Cette climatisation fonctionne avec des glaçons géants


Cette climatisation fonctionne avec des glaçons géants

Les eaux d'exhaure du parking souterrain de la Part-Dieu sont exploitées pour produire de la climatisation / Image : RE.

Avec des épisodes de canicule et fortes chaleurs toujours plus fréquents, la climatisation devient indispensable. Mais les climatiseurs individuels traditionnels ne sont pas sans défauts. Gourmands en électricité, ils rejettent de l’air chaud à l’extérieur et contribuent donc à l’effet d’îlot de chaleur urbain. Une des alternatives est la climatisation collective à partir d’une source renouvelable. Nous avons découvert les entrailles d’un tel système à Lyon, qui exploite les eaux d’infiltration d’un parking souterrain.

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La climatisation devient peu à peu aussi indispensable que le chauffage, dans les logements et bureaux. Si rafraichir un immeuble en été est généralement moins énergivore que réchauffer en hiver, un climatiseur reste un important poste de consommation. Il l’est d’autant plus lorsque installé individuellement, avec l’inconvénient de rejeter de l’air chaud dans une atmosphère déjà suffocante.

Pour réduire la facture énergétique, améliorer le rendement et empêcher les ilots de chaleur urbains, l’une des solutions est de créer un réseau de climatisation commun puisant le froid dans de l’eau. De l’eau de mer ou ruisselant dans de vieilles mines, comme à Marseille, ou de l’eau qui imprègne les sous-sols à Lyon. Dans le quartier de la Part-Dieu, un système de climatisation géant récupère ainsi les eaux d’exhaure du parking souterrain situé sous la gare ferroviaire.

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10 piscines olympiques qui s’infiltrent chaque jour dans le parking

Ce vaste parc de stationnement de 1 773 places sur 6 niveaux s’enfonce à plusieurs dizaines de mètres sous terre, dans un sous-sol gorgé d’eau. À cet endroit, la nappe phréatique profonde, appelée « molasse », envoie jusqu’à 1 000 m³ d’eau chaque heure dans le parking, soit l’équivalent d’une dizaine de piscines olympiques tous les jours. Pour éviter sa noyade, un réseau de pompes évacue l’eau en permanence. Jusque-là rejetée dans son environnement, la ressource est valorisée depuis 2020 par le réseau de climatisation de la Part-Dieu.

Car, avec une température quasiment constante située entre 15 et 16 °C, l’eau de la nappe phréatique profonde de Lyon est une véritable source d’énergie. ELM, la filiale de Dalkia qui exploite le réseau de froid, s’est rapprochée du gestionnaire des parkings lyonnais LPA pour la récupérer. Une fois pompée par le parking de la Part-Dieu, l’eau est expédiée par une canalisation souterraine longue d’un kilomètre jusqu’à la centrale souterraine Mouton-Duvernet, située sous le square Nelson-Mandela.

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Stocker de l’énergie dans de la glace

Cette centrale est la plus récente des deux qui alimentent le réseau de froid de la Part-Dieu. Ses 1 600 m² abritent deux puissantes pompes à chaleur eau/eau de 5 MW thermiques (MWth) pour 0,75 MW électriques (MWe) chacune. On y retrouve également un surprenant système de stockage de glace, capable d’accumuler 64 MWh d’énergie thermique.

Car, aussi surprenant que cela puisse paraître, la glace stocke de l’énergie. Pour répondre rapidement aux pics de consommation, 4 cuves à glaçons géantes de 3 MWth de puissance unitaire peuvent délivrer un total de 12 MWth de froid supplémentaire. Ce système optimise le fonctionnement des pompes à chaleur, en les sollicitant moins durant les heures pleines où l’électricité est plus chère, et a permis d’éviter de les surdimensionner. Les bacs à glace peuvent ainsi être comparés à des batteries. Voilà, vous pourrez briller lors du prochain apéritif, en exposant à votre auditoire l’incroyable potentiel énergétique des glaçons que vous déposez dans leurs verres.

Comment ça marche ?

L’eau souterraine à environ 15 °C puisée dans le parking de la Part-Dieu est envoyée par une canalisation jusqu’à la centrale de Mouton-Duvernet. Grâce à des échangeurs thermiques à plaques, elle cède son froid à un second réseau d’eau interne à la centrale. Les deux puissantes pompes à chaleur « amplifient » le froid pour produire de l’eau à -5 °C destinée à être stockée dans des bacs à glace, mais aussi de l’eau à 7 °C. Cette dernière est ensuite expédiée aux différents bâtiments, qui la transforment en air froid via des centrales de traitement d’air ou des ventilo-convecteurs. L’eau souterraine, légèrement réchauffée par les pompes à chaleur, est injectée dans la nappe phréatique de surface située autour de la centrale.

Principe de fonctionnement de la centrale Mouton-Duvernet / Infographie : Dalkia.

Au total, la centrale de Mouton-Duvernet développe 22,6 MWth et livre chaque année 27 GWh de froid à 500 000 m² de bureaux et services, selon Dalkia. L’ensemble du réseau de climatisation de la Part-Dieu, qui comprend également une seconde centrale située sous le cours Lafayette, couvre 1,5 million de m² pour 91 GWh délivrés.

Les canalisations s’étendent sur 13 km et fournissent plus de 70 bâtiments, notamment de grands équipements comme le centre commercial de la Part-Dieu, la célèbre tour éponyme surnommée « Le Crayon » ou encore le campus Orange. Des clients qui utilisent leur climatisation même en hiver, notamment pour le refroidissement des datacenters, blocs opératoires et autres locaux où la chaleur s’accumule naturellement quelle que soit la saison.

Détail du système de stockage de glace, d’un groupe froid et des débits d’aller et retour des eaux d’exhaure. Porte d’accès au bassin de captage des eaux d’exhaure, dans le parking souterrain de la Part-Dieu / Images : Révolution Énergétique.

Le réseau de froid quasiment au même prix qu’un climatiseur classique

Le froid qui leur est livré n’est pas considérablement moins cher qu’un système de climatisation traditionnel. « Toutes ces installations coûtent relativement cher [22,5 millions d’euros pour la seule centrale de Mouton-Duvernet, NDLR], donc leur amortissement font qu’en termes de tarif, aujourd’hui, on est légèrement inférieur, mais globalement au même niveau qu’une installation classique » explique Gerald Campbell, le directeur général d’ELM.

« Ce n’est pas ça qui va déclencher le souhait de passer au froid urbain, c’est plutôt la problématique technique. En passant au froid urbain, les clients se dédouanent complètement de toute la partie fluides frigorigènes, réglementation. […] Ils vont juste avoir un échangeur de chaleur chez eux et nous on s’occupe de tout le reste. En plus, le froid ici, on le produit à partir d’une énergie fatale et quelque part, vous avez un réseau qui est bas-carbone avec une énergie de récupération. Au niveau environnemental, on est bien plus performants » ajoute notre guide.

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Un coefficient de performance de 6

Le coefficient de performance (COP), qui désigne le rapport entre l’énergie électrique consommée et l’énergie thermique délivrée, s’élève à 6 en moyenne sur la centrale de Mouton-Duvernet. Il s’établissait à 11 le jour de notre visite, le 5 juillet 2023. Cela signifie que pour 1 kWh d’électricité consommée, 6 kWh de froid étaient fournis. À titre de comparaison, un climatiseur aérothermique classique tel qu’installé couramment chez les particuliers atteint un COP situé entre 2 et 5 pour les plus performants.

Si ces climatiseurs air/air crachent de l’air chaud dans l’atmosphère, contribuant au phénomène d’ilot de chaleur urbain, ce n’est pas le cas du réseau de la Part-Dieu. Utilisant des groupes eau/eau, la chaleur générée lors de la production de froid est logiquement évacuée dans l’eau. Celle-ci est réinjectée dans la nappe phréatique de surface à proximité de la centrale, à une température étonnamment plus fraîche que le milieu.

En effet, à Lyon, de nombreux systèmes de climatisation individuels exploitent historiquement la nappe phréatique de surface. Ils y rejettent également de l’eau chaude, réduisant peu à peu les performances. Selon Dalkia, la centrale de Mouton-Duvernet injecte de l’eau à 27 °C, certes plus chaude que la nappe phréatique profonde, mais à une température inférieure à la nappe de surface en plein été. En restituant l’eau réchauffée dans un milieu différent de l’eau froide puisée, la société évite ainsi de tarir sa source.

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