Nous savons que les énergies renouvelables, soumises aux rythmes de la nature, ne sont pas forcément disponibles lorsque nous en avons besoin. Ainsi, leur stockage entre les périodes de production et celles de consommation est un enjeu primordial de leur développement. Parmi les solutions disponibles, le stockage thermique intersaisonnier par puits d’eau chaude connaît un développement régulier, depuis 2015 au Danemark et, plus récemment, en Autriche par le projet que développe l’entreprise Simona Alexe – greenixcloud pour des clients industriels.
Le stockage thermique par puits d’eau chaude
Le stockage thermique intersaisonnier consiste à stocker de la chaleur captée en été pour pouvoir l’utiliser ensuite pendant l’hiver. Il s’agit donc d’un stockage à long terme, et ces types de stockages se heurtent à des difficultés non seulement techniques, mais aussi économiques : il faut en effet prévoir une installation de grande capacité, avec un grand coût d’investissement, mais qui ne sera utilisée que pour un cycle unique chaque année. L’amortissement de l’investissement initial ne peut donc se faire que sur un nombre de cycles très réduit. Pour rendre les projets viables, le média de stockage de l’énergie doit être aussi peu coûteux que possible.
À lire aussi Comment cette cuve stocke de la chaleur renouvelable sur plusieurs mois ?L’eau est un média de stockage de la chaleur très intéressant. Son coût est faible, et sa capacité à absorber de la chaleur est importante. Pour donner un ordre de grandeur, chauffer un mètre cube d’eau de 20° C à 80° C, nécessite de l’ordre de 70 kWh de chaleur. L’eau a en outre l’avantage d’être relativement abondante, tout en ne présentant aucun risque de toxicité ou de réactivité chimique.
Si nous prenons du recul, stocker de la chaleur dans l’eau est un principe très ancien. Évoquons ne serait-ce que les bouillottes, dont l’utilisation date au moins du XVIᵉ siècle, et qui ne sont que de simples récipients contenant quelques litres d’eau. Elles étaient réchauffées au foyer, puis placées dans le lit pour s’y coucher au chaud.
Nos ballons d’eau chaude fonctionnent selon le même principe : l’eau qu’ils contiennent est réchauffée lorsque l’électricité a un coût faible (lors des heures creuses), de façon à pouvoir utiliser ensuite cette eau chaude pendant les heures pleines, plus coûteuses. Leur capacité se situe généralement entre 100 et 300 litres. Enfin, ceux parmi nos lecteurs qui disposent de panneaux solaires thermiques, savent que ces derniers utilisent la lumière du soleil pendant la journée pour réchauffer l’eau d’un ballon-tampon, de façon à utiliser cette eau chaude plus tard, notamment la nuit. La capacité des ballons-tampons peut atteindre plusieurs mètres cubes.
Les installations dont il est question dans cet article fonctionnent de la même façon, mais à une échelle considérablement supérieure : des stocks de dizaines, voire de centaines de milliers de mètres cubes d’eau, destinés à alimenter des systèmes de chauffage urbain, et ce, pour une bien plus longue durée : l’objectif est de réaliser un stockage intersaisonnier, c’est-à-dire de capter la chaleur de l’été pour l’utiliser en hiver.
À lire aussi Quelle quantité d’électricité le Royaume-Uni doit-il stocker pour réussir sa transition ?Le plus grand puits d’eau chaude est à Vojens au Danemark
Au niveau mondial, le plus grand stockage thermique intersaisonnier se trouve au Danemark, dans la commune de Vojens. La centrale dispose de près de 70 000 m² de capteurs solaires thermiques et d’un puits de stockage thermique souterrain d’une capacité de 203 000 m³. Ce puits a été réalisé dans une ancienne gravière, qui a trouvé là un second usage. L’eau est séparée du sable par un revêtement spécial en plastique soudé, et sa surface est également recouverte d’une couverture qui permet l’isolation thermique nécessaire pour conserver la chaleur pendant une longue durée. Elle assure également d’autre part le drainage des eaux de pluie.
Le gestionnaire de l’installation est la société Vojens Fjernvarme [1], une société fondée en 1963 et qui appartient à ses consommateurs. Une première installation solaire a été réalisée en 2012, d’une capacité de 13 MW thermiques, complétée en 2015 par une deuxième installation de 37 MW, portant l’ensemble à 50 MW. C’est lors de cette seconde séquence de travaux qu’à été construit le puits d’eau chaude.
Le puits d’eau chaude peut en principe être chauffé jusqu’à 95° C, mais la température a été limitée à 80° C de façon à préserver dans le temps la bonne tenue du revêtement. L’installation solaire est connectée au réseau de chauffage urbain de la commune par le biais d’un échangeur thermique. Trois chaudières au gaz naturel de 7 MW, une chaudière électrique de 10 MW et une pompe à chaleur complètent l’installation.
L’installation solaire seule permet de répondre à 55-60 % de la demande de chaleur des 2 000 ménages qui y sont connectés.
Le projet haute température de Simona Alexe – greenixcloud
Plus récemment, en Autriche, l’entreprise Simona Alexe – greenixcloud a débuté le développement de concepts de stockage intersaisonnier par puits d’eau chaude, dans le cadre de leurs projets dénommés « PVT Big Solar ». Pour leur étude de faisabilité, ils ont bénéficié en 2022 d’une subvention de l’ordre de 95 000 € du Klima Energie Fonds (fond pour le climat et l’énergie) du gouvernement autrichien [2]. Notons que ce fond finance les études préliminaires d’un portefeuille de 13 projets de production d’énergie solaire thermique, pour un total s’élevant aujourd’hui à 303,107 m² (212 MW).
Le concept de Simona Alexe – greenixcloud est légèrement différent de celui de Vojens. La société a en effet pour objectif de fournir de la chaleur à des clients industriels, dont notamment une usine textile, à une température élevée, jusqu’à 130° C. Comme pour l’installation de Vojens, il comprend un grand réservoir d’eau chaude ; sa capacité prévue est de 20 000 m³. Le chauffage de l’eau est assuré jusqu’à 90° C par des panneaux solaires hybrides (électriques et thermiques) pour une surface de 17 000 m². Deux pompes à chaleur de 1,4 MW, chacune assurant le complément jusqu’à 130° C, c’est-à-dire au-dessus du point d’ébullition de l’eau, afin de fournir de la vapeur à ses clients.
Pour mener son projet, Simona Alexe – greenixcloud a de nombreux partenaires. L’institut de recherche autrichien AEE INTEC [3] fournit un appui technique, notamment en ce qui concerne le développement du matériau du revêtement de puits (projet “HighCon”), qui devra bien sûr démontrer une très grande durabilité. Sunmaxx est le fabricant pressenti des panneaux solaires hybrides. La société, fondée en 2021 et soutenue par le groupe industriel Mahle, présente un grand intérêt dans le cadre de ce projet du fait de leur usine de production très automatisée, en application des méthodes de l’industrie automobile, et donc à même de fournir un projet solaire de grande capacité.
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Solar Heat Europe nous indique un coût de l’ordre de 30 €/m3 pour un stockage intersaisonnier en puits d’eau chaude de grande capacité > 100 000 m³ [4]. Si nous considérons la valeur citée ci-dessus de 70 kWh stockés par mètre cube d’eau chaude à 80° C, cela nous permet d’estimer un coût de stockage inférieur à 1 €/kWh thermiques, donc particulièrement faible.
On peut penser que leur application est limitée aujourd’hui aux sites disposant déjà de réseaux de chauffage urbain sur lesquels ils n’ont besoin que de se brancher, comme c’est le cas au Danemark. L’exemple autrichien de Simona Alexe – greenixcloud nous montre toutefois une application à plus haute température qui peut également intéresser des clients industriels.
Le stockage thermique intersaisonnier massif en puits d’eau chaude est une technologie en production depuis une décennie et qui connaît un déploiement régulier. Il permet de transformer notre approvisionnement énergétique vers une proportion plus élevée de sources d’énergie renouvelables. À suivre de près, donc !
À lire aussi Siemens Gamesa stocke l’énergie éolienne dans des roches volcaniques[1] https://www.vojensfjernvarme.dk/
[2] https://www.klimafonds.gv.at/
[3] https://www.aee-intec.at/
[4] http://solarheateurope.eu/2020/05/19/vojens-district-heating/
Un peu aberrant et couteux de faire des « bouillotes » à 1 cycle annuel ! Perso je n’y crois pas à cout technico-économique acceptable… Niveau volume ce serait en plus colossal ! Et QUID des pertes sur plusieurs mois, même avec peu de « fuites » thermiques, au final cela fera des pertes bien supérieures aux calculs du fait de la mise en oeuvre qui ne sera pas parfaite… J’ai bien aimé les commentaires sur le stockage individuel qui a du sens (Avis Perso) lors de certaines périodes de l’année ! C’est super intéressant sur le principe, si c’est « couplé » à des Grosses… Lire plus »
A si seulement les lois de la physique était identique en France. Chez nous l’eau ne peut monter en température que de 3 façons fusion de l’atome, combustion de gaz ou de charbon.
Le soleil ne chauffe que l’eau de mer.
En Autriche l’eau de mer ne chauffe pas au soleil comme quoi on ne peut pas tout avoir.
Le stockage intersaisonnier de chaleur est aussi un potentiel formidable atout pour de la cogénération nucléaire.
En effet la cogénération nucléaire, pour être efficace, nécessite de sacrifier un peu de rendement thermodynamique (en gros on perd 1 kW électrique pour 6 kW de chaleur soutirée à 120°C).
Avec un stockage intersaisonnier de chaleur, on peut remplir les stocks en été où la perte de rendement n’est pas problématique puisque l’on consomme moins d’électricité, et disposer de la pleine puissance de production électrique en hiver. Intérêt additionnel, on réduit la charge thermique pour les cours d’eau en été.
Oui, la cogénération nucléaire est un gisement important d’énergie, notamment au regard des enjeux de la modulation nucléaire. Il se heurte toutefois au fait que les centrales sont généralement tenues éloignées des lieux densément peuplés, les lignes de transport de chaleur jusqu’aux réseaux de chauffage urbain doivent donc être très longues, et l’investissement financier est important. C’est ce qui a freiné les projets jusqu’à maintenant. On peut imaginer que ces derniers soient toutefois sortis des cartons du fait du contexte actuel sur l’énergie.
Le stockage d’energie souterrain a fait l’objet d’un programme de recherche et d’innovation européen de 2018 à 2021. Ce programme, nommé HEATSTORE expose clairement l’intérêt de développer ces solutions de UTES (Underground Thermal Energy Storage) et a publié en janvier 2022 une feuille de route pour promouvoir ces technologies. ABSOLAR est une startup francaise créée en 2020 et implantée en Gironde qui développe des solutions de Stockage d’Energie Souterrain à Haute Température (SES HT). Nous réalisons nos SES HT en ayant recours à des échangeurs géothermiques sur boucles fermées. Notre technologie est associée soit à du solaire thermique, soit à… Lire plus »
Bonjour, Merci pour votre témoignage. Pouvez-vous confirmer le coût de 1€/kWh de l’énergie restituée qui est indiqué dans l’article ? Ça me semble trop élevé.
quel article ? celui ci-dessus ne parle pas de absolar. le 1€ du kwh de stockage cité dans l article ci-dessus sont à comparer avec le cout d’un kwh de capacité de batterie par ex. et dans le cas de l article, ils sont virtuellement réutilisables à l’infini. donc en fait , c’est tres peu cher (beaucoup moins qu une batterie LFP) et beaucoup plus durable. pour avoir le cout du kwh restitué quand on en a besoin , il faut regarder le cout de production du kwh qui a été injecté dans le stockage et lui rajouté le cout… Lire plus »
Merci, je n’avais pas compris qu’il s’agissait du coût d’un kWh de capacité installée, j’ai mal interprété la phrase.
1 € / kWh, c’est prodigieux. Ramené à un usage domestique, soit 30 à 600 kWh selon la situation envisagée, on en serait entre 30 et 600 €, soit rien en fait.
Mon côté professeur tournesol me demande si un stockage sur ce principe dans un reservoir souple (déjà vu pour abreuver des troupeaux dans les montagnes) glissé dans le vide sanitaire d une maison pourrait être pertinent ? Chauffé avec des panneaux hybrides idéalement, éventuellement couplés avec une pompe à chaleur.
Pour des questions de sécurité et de tenue dans le temps du réservoir, la température de stockage serait bien plus basse que dans ce projet, j’imagine comme un chauffe-eau sanitaire, vers 70°.
Quel volume d eau faudrait il prévoir ? (Proportionnel à la surface à chauffer bien entendu).
En ordre de grandeur, vous pouvez stocker 10 kWh de chaleur dans 1 m3 d’eau tous les 10°C, soit environ 50 kWh entre 20°C et 70°C. Le stock dont vous auriez besoin dépend de la consommation de votre maison. Supposons que vous ayez 80 m2 et qu’en termes de DPE votre maison est classée en milieu de classe C, soit 120 kWh/an/m2, cela représente une consommation annuelle de 9600 kWh. Vous auriez donc besoin d’un volume stocké de l’ordre de ~200 m3.Cela fait une très grande piscine ! qu’il faudra très bien isoler pour perdre le minimum de chaleur entre… Lire plus »
tres bien, merci pour ces données tres interessantes. les ordres de grandeurs sont là. bon, clairement, 200m3, c’est beaucoup, trop pour etre faisable. ceci dit, ça ne s envisage que en substitution partielle de la conso electrique reseau et en complement d’une production solaire PV et thermique. on y stocke que le surplus de l été et intersaison, pour le restituer en hiver. En 1ere approximation, j ai l impression que en divisant ce volume par 4, ça garderait un interet certain, le solaire PV et thermique couvrant aussi au moins 1/4 de la conso , on obtiendrait donc une… Lire plus »
Bonjour Meunier, merci pour votre réponse. Pour obtenir une division par 2 de la conso, je comprends que vous prévoyez : 25% de la consommation assurée en hiver directement par des panneaux thermiques, 25% par le stock thermique intersaisonnier réchauffé en été par les mêmes panneaux que ceux utilisés en hiver directement pour le chauffage, 50% réseau externe. Est-ce bien cela ? Le fait est que l’abondance d’énergie fossile (et pour la France d’énergie électrique nucléaire) nous a conduit à être assez dépensier en termes de chauffage. Selon les cas, il est possible qu’une amélioration importante de l’isolation de votre… Lire plus »
oui, c’est tout à fait ça. et je suis bien d’accord qu il est important d’optimiser d abord l isolation et la conso globale de la maison. la démarche de rénovation thermique est bien en court, mais certaines contraintes spécifiques ne permettent pas toujours d’arriver en classe A. et comme le sujet était le stockage inter saisonnier , je ne voulais pas m en éloigner. je n’envisage pas de surdimensionner l installation solaire (le bâtiment ne s y prete d’ailleurs pas du tout) , mais le surplus d’été est tres vite tres important ici dans le sud-est de la France.… Lire plus »
Merci pour cet échange, votre projet est fort intéressant ! Il faudra nous en faire part quand vous aurez abouti 🙂
Merci à vous surtout pour vos précieuses infos.
pour ce qui est d aboutir, on n est qu au stade de l idée de principe.
et il n y a probablement pas de solutions industrielles/commerciales qui y repondent. donc pas évident d ‘y arriver concretement. et je n’ai pas les moyens de depenser pour acheter du materiel sans un minimum de certitude sur le resultat.
En voyant le trou creusé, je me suis dis qu’il y a aucune chance d’avoir un tel projet en France.
Dans le projet de Vojens au Danemark, ils ont aménagé une ancienne gravière. Donc le trou est déjà fait. Peut-être est-ce une manière de lancer les premiers projets pour en montrer l’intérêt ?
Je vous rejoins mais ce qui me fait peur c’est qu’en France, le parallèle peut être fait avec les méga-bassines. Les gens sont devenus tellement neuneus.