Le palais de l’Élysée / Image : Manhhai - Flickr CC, illustration RE.
La rumeur circulait depuis plusieurs mois déjà. La Première ministre, Élisabeth Borne l’a confirmée le 6 juillet 2022 : la renationalisation d’EDF aura bel et bien lieu. Pour comprendre les conséquences d’une telle décision, il faut revenir un peu en arrière et reprendre l’historique de l’entreprise.
De la naissance à l’ouverture du capital d’EDF
Pour bien comprendre la situation actuelle, reprenons brièvement la chronologie de l’énergéticien national. Le le 8 avril 1946, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et alors que la France doit débuter sa reconstruction, le général de Gaulle donne naissance à EDF . La production et le transport de l’électricité (comme du gaz) étaient jusque-là assurés par une multitude d’entreprises privées.
Avec la création d’EDF, le général de Gaulle souhaite mettre en place un service public de l’électricité. De grands chantiers sont alors lancés pour reconstruire les centrales et le réseau de transport d’électricité français. La croissance économique des Trente Glorieuses pousse ensuite au développement de la consommation, ce qui implique de développer le réseau pour répondre à la demande en forte hausse.
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Puis, la crise pétrolière arrive en 1973. La France fait alors le choix d’investir dans le nucléaire, afin d’assurer son indépendance électrique. C’est ainsi que la centrale de Fessenheim entre en fonctionnement en 1977, suivie de celle de Gravelines en 1980. D’autres entreront progressivement en service pour atteindre un total de 18 centrales pour 56 réacteurs en 2020.
À partir de 2004, sous contrainte de l’Union européenne, le marché de l’électricité s’ouvre à la concurrence. Pour les professionnels d’abord puis pour les particuliers à partir de 2007. Quant à EDF, son modèle économique change puisqu’elle devient une société anonyme (SA) en 2005, ce qui lui permet d’ouvrir son capital à des investisseurs privés.
L’objectif de l’ouverture des marchés était de faire baisser les prix de l’électricité. Il faut le dire, le bilan n’est pas très glorieux de ce point de vue. La multiplication des fournisseurs ces dernières années a contribué à complexifier le marché sans faire baisser les prix. En effet, en juin 2021, la CRE a répertorié 51 fournisseurs d’électricité actifs sur le territoire. Certains ont d’ailleurs fait faillite ou suspendu leurs activités récemment suite à l’explosion du prix du MWh.
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Le marché de l’énergie est toujours ouvert à la concurrence, s’agissant de la fourniture du gaz naturel et de l’électricité. Selon les informations publiées sur le site d’EDF, au 30 juin 2022, son capital est réparti de la façon suivante :
– État : 84,08 %
– Actionnaires institutionnels et individuels (hors salariés) : 14,80 %
– Actionnaires salariés : 1,08 %
– Autodétention : 0,04 %
On le voit, l’État reste donc très largement majoritaire au capital de l’entreprise. Mais comment se porte EDF aujourd’hui ? L’entreprise est endettée et sa filière nucléaire est en difficulté. Au cours de l’hiver 2021-2022, 17 des 56 réacteurs français ont été à l’arrêt simultanément, pour divers problèmes liés notamment au phénomène de corrosion sous contrainte. Il faut aussi rappeler que certaines opérations de maintenance qui auraient dû avoir lieu en 2020 ont été reportées du fait de la crise du Covid-19.
À lire aussi Vers un blackout électrique en France l’hiver prochain ?Par ailleurs, le chantier lié à la construction de l’EPR de Flamanville accuse un retard considérable. Débuté en 2006, il n’est toujours pas terminé et le coût des travaux a presque quadruplé. Le parc nucléaire est vieillissant alors même que, dans son discours de Belfort en février 2022, Emmanuel Macron a fait part de son souhait d’envisager la prolongation des centrales au-delà de 50 ans. Il a également évoqué le projet de construire 6 nouveaux EPR sur le territoire, pour relancer la filière.
Du côté de l’organisation d’EDF, l’Union européenne presse la France de remanier le groupe pour séparer ses activités de production et de distribution d’électricité. Dans cette optique, l’État avait mis en place le projet « Hercule » en 2018, fortement contesté en interne. Ce projet a ensuite été suspendu.
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Le 6 juillet 2022, à l’occasion de son discours de politique générale à l’Assemblée nationale, la Première ministre Élisabeth Borne a annoncé l’intention de l’État de reprendre l’ensemble du capital d’EDF. Concrètement, qu’est-ce que cela va changer puisque l’État était déjà majoritaire au capital ? La France, tout comme l’Union européenne dans sa globalité, est dans une situation délicate s’agissant du marché de l’énergie.
L’envolée du prix du gaz depuis un an a eu des répercussions sur le prix de l’électricité sur le marché de gros donnant lieu à une flambée des coûts pour tout un chacun, contenue par le bouclier tarifaire en France. EDF a également été contrainte de revendre davantage d’électricité d’origine nucléaire à ses concurrents début 2022, à l’occasion de la décision de rehausser le seuil de l’ARENH (l’Accès régulé au nucléaire historique) avec un complément de 20 TWh. Le prix de vente a été légèrement augmenté à 46,2 euros/MWh au lieu des 42 euros/MWh en vigueur depuis 2012.
À la suite de cette décision, les instances d’EDF avaient alerté sur l’explosion de la dette de l’entreprise qui en découlerait inévitablement.
Dans son discours, Élisabeth Borne a précisé que la décision de renationaliser l’entreprise « permettra à EDF de renforcer sa capacité à mener dans les meilleurs délais des projets ambitieux et indispensables pour notre avenir énergétique ».
Remettre l’entreprise à flot
L’État va ainsi injecter de l’argent dans l’entreprise, afin de la remettre à flot. Cela lui permettra de s’engager dans les nouveaux chantiers qui l’attendent : poursuivre le développement des énergies renouvelables et maintenir la filière du nucléaire en lui donnant un nouveau souffle.
Par cette décision, l’État veut également avoir la main sur l’énergéticien national. En effet, dans le contexte de la guerre en Ukraine, l’indépendance énergétique est devenue une priorité pour les États membres de l’UE.
De leur côté, les syndicats du groupe EDF sont sur la réserve. Ils craignent que le contrôle total d’EDF par l’État lui laisse les coudées franches pour remettre sur la table le projet Hercule, ce qui conduirait selon eux à démembrer l’entreprise. Enfin, du côté des consommateurs, la décision de l’État n’aura pas d’impact sur les prix de la fourniture d’électricité. En juin 2022, Élisabeth Borne a d’ailleurs annoncé que le bouclier tarifaire visant à limiter la hausse des prix du gaz et de l’électricité sera maintenu jusqu’à la fin de l’année 2022.
L’État va maintenant devoir relever le défi à la fois de relancer le groupe et de mener à bien la réorganisation demandée par Bruxelles… tout en ménageant les syndicats pour éviter un mouvement de grève qui aurait des conséquences néfastes pour l’entreprise.
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Commentaires
"réorganisation d'EDF demandée par Bruxelles".
La vraie raison, c'est que Bruxelles n'aime pas les monopoles, et encore moins l'énergie nucléaire qu'elle n'a même pas citée dans son plan "RepowerEU", élaboré pour sortir l'UE de la dépendance russe.
Or :
Au final, n'acceptons pas l'oukase de Bruxelles pour réorganiser note service public de l'électricité en le cassant en morceaux, et menaçons-la, d'abord de porter l'affaire en justice, mais aussi de Frexit, ce qui devrait la faire réfléchir.
surtout les allemands qui avaient torpiller a de multiple reprise la France sur le nucléaire..pour changer complètement de positon vu les soucis d'approvisionnements electrique..
Oubli majeur dans cet historique, qui est plutôt fidèle par ailleurs : les 20 TWh au prix de l'ARENH imposés récemment par le gouvernement à EDF, même s'ils ont été assortis d'une majoration du prix de vente (46 €/MWh au lieu de 42 €) ont coûté très cher à EDF, au delà du manque à gagner en raison d'un marché qui atteignait 300 €/MWh. Car EDF avait déjà vendu ces 20 TWh : il a dû les racheter sur le marché (donc à 300 €) pour les céder à (grosse) perte à ses concurrents (à 46 €) pour obéir au gouvernement.
L'Etat a donc spolié une nouvelle fois l'Entreprise publique, et a le devoir de compenser ce préjudice en la recapitalisant.
Si son intention est de la mettre à genoux pour lui faire accepter une scission entre activités régulées et non régulées, c'est un coup tordu abject, d'autant plus stupide qu'il conduira à terme à affaiblir le service public.
Et les dirigeants au pouvoir (Macron, Borne et Le Maire) en porteront la responsabilité devant la nation, comme avec l'arrêt absurde et inique de Fessenheim.
exactement...
Dire que le parc nucléaire est vieillissant n'a aucun sens, sauf si on veut faire peut au public. Aller au delà de 50 ans ne sera pas un exploit : aux USA la limite de 60 ans est la règle générale, qui commence à évoluer vers les 80 ans. Et les réacteurs français ont au cours des années été beaucoup plus améliorés et modifiés que leurs homologues US.
Ce qu'il faut, c'est faire l'entretien nécessaire, y compris en changeant de gros composants, pour leur permettre de fonctionner jusqu'à ce que la nouvelle génération (les EPR) prenne la suite.
L'éolien en mer peut apporter un certain confort en matière d'énergie disponible, dans les périodes où il y a du vent ; mais aucune garantie, car on peut très bien se retrouver à la pointe de consommation d'hiver sans aucun souffle de vent.
« Le le 8 avril 1946, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et alors que la France doit débuter sa reconstruction, le général de Gaulle donne naissance à EDF . La production et le transport de l’électricité (comme du gaz) étaient jusque-là assurés par une multitude d’entreprises privées. »
On se rend compte aujourd’hui que la multitude crée plus de problèmes qu’elle prétend en régler. L’énergie étant à la base de tout ce qui se fait, il serait normal de privilégier une seule vision pour développer un ensemble de règles cohérentes, seules capables de résoudre tous les problèmes liés aux besoins. La technologie n’étant utile que lorsqu’elle permet une économie de moyens dans un ensemble mieux en accord avec la lutte contre les pollutions qui sont sources, elles, de dérèglements de toutes sortes
Aujourd’hui on dissocie transport et production ? C’est une imbécilité parce que ça multiplie les différents intervenants, donc forcément les visions, les coûts et les délais d’intervention ? De plus les bénéfices, disséminés dans cette chaine n’iront pas forcément vers les structures en ayant le plus besoin.
« Puis, la crise pétrolière arrive en 1973. La France fait alors le choix d’investir dans le nucléaire, afin d’assurer son indépendance électrique. »
Le choix du nucléaire, à l’époque, était le plus judicieux parce qu’en l’absence des renouvelables, il permettait une certaine indépendance énergétique. Aujourd’hui ce sont les Enr qui outre le fait d’être moins risquées, sont seules à pouvoir avec le stockage apporter cette indépendance sécuritaire sans laquelle on ne peut rien construire de solide.
« la CRE a répertorié 51 fournisseurs d’électricité actifs sur le territoire. Certains ont d’ailleurs fait faillite ou suspendu leurs activités récemment suite à l’explosion du prix du MWh. »
Rien de plus normal à ça quand on prétend vendre des renouvelables alors qu’on dépend des fossiles et que le fournisseur coupe robinet.
« On le voit, l’État reste donc très largement majoritaire au capital de l’entreprise. Mais comment se porte EDF aujourd’hui ? L’entreprise est endettée et sa filière nucléaire est en difficulté. »
Depuis cinquante ans l’entreprise rabâche qu’elle fournit l’énergie la moins chère du monde ? Evidemment quand on constate aujourd’hui dans quel état se trouve le parc, on comprend mieux pourquoi ! D’un autre côté les centrales pourraient encore être utiles si l’on se servait du temps qu’il leurs reste à fonctionner, pour transformer l’existant en Enr avec stockage ? Seulement pour ça il faudrait déjà mettre un peu moins d’argent dans les partis politiques et un peu plus dans les entreprises susceptibles de pouvoir faire ? Car c’est pas en organisant la concurrence productive avec le charbon des Chinois ou des Allemands qu’on y arrivera.
Vu le coût (à peine) caché du nucléaire aucun investisseur privé n'irait y mettre ses deniers, même avec la taxonomie forcée par Manu.
Le seul moyen de sortir de terre 14 EPR c'est de les faire payer au citoyen avec ses impôts.
Il y a d'ailleurs un très court article dans le Canard de la semaine qui touche le sujet de ce billet.