Son bassin supérieur stocke autant d’énergie que 760 000 batteries de voitures électriques. Avec une capacité de 38,8 GWh, la station de transfert d’énergie par pompage-turbinage (STEP) de Montézic est le second plus grand site de stockage d’électricité en France. Nous avons pénétré les entrailles de cette usine capable de sauver le réseau électrique national en moins de trois minutes.
En sillonnant les gorges profondes de la Truyère (Aveyron), qui se doute qu’une usine aussi puissante qu’un réacteur nucléaire se cache dans la roche ? Il faut être un minimum connaisseur pour savoir qu’à cet endroit se trouve l’un des plus grands sites de stockage d’électricité de France. Il s’agit de la station de transfert d’énergie par pompage-turbinage (STEP) de Montézic, qui développe 920 MW de puissance pour 38,8 GWh de capacité de stockage. EDF Hydro nous a ouvert ses portes.
Mise en service en 1982, elle fait partie des 6 STEP présentes sur le réseau électrique national et développées à peu-près à la même époque, pour accumuler les excédents de production du parc nucléaire naissant et accroître la flexibilité du réseau. C’est aussi l’une des 2 STEP « pures » avec celle de Revin dans les Ardennes : leur unique rôle est de stocker et déstocker de l’énergie. Elles ne produisent pas d’électricité nette à partir d’un cours d’eau naturel.
Leur principe de fonctionnement est très simple : il repose sur deux bassins situés à différentes altitudes. Pour stocker de l’électricité, des pompes puisent l’eau du bassin inférieur vers le bassin supérieur. Enfin, lorsqu’il faut générer de l’électricité, l’eau suit le chemin inverse. Elle chute du bassin supérieur vers le bassin inférieur en entraînant une turbine.
Une cathédrale souterraine construite en 6 ans seulement
Conformément à ce schéma, la STEP de Montézic est composée de deux réservoirs. Le bassin inférieur est constitué par la retenue de Couesque sur la Truyère, formée par un barrage construit en 1950. La retenue supérieure a été spécifiquement aménagée pour la STEP, entre 1976 et 1982. Il s’agit d’une cuvette naturelle obstruée par deux digues en enrochements. 420 m de dénivelé séparent les deux bassins, reliés par des galeries à une usine entièrement souterraine, où est produite et consommée l’électricité.
Un tunnel taillé dans le granit long de 800 m et s’enfonçant sur 60 m de profondeur permet d’accéder à cette caverne. L’usine, longue de 145 m, haute de 35 m et large de 25 m abrite les 4 groupes turbine-pompe de 230 MW chacun. Ces immenses machines sont réparties sur 4 niveaux, suivant le schéma ci-dessous. Elles sont équipées d’une turbine de type Francis, qui peut aussi bien turbiner (produire de l’électricité en laissant l’eau chuter dans le bassin inférieur) que pomper (accumuler de l’énergie en remontant l’eau dans le bassin supérieur), selon son sens de rotation. La turbine est reliée à un alternateur qui fait office de moteur en mode pompe.
Des cheminées d’équilibre souterraines, que nous n’avons pas pu visiter, permettent de réguler la pression dans les conduites et d’éviter des coups de bélier potentiellement destructeurs. Afin d’emmener l’eau naturellement (par gravité) jusqu’aux groupes en mode pompe, les bouches sont situées au point le plus bas du bassin inférieur. Impossible de les apercevoir depuis les rives : la retenue de Couesque est profonde de plus de 60 m. Quelques turbulences apparaissent parfois à la surface de l’eau, trahissant leur emplacement.
Le fonctionnement en mode pompe
Lorsque la demande d’électricité est inférieure à la production et/ou que les prix de l’électricité chutent, la STEP de Montézic démarre ses groupes en mode pompe. C’est habituellement le cas au cœur de la nuit et parfois dans l’après-midi, mais varie fortement selon la production solaire et éolienne. Les jours de grand vent par exemple, la durée de pompage des STEP est souvent prolongée.
En mode pompe, la séquence de démarrage est plus complexe qu’en mode turbine. D’abord, le groupe est mis « hors d’eau » par injection d’air sous pression, tous robinets fermés. Puis, une machine appelée « convertisseur statique de fréquence » ou « lanceur » pour les intimes, démarre la turbine en alimentant progressivement en électricité l’alternateur (qui devient donc un moteur). Une fois le groupe synchronisé au réseau, une première vanne s’ouvre afin de laisser l’eau du bassin inférieur s’engouffrer dans la turbine. Cette dernière monte en pression jusqu’à égaler celle de la colonne d’eau, soit environ 42 bars. Enfin, la seconde vanne s’ouvre, laissant le flux d’eau remonter vers le bassin supérieur.
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À l’inverse, lorsque la consommation nationale d’électricité est élevée et/ou que les prix de l’électricité s’envolent, la STEP de Montézic fonctionne en turbinage afin de produire du courant. Il lui suffit d’ouvrir les robinets sphériques, version géante des petites vannes quart-de-tour qui alimentent le tuyau d’arrosage dans votre jardin, pour démarrer. Chutant de 420 m de hauteur dans les galeries haute pression de 5,3 m de diamètre, l’eau s’engouffre à un débit de 62 000 litres par seconde dans la turbine Francis.
Tournant à 428 tours/minute, elle entraîne un alternateur greffé sur le même axe. Le courant généré à une tension de 18 kV est transformé sur place en 400 kV avant de quitter l’usine par un petit tunnel dédié puis rejoindre le réseau national. Pour l’anecdote, une toute petite quantité d’électricité est re-transformée de 400 kV à seulement… 100 V pour alimenter certains appareils de l’usine.
Techniquement, les groupes peuvent être lancés en 2 minutes et 30 secondes en mode turbinage. Toutefois, il s’écoule environ 15 minutes entre le demande de RTE, le gestionnaire du réseau français, et la synchronisation du groupe. Car la STEP de Montézic est entièrement pilotée à distance depuis le centre de conduite hydraulique d’EDF à Toulouse, qui reçoit d’abord l’ordre.
Elle peut sauver le réseau et les centrales nucléaires
Dans un coin de l’usine subsiste le poste de pilotage d’origine, dont les équipements ont conservé leur design rétro des années 1970. Un opérateur s’asseyait ici et contrôlait le démarrage des groupes en appuyant manuellement sur de gros boutons colorés et consultant des écrans à tube cathodiques, mais toujours fonctionnels. L’ensemble du poste est remplacé par un simple ordinateur, sur lequel le personnel peut consulter les données de l’usine en temps réel.
Depuis cette salle de commande, cinq missions peuvent être affectées à la STEP de Montézic. La première est la production classique d’électricité, comme toute centrale. Il s’agit là de répondre simplement aux besoins de consommation. Chaque jour, EDF établit ainsi un programme de production pour le lendemain. La seconde est « l’ajustement ». Sur demande de RTE, la tour de contrôle du réseau français, la STEP peut être démarrée en 15 minutes pour équilibrer l’offre et la demande en temps réel. La troisième est le « réglage de fréquence », qui a pour objectif de maintenir la fréquence du réseau à 50 Hz tout pile. La quatrième est le « réglage de tension », qui permet d’équilibrer la tension.
Enfin, la cinquième mission, bien que jamais utilisée en quarante ans de service, est cruciale : il s’agit du « renvoi de tension ». Elle permet d’utiliser la STEP pour reconstruire le réseau national après un effondrement massif. Ainsi, l’usine peut secourir une centrale nucléaire qui aurait perdu ses propres moyens d’alimentation de secours (un cas extrême, heureusement jamais rencontré).
Images : Révolution Énergétique, plans : openinframap (infos-reseaux)
Un rendement intéressant
Comme tout système de stockage, les STEP consomment davantage d’électricité qu’elles n’en produisent. C’est normal, aucune solution de stockage ne permet d’afficher un rendement de 100 %. Toutefois, les STEP jouissent d’un rendement séduisant généralement situé entre 75 et 80 %. Celle de Montézic restitue entre 1 100 et 1 900 GWh au réseau chaque année.
Comme nous l’évoquions dans cet article, EDF souhaite creuser une extension de la STEP de Montézic afin d’augmenter sa puissance. Un projet suspendu à la volonté de l’Etat, comme celui de Redenat en Corrèze. L’énergéticien attend un contexte favorable pour faire bondir les capacités de stockage d’électricité par STEP en France.
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Il serait intéressant de combiner des STEPs avec de l’éolien terrestre. Quand ça souffle l’eau du bassin aval remonte au bassin amont et on se fout de l’intermittence. On pourrait faire la même chose avec 2 barrages concomitants. On pourrait même pousser le bouchon un peu plus loin en installant du photovoltaïque sur les bassins pour limiter l’évaporation et la faune (qui souffre en période de sécheresse) pourrait se désaltérer (multitude de bassins) et les humains se baigner. Font ch…ces utopistes.
Merci pour l’article ET la vidéo en ligne !
A quand une relance effective de cette filière dont on a besoin pour de multiples raisons : Stockage d’énergie, Stabilité du réseau, Capacité de Secours du Réseau, Stockage d’eau (non nul), …
Les STEP suivant leur fonctionnement et leur réalisation peuvent offrir de multiples services !!! On parle (Grand Hélas !) trop peu de ce sujet d’intérêt national (mais peut-être pas trop dans l’intérêt de certaines multinationales…) !!!
Reportage très interessant !! Mise en route inopinée, on voit l’axe démarrer, la galerie d’accès, la grande salle, les énormes disjoncteurs, … très complet, bien détaillé !! Toutes mes félicitations