En pleine canicule, les coupures de courant se sont multipliées ces deniers jours en Californie. « La faute aux énergies renouvelables » se sont empressés de titrer de trop nombreux médias, pointant du doigt les parcs éoliens et les toitures solaires qui fleurissent dans l’Etat. Pourtant il s’agit de toute évidence d’une « fake news ». Faisons le point sur cette question.

Depuis quelques jours, la Californie est confrontée à une vague de chaleur sans précédent, avec des températures extrêmes dépassant les 50°C à plusieurs endroits. Une canicule qui, comme chaque année, provoque des incendies dramatiques. Plus de 560 foyers ont été allumés par la foudre et malgré les efforts de plus de 12.000 pompiers, les flammes continuent de se propager détruisant déjà plus de 500 maisons et bâtiments et ravageant 320.000 hectares de forêts depuis le début de l’épisode. Plus de 175.000 habitants ont été contraints de fuir.
Pour ne rien arranger, des centaines de milliers de californiens ont été confrontés, plusieurs soirs d’affilée, à des coupures de courant de 60 à 90 minutes. L’Etat n’avait plus connu de délestages de cette ampleur depuis l’année 2000 lorsque la dérégulation bâclée du marché californien de l’électricité et les tentatives de manipulation des prix par certains producteurs avaient donné lieu à des coupures répétées.

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La faute aux énergies renouvelables ?

A l’origine de ces malheurs, les canicules de plus en plus fréquentes qui sévissent non seulement dans l’Ouest américain, mais aussi chez nous. Aux États-Unis, en période de fortes chaleurs, les innombrables climatiseurs peuvent représenter 70 % de la consommation du secteur résidentiel, selon l’Agence internationale de l’énergie et provoquer des pénuries d’électricité. Or ces canicules sont clairement une conséquence des changements climatiques. La grande majorité des scientifiques n’ont aucun doute à ce sujet. Les émissions de gaz à effet de serre qui en sont la cause sont dues à la consommation effrénée des énergies fossiles dont nos sociétés se sont rendues responsables depuis des décennies et qui se poursuit à un rythme soutenu malgré les avertissements des scientifiques et les appels des protecteurs de l’environnement.

Pourtant, certains imputent la faute de ces blackouts aux énergies renouvelables et de nombreux médias s’empressent, sans trop se poser de questions, de relayer cette information pour le moins étrange.
« Quand trop d’énergies renouvelables privent la Californie d’électricité » ou « L’éolien et le solaire mis en cause » titrent plusieurs quotidiens français, parmi les plus réputés. Ils expliquent que les californiens ont investi « massivement dans les renouvelables ». « Principalement le solaire et l’éolien », disent-ils en ajoutant que le recours à ces énergies qualifiées d’intermittentes et non pilotables est un facteur aggravant les pénuries d’électricité.

Qu’en est-il exactement ? Il est vrai qu’en 2018 la part des énergies renouvelables dans la production électrique de la Californie était d’environ 43%. Mais les contributions de l’éolien (7,2%) et du solaire (14%) y sont encore relativement modestes par rapport à leur proportion dans le mix énergétique de nombreux pays comme par exemple l’Allemagne (où l’éolien et le solaire fournissent près de 30 % de l’électricité) et le Danemark (où l’éolien seul contribue pour plus de 50%). Pourtant ces deux pays qui sont, comme partout, affectés aussi par des canicules, ne connaissent aucun problème de black-out ou de délestage. Comme nous l’expliquions dans un article précédent, une étude européenne a même démontré que leurs réseaux figurait tout en haut du classement des réseaux européens les plus stables et les plus résilients.

En Californie, plus de la moitié de l’électricité verte est fournie par les centrales hydroélectriques (13,4%), la géothermie (5,9%) et la biomasse (3%) ; des productions qui ne sont pas soumises aux aléas de la météo et sont tout aussi « pilotables » que celles des centrales nucléaires et thermiques. Ces dernières produisent d’ailleurs environ 56% de l’électricité de l’Etat : 9,4% pour la centrale nucléaire de Diablo Canyon et 46,5 % par les centrales au gaz. Mais la Californie ne produit pas assez d’électricité pour satisfaire aux besoins de ses habitants et de ses entreprises : elle en importe 25% pas ses interconnexions avec les Etats voisins[1]

Pénurie soudaine d’électricité

Que s’est-il donc réellement passé le vendredi 14 août vers 16 heures quand plusieurs producteurs privés comme Pacific Gas & Electric (PGE), la Southern California Edison et San Diego Gas & Electric ont soudainement et sans avertissement interrompu l’alimentation en courant de milliers d’abonnés ?

 Certains médias attribuent la pénurie soudaine d’électricité à une combinaison de facteurs : une hausse importante de la consommation, lorsqu’en rentrant chez eux après leur travail, les californiens ont mis leurs climatiseurs en route, mais aussi une baisse de la production des installations photovoltaïques en fin d’après-midi et des parcs éoliens confrontés à une chute du vent.


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Ces évènements n’étaient pas du tout imprévisibles. Dans la plupart des pays, les gestionnaires du réseau disposent de logiciels alimentés par les prévisions météo (aujourd’hui très fiables) et les habitudes de consommation. Ils peuvent ainsi prédire, plus de 24 heures à l’avance la production électrique qui sera nécessaire, quart d’heure par quart d’heure pour satisfaire à la demande. Sur base de ces données ils adressent leurs consignes aux différents producteurs qui savent donc, à l’avance, quand ils devront lancer leur centrale, monter en puissance ou au contraire la réduire. Si une baisse des productions éoliennes ou solaires est prévue, d’autres producteurs comme des centrales géothermiques, hydrauliques, à biomasse ou au gaz s’apprêteront à prendre le relais. Le cas échéant des installations de stockage d’électricité telles que des STEP ou des batteries géantes interviendront et injecteront leurs électrons dans le réseau. Si nécessaire, l’équilibrage de celui-ci peut être programmé par un accroissement des importations en provenance des réseaux voisins ou, éventuellement, par des accords passés avec des gros consommateurs industriels pour qu’ils réduisent à un moment déterminé leur demande en électricité : c’est ce que les professionnels du secteur appellent l’effacement.


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En conclusion, nous comprenons qu’un blackout n’est jamais occasionné par des événements prévisibles et progressifs comme la baisse de la production solaire en fin de journée, la réduction de puissance d’un parc éolien quand le vent tombe ou l’augmentation de la demande quand la canicule sévit.
Non, lorsqu’un réseau déclenche ou que des délestages sont subitement décidés, c’est qu’un incident imprévu survient, comme la panne d’une centrale, des lignes électriques détruites par une tempête ou d’autres défaillances soudaines du réseau.


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Alors, finalement pourquoi, sans crier gare, plusieurs producteurs californiens ont subitement, ce 14 août vers 16 heures, opéré des délestages et interrompu la fourniture d’électricité à plus de 3 millions de clients. Le Los Angeles Times nous apprend que les habitants de Los Angeles, la ville la plus peuplée de Californie et la plus équipée en panneaux solaires, n’ont pas été plongés dans le blackout. Ils sont alimentés par une régie municipale, le Los Angeles Department of Water and Power, et celle-ci a même pu exporter un excès de production électrique pour soulager les réseaux voisins. D’autres régies municipales en Californie n’ont pas connu de problèmes non plus.

Les véritables causes

En réalité, les véritables causes des délestages, nous pouvons les deviner à la lecture du New York Times, du San Diego Union-Tribune et d’autres journaux : une centrale au gaz qui devait démarrer pour faire face au classique pic de la demande quotidienne en fin de journée ne l’a pas fait. Une autre qui était en réserve et aurait alors dû prendre le relais ne s’est pas lancée non plus. C’est donc un déficit soudain de la production programmée d’électricité qui a nécessité les délestages pour éviter un déséquilibre du réseau et un blackout généralisé.

Les raisons de la mise hors service de ces deux centrales au gaz ne sont pas claires. Selon le Los Angeles Times, des responsables de California ISO, le gestionnaire du réseau, ont invoqué le fait que les centrales défaillantes étaient victimes de la canicule. C’est bien possible puisque nous savons que les centrales thermiques ont besoin de beaucoup d’eau pour alimenter leur circuit de refroidissement et qu’elles sont très sensibles à la sécheresse.
Pour sa part, Terrie Prosper porte-parole de la Commission de surveillance des services publics de Californie a expliqué qu’une enquête était en cours pour déterminer les causes des incidents. « La question que nous nous posons est de savoir pourquoi certaines centrales n’étaient pas disponibles » a-t-elle déclaré au Los Angeles Times.
Loretta Lynch, qui a été présidente de cette Commission pendant la crise énergétique du début des années 2000 en Californie, a déclaré que les délestages de cette semaine, les plus importants depuis cette époque, étaient à son avis le résultat des mêmes causes qu’il y a 20 ans, à savoir des opérations spéculatives sur le marché de l’électricité visant à organiser la pénurie pour faire monter les prix. On se rappelle en effet qu’au début du siècle, la dérégulation bâclée du marché californien de l’électricité avait alors rendu possible ce genre de malversations. Leur découverte avait notamment entraîné en 2001 la faillite retentissante de la compagnie Enron, laquelle était, à ce moment, l’un des plus importants énergéticiens américains. Plusieurs dirigeants de l’entreprise dont le PDG ont été condamné à des peines de prison.
Et de fait, le samedi 15 août, au lendemain des récents délestages, les prix de gros sur le marché californien de l’électricité ont grimpé en flèche, dépassant les 3.800 dollars par mégawattheure, soit environ 100 fois le coût normal.

Le gouverneur promet une enquête

Selon le New-York Times, des critiques fusent également à l’encontre du gestionnaire de réseau, California ISO et de son président, Steve Berberich. Mark Toney, représentant d’une organisation de consommateurs a demandé une enquête et reproché à M. Berberich de ne pas s’être suffisamment préparé à la canicule. Celui-ci se défend en déclarant avoir prévenu depuis longtemps que la Californie souffrait d’un manque de capacité de production électrique et que cela pouvait occasionner des problèmes en cas d’épisode caniculaire. « Malheureusement nous avons dû faire face à une chute de la production éolienne » a-t-il ajouté. Une défense peut crédible et un piètre argument. Comme nous l’avons vu, l’Etat ne dépend des parcs éoliens que pour 7% à peine de sa production d’électricité. En outre la chute du vent était prévisible.
L’état voisin du Texas, est celui qui compte le plus d’éoliennes aux Etats-Unis. S’il était un pays, le Texas figurerait au 5e rang des plus gros producteurs d’énergie éolienne de la planète. Ses turbines génèrent 6 fois plus d’électricités que celles de la Californie et leur part dans le mix électrique de l’Etat est au moins 2 fois plus importante. Pourtant, le Texas qui est l’Etat le plus méridional des USA et a subi les mêmes épisodes de canicule n’a connu aucun souci de délestage …

Selon le sénateur Jerry Hill qui dirige la commission sénatoriale de l’énergie, les problèmes ont été causés par la mise hors service inopinée d’une centrale au gaz. « Ce n’est pas normal », a-t-il dit. « Il y a quelque chose qui ne va pas et c’est au gouverneur et à notre assemblée de le découvrir ».
De son côté, Gavin Newsom, le gouverneur démocrate de Californie est furieux. « Les températures élevées étaient prévues depuis plusieurs jours », rappelle-t-il. « Ces coupures de courant, qui se sont produites sans préavis ni avertissement préalable sont inacceptables pour le plus grand et le plus innovant Etat du pays » a-t-il écrit dans une lettre envoyée aux 3 plus importants énergéticiens de Californie. Lui aussi a promis une enquête.

Poursuite de la transition vers 100% de renouvelables

A propos du mauvais procès fait aux énergies renouvelables, le Los Angeles Times rappelle que les experts ont validé la feuille de route californienne visant une proportion d’énergie renouvelable de 60% dans le mix électrique de l’état d’ici 2030 et de 100% en 2045. « Plusieurs études ont montré que l’exploitation d’un grand réseau électrique utilisant principalement des énergies renouvelables est techniquement possible et pourrait permettre d’économiser de l’argent car les énergies éoliennes et solaires sont devenues si bon marché », écrit le quotidien. Il rapporte notamment les propos de Mary Leslie, un membre du Comité de direction de California ISO : « Nous irons de l’avant avec un réseau sobre en carbone. Je pense que la direction est vraiment claire et que nous ne reculerons pas ».

Le soleil se lève sur la ferme photovoltaïque de 550 MW Desert Sunlight dans le désert de Mojave en Californie

Mais il est tout aussi certain que des investissements urgents sont nécessaires pour adapter l’approvisionnement électrique de la Californie. Les principaux énergéticiens de l’Etat ont reçu des commandes pour l’installation de plusieurs milliers de mégawatts de nouvelles capacités. La plupart d’entre elles, si pas toutes, seront des batteries lithium-ion géantes capables de stocker l’énergie solaire pendant la journée et de la restituer quand le soleil se couche. Ces systèmes ont notamment démontré de façon éclatante leur efficacité et leur rentabilité lorsqu’Elon Musk, le boss de Tesla, est venu au secours du réseau électrique défaillant de l’Etat d’Australie-Méridionale en réussissant à installer, en moins de 100 jours, ce qui était, à ce moment, la plus puissante batterie jamais construite. Une réussite qui a depuis lors incité les australiens à investir dans d’autres batteries de stockage encore plus importantes.


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La Californie suit cet exemple : la compagnie LS Power a récemment mis en service une première tranche de 62,5 MW de ce qui sera bientôt, avec 250 MW, la plus puissante batterie de la planète. Et pour alimenter ces systèmes de stockage, les californiens continueront à parier sur le soleil qui dans leur Etat est si généreux. Quatre des cinq plus grandes fermes solaires américaines sont déjà implantées en Californie et elles figurent dans le top vingt des plus puissantes du monde.

___________________________  Avis de l’auteur ____________________________

Comme vous l’avez bien compris, les coupures répétées de courant qui ont empoisonné la vie de nombreux ménages en Californie ne sont certainement pas dues à la proportion croissante des énergies renouvelables dans le mix énergétique de l’Etat. La part de l’éolien et du solaire en Californie est encore relativement modeste et beaucoup plus faible que celle d’autres pays qui ne connaissent pas de coupures et dont les réseaux sont considérés comme très stables et résilients.
Le développement rapide de ces énergies en remplacement des combustibles fossiles est au contraire nécessaire pour freiner au plus vite les changements climatiques. Ceux-ci sont la raison première des canicules de plus en plus fréquentes qui sont à l’origine des pénuries d’électricité mais aussi des incendies meurtriers qui ravagent cet Etat.

Le mauvais procès fait aux énergies renouvelables est donc une abominable « fake news ». Elle a été probablement lancée pour tirer un voile sur les défaillances de certains acteurs du secteur californien de l’énergie ou, plus grave, sur des opérations malhonnêtes visant à organiser la pénurie pour faire grimper les prix du marché. Les enquêtes promises nous apprendront peut-être la vérité.
En attendant, il est très regrettable que de nombreux médias parmi lesquels des organes de presse français dont on aurait pu espérer un peu plus de sérieux se soient empressés de relayer cette information erronée sans vérifier son fondement.


[1] Tous ces chiffres proviennent de Wikipedia