Des barrages en plein désert : les mégaprojets hydroélectriques d’EDF au Moyen-Orient sont-ils vraiment climaticides ?


Des barrages en plein désert : les mégaprojets hydroélectriques d’EDF au Moyen-Orient sont-ils vraiment climaticides ?

Vue d'artiste de la retenue supérieure de la STEP d'Hatta à Dubaï / Image : gouvernement de Dubaï

Construire un barrage au milieu du désert est-il réellement une aberration environnementale ? Alors qu’EDF termine actuellement une STEP de 250 MW à Dubaï, et travaille avec l’Arabie Saoudite à la réalisation d’un autre projet d’envergure, la question se pose plus que jamais. Mais la réponse, complexe, dépasse le simple cadre du stockage de l’électricité.

EDF Hydro, la filiale d’EDF spécialisée dans la production d’électricité à partir de l’énergie hydraulique, dispose d’un savoir-faire reconnu dans le monde entier, en particulier pour la mise en oeuvre de STEP. Après avoir permis à la France, dès les années 70, d’optimiser son potentiel de stockage d’électricité à travers de nombreuses installations de pompage-turbinage, l’entreprise fait désormais rayonner son savoir-faire un peu partout dans le monde. Parmi les projets d’envergure qu’EDF Hydro mène au-delà de nos frontières, on peut citer la centrale hydroélectrique Hatta, à Dubaï. Cette station de pompage-turbinage, d’une puissance de 250 MW, devrait être mise en service dès cette année. Elle aura nécessité la création d’un réservoir supérieur de 5,1 millions de mètres cubes d’eau grâce à la création de deux barrages mesurant respectivement 35 mètres et 70 mètres de hauteur. Un tunnel de 1200 mètres permet de conduire l’eau jusqu’au réservoir inférieur déjà existant.

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Mais ce n’est pas le seul projet d’EDF dans la région. Une autre STEP, répondant au nom de code NESTOR, pourrait bientôt être construire en Arabie saoudite. Cette centrale est vivement critiquée par du personnel interne à EDF, qui y voit un projet « climaticide », qui ne serait pas en adéquation avec les valeurs d’EDF.

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Les STEP, un atout indispensable de la transition énergétique

Ce ne sont pas les dimensions de ces STEP qui font réagir. La centrale Hatta n’a, sur ce point, rien d’exceptionnel. Il s’agit même d’une petite installation en comparaison aux installations françaises. À titre d’exemple, la centrale de Grand’Maison, en France, affiche une puissance de de 1160 MW, et son réservoir supérieur peut stocker 140 millions de mètres cubes d’eau.

En revanche, il paraît surprenant de voir naître, au cœur d’un paysage pour le moins aride, de si grands réservoirs d’eau. D’ailleurs, cette eau des réservoirs devra être prélevée dans la Mer Rouge, puis dessalée avant d’être acheminée jusqu’aux réservoirs. Pourtant, dans une optique de décarbonation des moyens de production d’électricité, le stockage de l’énergie devient peu à peu un enjeu stratégique colossal pour pallier le caractère intermittent de la production des énergies renouvelables. Malgré le développement des batteries chimiques, les STEP jouent, dans ce contexte, un rôle crucial. Contrairement aux BESS (Battery energy storage system), elles ont l’avantage de permettre le stockage d’immenses quantités d’énergie sur de longues périodes. L’investissement initial, nécessairement colossal, est largement compensé par une très longue durée de vie. La centrale de Hatta a été conçue pour stocker de l’énergie pendant au moins 80 ans ! Face à cette situation, créer des centrales de pompage turbinage dans des zones arides comme l’Arabie Saoudite, mais également Dubaï ou le désert d’Atacama n’est pas dénué de sens d’un point de vue environnemental.

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Au cœur de la controverse, The Line, le projet de tous les extrêmes

En revanche, pour le projet saoudien NESTOR, c’est plutôt la finalité qui pourrait poser problème. Celui-ci est est, en effet, associée à The Line, cette ville géante en forme de ligne qui devrait venir déchirer le désert saoudien sur près de 170 kilomètres. C’est d’ailleurs ce qu’a déclaré Jean-Yves Segura, représentant du personnel et délégué Force Ouvrière (FO) à EDF Hydro, au micro de France Info : « Le problème, ce n’est pas de construire une centrale hydroélectrique en Arabie Saoudite, c’est de la construire à Neom. Bien évidemment, l’Arabie Saoudite, comme tous les pays, doit se décarboner. Et les centrales hydroélectriques, notamment les centrales de pompage turbinage, peuvent participer à cette décarbonation, estime le délégué syndical. Mais Neom nous gêne parce que c’est un projet pharaonique qui ne bénéficiera pas à la population saoudienne. Ce sera pour faire du tourisme de luxe au milieu du désert. Et ça, ce n’est pas du tout durable ».

Vue d’artiste du projet The Line en Arabie Saoudite / Image : NEOM

Cette ville intelligente et futuriste, déchaîne, effectivement, les critiques de par son gigantisme. Haute de 500 mètres, large de 200 mètres, et longue de 170 kilomètres, cette ville à la fois verticale et horizontale est prévue pour recevoir à terme 9 millions d’habitants. Annoncée comme décarbonée, The Line est pourtant critiquée d’un point de vue environnemental. Rien que la construction du projet pourrait générer, selon l’enseignant-chercheur Philip Oldfield, près de 1,8 gigatonnes d’équivalent CO2. Cela correspond à l’équivalent de trois ans d’émissions de CO2 de la France entière. D’un point de vue environnemental, ce projet est vu de la même manière que, par exemple, l’organisation des jeux asiatiques d’hiver de 2029 dans la région saoudienne de Trojena, où la neige est très rare.

Outre l’aspect écologique, le projet est également critiqué parce qu’il pourrait conduire à l’expulsion de 20 000 membres de la tribu des Huwati, qui habitent le site d’implantation du projet. En octobre 2022, 3 opposants aux projets avaient d’ailleurs été condamnés à mort par l’Arabie Saoudite.

 

 

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