et pas au cours des lancements.
La SEP a deux inconvénients principaux. D’une part, elle génère une poussée très faible, ce qui se traduit par des accélérations lentes, et d’autre part, lorsque l’ensoleillement diminue sensiblement lorsqu’on s’éloigne du soleil, il est nécessaire de prévoir des panneaux beaucoup plus grands, qui alourdissent le véhicule. Au-delà de l’orbite de Mars, le concept touche sa limite technologique et les gains issus de la propulsion électrique solaire s’estompent progressivement.
Une solution : alimenter les propulseurs électriques non pas avec de l’énergie solaire, mais avec de l’énergie nucléaire. Il s’agit là du concept dit « propulsion électrique nucléaire » (en anglais Nuclear electric propulsion, NEP). Et l’Europe a décidé d’évaluer cette solution.
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L’Union européenne a en effet lancé une étude de faisabilité sur la propulsion électrique nucléaire dans l’espace. Initié par le département Future Space Transportation Systems (STS-F), le projet s’appelle RocketRoll, qui est un acronyme quelque peu complexe pour pReliminary eurOpean reCKon on nuclEar elecTric pROpuLsion for space appLications.
Il est mené par l’énergéticien belge Tractebel et regroupe de nombreux partenaires : le Commissariat à l’énergie nucléaire et aux énergies alternatives (CEA), ArianeGroup et Airbus, bien sûr très impliqués dans les technologies spatiales, et l’entreprise Frazer Nash Consultancy. Des experts de différents pays européens ont également été impliqués : chercheurs de l’université de Prague et de l’université de Stuttgart, et des ingénieurs du fournisseur de systèmes spatiaux OHB (OHB Czechspace et OHB System à Brême).
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L’étude préliminaire a été lancée en 2023 et s’est terminée en octobre de cette année. Elle a conclu que la technologie de propulseur électrique nucléaire apportait bien les bénéfices escomptés en termes de vitesse, d’autonomie et de flexibilité. Cela concerne en particulier des concepts de remorqueur spatial (en anglais « in-orbit tug »), pour transporter de lourdes charges. Ce résultat n’est pas nouveau, admettons-le, car la NEP est étudiée depuis les années 1960. En revanche, elle a permis de produire une actualisation, en particulier dans le contexte technologique européen, ainsi qu’une feuille de route. Cette dernière indique la possibilité de faire voler un véhicule de test pour une mission dans l’espace d’ici 2035.
L’étude relève également les synergies avec d’autres aspects de missions spatiales. Des réacteurs nucléaires pourraient également produire de l’électricité pour les habitats de missions humaines sur Mars et sur la Lune, pour des missions robotisées plus loin (et plus ambitieuses) dans le système solaire, ou pour d’autres applications spatiales que la propulsion seule.