« Il faut plus de transparence sur le grand défi que représentent les déchets nucléaires, notamment en France. Nous devons savoir qui va payer la facture, car le nucléaire va laisser un héritage très lourd aux générations futures et n’est absolument pas une énergie propre ». Voilà en substance l’une des conclusions du premier Rapport Mondial sur les Déchets Nucléaires dont la version française vient d’être publiée. Réalisé par dix experts internationaux, le document a l’ambition d’apporter de la clarté sur la gestion et le stockage de ces déchets « dont la dangerosité subsistera pendant plusieurs centaines de milliers d’années ».

Si le démantèlement futur des 142 réacteurs européens actuellement en activité engendrera au moins 1,4 million de m3 de déchets radioactifs, ce parc pourrait produire, sur toute sa durée de vie, 6,6 millions de m3 de déchets radioactifs, estiment les auteurs du rapport. Soit l’équivalent d’un terrain de football occupé sur près d’un kilomètre de hauteur (trois fois la tour Eiffel).
La France est responsable de 30 % de ce volume, suivie par la Grande-Bretagne (20 %), l’Ukraine (18 %) et l’Allemagne (8 %). Selon les experts, ces 4 pays concentrent 75% du total.

Le traitement du combustible usé, considéré comme un déchet de haute activité « constitue l’essentiel de la radioactivité produite ». Plus de 60.000 tonnes de barres de combustible usé sont entreposées de manière provisoire à travers le continent (hors Russie et Slovaquie, faute de données suffisantes). Mais « plus de 80 % de ces déchets de haute activité présentent des risques, car ils sont stockés dans des piscines de refroidissement », explique Rebecca Harms, ancienne députée européenne, initiatrice du rapport.

Aucun pays n’a encore résolu le problème du stockage définitif

Alors que le rapport pointe un « manque surprenant d’informations complètes, quantitatives et qualitatives » sur les risques sanitaires et environnementaux associés à la gestion de ces déchets, il constate que 70 ans après le début de l’ère nucléaire, aucun pays au monde n’a encore pu résoudre le problème du stockage définitif et surtout de son financement. « Partout dans le monde, les gouvernements peinent depuis des décennies à élaborer des stratégies globales de gestion des déchets nucléaires » constatent les auteurs. Et ils préviennent : « la tâche incombera en grande partie aux générations futures ».

Si la majorité des pays nucléaires envisagent le stockage géologique profond comme la meilleure solution pour gérer les combustibles usés de haute activité, « à ce jour aucun d’entre eux n’a réussi à mettre en œuvre un centre de stockage de ce type », explique Manon Besnard, ingénieure nucléaire à l’institut négaWatt. Seule la Finlande construit actuellement un tel site de stockage. La France et la Suède ont choisi l’emplacement du leur et l’Allemagne doit sélectionner le sien d’ici 2031.

Cependant le projet français Cigéo d’enfouissement en formation géologique profonde – dont la construction pourrait débuter en 2023 ou 2024 – se heurte à d’importants obstacles techniques et politiques mais aussi à une forte opposition de la population locale. Pour sa part, Chantal Jouanno, ancienne secrétaire d’Etat à l’écologie de Nicolas Sarkozy et actuelle présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP), rappelle opportunément qu’à l’issue du débat public sur la gestion des déchets radioactifs organisé en 2019, « le gouvernement a entendu la nécessité de poursuivre l’étude des alternatives ».

Alors même qu’il n’y a à ce stade « aucune garantie de la faisabilité d’un stockage géologique profond. Certains scientifiques considèrent que l’entreposage de longue durée, surveillé, dans un environnement protégé, serait plus responsable, plus rapide à réaliser, et devrait par conséquent être mis en œuvre » peut-on lire dans le rapport.

Au final, « aucun des pays concernés n’a trouvé de processus qui offre la garantie d’avoir dans la deuxième moitié du siècle un résultat acceptable, transparent et participatif au niveau du stockage », prévient Rebecca Harms.


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Saturation des entrepôts

En attendant, « les risques se reportent de façon croissante sur les installations d’entreposage temporaire qui commencent à être à court de capacité : en Finlande, par exemple, le niveau de saturation de la capacité d’entreposage de combustible usé atteint 93% », constatent les experts.

En outre, « les pratiques actuelles en matière d’entreposage des combustibles usés et autres formes de déchets de moyenne et haute activité facilement dispersables n’ont pas été prévues pour le long terme. Elles représentent par conséquent un risque particulièrement élevé, toujours plus important, alors que d’autres options sont disponibles (solidification des liquides, entreposage à sec des combustibles usés) dans des installations plus sécurisées », pointe le rapport.

Sous-estimation des coûts

Arne Jungjohann, coordinateur du rapport, alerte également sur la « sous-estimation significative par les gouvernements nationaux et les opérateurs des coûts du déclassement, du stockage et de l’élimination des déchets nucléaires. Pas un seul pays en Europe n’a jusqu’à présent pris les dispositions suffisantes pour les financer. Il y a un risque que les coûts réels, massifs, soient finalement supportés par les contribuables ».


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Les déchets camouflés

Une des difficultés auxquelles se sont heurtés les auteurs du rapport est celle de la classification de ces déchets, différente dans chaque pays. Le document met notamment en lumière certaines dérives dans la gestion et la classification des déchets radioactifs en France. En réalité, il y en a bien davantage que ceux qui figurent actuellement dans l’inventaire officiel.

C’est du moins l’une des conclusions formulées par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) dans un avis rendu public le 8 octobre. Actuellement, la loi prévoit qu’un déchet radioactif est un résidu ultime qui ne peut plus être utilisé, tandis qu’une matière radioactive est potentiellement « valorisable », c’est-à-dire qu’elle peut être réutilisée. Or le gendarme du nucléaire français nous révèle que 318.000 tonnes d’uranium appauvri (un sous-produit de l’enrichissement de l’uranium et du traitement du combustible usé), 31.500 tonnes d’uranium de retraitement, 14.200 tonnes de combustibles usés et 56 tonnes de plutonium séparé sont classées comme matière radioactive et non comme déchets. Chaque année cet inventaire s’accroit encore de cinq à dix mille tonnes supplémentaires.

Il est vrai que ces matières pourraient servir à fabriquer du Mox. Composé à environ 9% d’oxyde de plutonium recyclé et 91% d’oxyde d’uranium appauvri, ce combustible peut alimenter certains réacteurs. Mais seule une centaine de tonnes par an de ces matières « valorisables » est utilisée à cette fin. Leur accumulation est donc nettement plus rapide que leur consommation.

La perspective d’une utilisation plus importante de l’uranium appauvri passe par les réacteurs dits « surgénérateurs de génération IV ». Dans ceux-ci, cet uranium appauvri peut être activement converti en plutonium pour à son tour devenir une source d’énergie. Les réacteurs Phénix et Superphénix en étaient des prototypes, mais ils ont tous deux été définitivement arrêtés. Le projet de réacteur ASTRID qui devait leur succéder a lui aussi été abandonné en 2019, « au moins jusqu’à la seconde moitié du siècle ». En réalité, même en France, plus grand monde ne croit à la possibilité de développer une filière de réacteurs de génération IV. Dès lors, la montagne de ces matières radioactives « valorisables » risque bien de ne jamais être valorisée. C’est donc aussi le constat qu’à fait l’ASN : « il est indispensable qu’une quantité substantielle d’uranium appauvri soit requalifiée dès à présent en déchet » écrivait-elle dans son avis du 8 octobre.
Une situation qui inquiète Manon Besnard. « La saturation prévisible des entreposages de combustibles usés et le retard pris par EDF dans le projet de construction de nouvelles capacités menace à terme la poursuite même du fonctionnement des réacteurs » nous confie-t-elle.


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