À Lille, le bâtiment Wave est le premier à tester l’alimentation en courant continu (DC) pour ses bureaux. La production photovoltaïque sur son toit est en DC, les ordinateurs et autres appareils du bureau sont aussi en DC, alors l’entreprise Vinci a décidé qu’elle ne convertirait plus le courant en alternatif (AC) entre la production et l’utilisation finale, pour éviter les pertes énergétiques et réduire la quantité de cuivre utilisée.

En cette matinée du 28 novembre, le soleil brille sur les panneaux solaires du bâtiment Wave à Lille. Ils alimentent le troisième étage entier, occupés par les bureaux de Vinci Énergies. À cet endroit, l’équipe d’Emmanuel Dunat, directeur général, travaille au prototypage taille réelle du premier bâtiment à courant continu en France. « Nous nous sommes dits : utilisons notre bâtiment comme un laboratoire en devenant nous-mêmes utilisateurs et concevons un bâtiment performant. » Parce que dans le premier bâtiment à courant continu, l’énergie est comptée. Précisément, treize panneaux solaires totalisant 5 kilowatts crête (kWc) et une batterie de 12 kilowattheures (kWh) ont la charge de le rendre le plus autonome possible.

Les premiers résultats sont encourageants : depuis le début de l’année 2024, Wave a dû recourir au réseau national pour seulement 25 % de son énergie, le reste étant autoconsommé. Pas question donc d’installer des interrupteurs, il n’y a que des détecteurs de mouvement. Pas non plus de climatisation, seulement des stores adaptatifs à la luminosité. Telle est la quête de ce passage de l’alternatif au continu : l’efficacité et la sobriété. « Le bâtiment consomme, électricité et chauffage compris, 60 kWh par mètre carré » se réjouit Emmanuel Dunat, quant la moyenne nationale dans le secteur tertiaire est trois à quatre fois plus élevée, selon l’ADEME.

L’entrée du bâtiment / Image : Vinci.

Une économie à toutes les échelles

« On sentait le courant continu monter » mime-t-il. Ce n’est pas nouveau : à la fin du XIXe siècle, Nikola Tesla avait gagné la guerre du courant en imposant l’alternatif, contre Thomas Edison favorable au courant continu. Les transformateurs étaient, à l’époque, bien plus performants pour élever la tension et transporter le courant sur de longues distances. Ils n’avaient pas d’équivalent en courant continu. Résultat, aujourd’hui, la production photovoltaïque (DC) est systématiquement convertie en courant alternatif (AC) pour ensuite être re-convertie en courant continu (DC) propice à sa consommation.

Un salle de réunion et des prises USB-C équipant les bureaux du 3ᵉ étage de l’immeuble Wave / Images : RE – Ugo Petruzzi.

« Pourquoi convertir deux fois, et provoquer jusqu’à 20 % de perte, alors qu’on peut directement la consommer ? » se taraude Romain Scolan, chef de Cogelec Nord, filiale de Vinci Energies. « Alors, on a installé un nouveau câblage pour déployer le courant continu. Le 350 Volts (V) est directement abaissé à 48 V pour les appareils électroniques. Cela a aussi permis d’économiser 50 % de longueur de câble, donc du cuivre en moins pour deux raisons. La première vient du maillage, plus direct en courant continu (en bus) qu’en alternatif (étoile). La deuxième tient au fait qu’il n’y a pas de terre en courant continu, donc pas de troisième ficelle. » Concrètement, les bureaux sont équipés en prises USB-C, qui peuvent délivrer jusqu’à 5 ampères (A) à une tension de 48 V, soit 240 W de puissance. C’est suffisant pour la majorité des usages actuels : informatique, écrans, recharges des appareils mobiles, etc. Reste toutefois à élucider la question de l’alimentation des appareils énergivores comme la machine à café et, éventuellement, l’aspirateur utilisé pour l’entretien des locaux.

Pour le moment, le bâtiment n’injecte pas le supplément de production sur le réseau ni ne valorise sa flexibilité. Le directeur régional de Vinci Energies reste toutefois attentif aux possibilités offertes par le marché : « on regarde attentivement le label Flex Ready, lancé par Think Smartgrids, et pourquoi pas regrouper plusieurs bâtiments et peser suffisamment ».

Le tableau électrique du 3ᵉ étage du bâtiment Wave, et l’application permettant de surveiller les flux électriques / Images : RE – Ugo Petruzzi.

Le courant continu pour d’autres usages

Si le courant continu permet d’éviter la conversion de la production photovoltaïque, donc les pertes en rendement, existerait-il d’autres usages ? « Chez Cogelec, nous visons l’implémentation du courant continu dans les bornes de recharge directement reliées à une ombrière de panneaux solaires. Une étude a été réalisée par Vinci Autoroute » explique Mame-Thiedel Thiongane, responsable de projets. L’éclairage public est aussi dans le viseur de la révolution du courant continu, puisqu’il est équipé de LEDs. « Aujourd’hui, c’est surtout le marché qui bloque. En l’état, certains appareils électroniques fonctionnant en alternatif, comme les pompes à chaleur (PAC), peuvent facilement être convertis » note l’ingénieure lilloise, car le compresseur, par exemple, fonctionne en DC avec son convertisseur.

Les différents flux électriques affichés dans l’application / Images : Vinci.

Les collectivités locales sont aussi des clients potentiels de Vinci énergies. Leurs grands toits avec l’obligation de végétaliser ou installer des panneaux solaires peut se prêter au changement de courant.