Un réacteur nucléaire qui produit moins de déchets nucléaires qu’il n’en consomme ? Oui, c’est possible, et c’est même un principe qui est investigué de longue date. Principe écarté en France pour le moment, une société canadienne veut le mettre en œuvre dans un réacteur innovant, et montre que son utilisation peut réduire l’inventaire en déchets nucléaires. Nous devions y jeter un œil.
Comme souvent dans le nucléaire, les projets portent pour nom des acronymes. C’est le cas en l’occurrence : nous allons parler du SSR-W, pour Stable Salt Reactor – Wasteburner, soit, en français : réacteurs à sels stables – incinérateur. Ce réacteur est conçu par Moltex Energy Canada, une filiale de la société anglaise Moltex Energy Limited fondée en 2014 pour développer la technologie des réacteurs nucléaires à sels fondus (RSF).
Dans ce type de réacteurs, le combustible est présent sous la forme d’un mélange de sels à l’état liquide. Pour le SSR-W, il s’agit d’un mélange de composés du chlore, décrit par la formule suivante : NaCl-MgCl2-XCl3. Les deux premiers composés, le chlorure de sodium (NaCl) et le chlorure de magnésium (MgCl2) sont naturellement présents dans l’eau de mer et sont des composants du simple sel de table. Le troisième composant, est moins naturel : dans le XCl3, le X peut désigner d’une part l’uranium, ou d’autre part des éléments transuraniens (plutonium et autres actinides mineurs) ou des lanthanides. Ce sont ces derniers éléments qui vont nous intéresser.
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Les éléments transuraniens et les lanthanides sont justement ceux qui entrent dans la composition des déchets nucléaires et qui sont à l’origine de leur radioactivité. Or le réacteur SSR-W est justement conçu pour pouvoir consommer une quantité importante de ces éléments, et en particulier plus qu’il n’en produit : il s’agit alors d’un réacteur dit « incinérateur » de déchets nucléaires (« burner » en anglais).
Pour ce faire, il consomme du combustible usé issu de réacteurs plus conventionnels, lequel est transformé en combustible pour le SSR-W au travers du procédé WATSS (un nouvel acronyme : Waste to Stable Salts, ou Déchets vers les sels stables). Ce procédé est lui-même ensuite capable de traiter le combustible usé des SSE-W pour le réinjecter et fermer le cycle.
À lire aussi Pourquoi le stockage profond des déchets nucléaires est la moins pire des solutions ?Or, la société Moltex vient de publier une étude qui démontre ce qui était attendu pour son concept : son réacteur s’avère capable de consommer plus de de ces déchets qu’il n’en produit ; pour un réacteur de 1200 MW thermiques, ce sont 25 tonnes d’actinides qui seraient éliminés sur sa durée de vie. Pour les plus affûtés parmi nos lecteurs, l’étude de Moltex est disponible en source ouverte (en anglais).
Aujourd’hui, Moltex a été sélectionné pour construire un réacteur SSR-W sur la centrale de Point Lepreau, où se trouve un réacteur CANDU de 660 MW. L’objectif est de pouvoir consommer le combustible usé produit par ce réacteur. De quoi vérifier si les promesses pourront être mises en œuvre en pratique.
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