Après une mise sous cloche forcée, l’économie mondiale vivra probablement, tout comme au lendemain de la crise de 2008-2009, un rebond important dès la fin du confinement. La baisse des émissions de CO2 ne devrait être que de courte durée, et une « année blanche » n’empêchera pas les émissions de gaz à effet de serre de repartir vigoureusement à la hausse, peut-être encore plus fort. C’est ce qu’annoncent quasi tous les media.
La crise du coronavirus n’aura-t-elle donc aucun impact à long terme sur les émissions ? Plusieurs éléments permettent d’en douter…
Pour commencer, le taux de croissance en 2020 pourrait être plus bas que prévu. On ne parle plus d’un impact mineur sur la croissance mondiale. Partant d’une estimation de 3% pour 2020, l’arrivée du coronavirus a très vite amené les économistes à revoir leurs prévisions de croissance : 2,4% ou 2%, voire même 1,5%. L’Europe, elle, commence à parler de récession, c’est-à-dire de croissance négative…
Dans l’hypothèse où le confinement est levé après 6 semaines [estimation minimale actuelle], et que le ralentissement de l’économie n’aura été, finalement, que de courte durée, comment penser qu’un tel séisme ne laissera aucune cicatrice à plus long terme ? Car la pandémie du coronavirus n’a rien de commun avec la crise des subprimes de 2008.
En 2009, le monde a vu ses émissions de CO2 baisser de 1,3%[1], mais une partie de la réduction était liée à une augmentation du stockage terrestre et océanique de CO2 attribuée au phénomène La Niña, qui a perturbé le climat mondial entre 2007 et 2009.
Or, l’ampleur du séisme économique lié au coronavirus ne soutient pas la comparaison avec la crise financière de 2008. En 2020, le secteur du transport aérien est littéralement au bord du gouffre : Lufthansa immobilise 150 avions dès le 5 mars, le groupe Air France-KLM annonce le 16 mars qu’il suspend 90% de ses vols pendant deux mois, le 27 mars Ryanair laisse au sol 90% de ses appareils et EasyJet suspend l’intégralité de ses activités, le 31 mars, c’est l’aéroport d’Orly qui ferme ses portes pour une durée indéterminée, American Airlines suspend l’ensemble de sa flotte de gros porteurs, et Norwegian supprime 4.000 vols pour une durée de 15 jours. La Russie, ainsi que le Brésil et une douzaine de pays africains ont fermé leurs frontières aériennes, certains également leurs frontières maritimes et terrestres.
Autre « détail » éloquent : plusieurs centaines d’employés de Boeing ont été mis à la retraite anticipée.
On pourrait citer de nombreux autres exemples, sans oublier les dizaines de milliers d’employés qui ont été mis en chômage économique.
En Chine, on estime que pendant la crise, les émissions de CO2 ont été réduites de 200 millions de tonnes. Mais cette estimation date de début mars, à l’occasion de la publication des clichés de la Nasa révélant la baisse spectaculaire des émissions de dioxyde d’azote. Il faudra toutefois du temps avant que le secteur aérien et l’activité économique globale ne reprennent leur vitesse de croisière et ne retrouvent leurs couleurs d’antan.
Il semble évident que la crise du coronavirus, dont on estimait au départ qu’elle s’étalerait sur quelques semaines, aura des effets pendant longtemps. La sortie du confinement sera longue, et donc la reprise des émissions de CO2 plus progressive que prévue par certains. Comment raisonnablement penser que les impacts positifs sur l’environnement seront effacés par un effet de rebond ? Il sera difficile de faire voler deux fois plus d’avions qu’auparavant, et de produire deux fois plus de biens industriels.
De l’énergie très bon marché
La baisse du prix de l’énergie est un deuxième élément qui pourrait compromettre la reprise du « business as usual ». Le cours du Brent, qui naviguait tranquillement au-delà de 60 dollars en 2019, a chuté de plus de 50% et se retrouvait fin mars en-dessous de 30 dollars.
Si la faiblesse des prix du pétrole (et donc du gaz) peut a priori booster le pouvoir d’achat, le trou budgétaire que ce niveau de prix va créer au sein des pays exportateurs de pétrole et de gaz est énorme: tout le monde a encore en mémoire la crise du Vénézuela. Car la Russie, le Canada, l’Algérie, la Malaysie, sans oublier les Emirats Arabes, pourraient connaître de graves troubles budgétaires. Aux Etats-Unis, c’est le secteur du pétrole de fracking[2], déjà au bord de la banqueroute, qui pourrait voir se fermer à jamais les portes du crédit bancaire. Ce 1er avril, Whiting Petroleum Corp. l’un des plus grands producteurs de pétrole de schiste dans le bassin du Dakota du Nord a fait aveu de faillite. Le premier d’une longue liste ?
On le sait, chaque pays ne manquera pas d’élaborer des plans de relance économique pour stimuler l’industrie et le commerce, mais cela ne pourra se faire qu’au prix d’un endettement sans doute lourd et dangereux, qui pourrait mettre à mal la garantie d’une croissance sur le long terme.
Certes, les mesures pour activer la reprise risquent de faire bondir les émissions de CO2 à court terme, mais l’espoir existe que ce ne soit qu’un fétu de paille, et que la courbe de nos émissions mondiales de CO2 ne connaisse un tournant historique .
Une sortie de crise plus tardive que prévu
Nous avons découvert avec sidération que la Chine avait très probablement triché sur ses propres statistiques de mortalité du coronavirus : au lieu des 3.187 décès déclarés par la province de Hubei, des sources estiment qu’un chiffre allant de 50.000 à 80.000 morts en Chine serait plus réaliste.
Les frontières mettront du temps à se rouvrir complètement, sachant qu’en Europe l’épidémie n’a pas encore atteint son pic, que les Américains viennent à peine de découvrir son ampleur, et que le pire reste à craindre pour l’Inde et tout le continent africain ?
L’économie risque donc de connaître une série de soubresauts, oscillant
entre chute des marchés financiers et reprise de la confiance dopée par l’un ou
l’autre programme de relance économique.
Mais au final, l’impact sur l’activité économique mondiale pourrait se faire
ressentir dans les six mois voire dans l’année qui suit la fin de la crise.
Changement d’habitudes
Le changement des habitudes que la crise du coronavirus aura probablement induit chez bon nombre de citoyens nous fait également douter d’une reprise brutale des émissions. De nombreux employés auront découvert des aspects attrayants au confinement, et auront pris conscience qu’un autre mode de travail permet d’allier efficacité et qualité de vie : moins de stress et de temps perdu dans les embouteillages, plus de temps en famille pour discuter, cuisiner, faire du sport et redécouvrir la nature. Le télétravail se sera certainement installé dans l’esprit de nombreux salariés, mais aussi de cadres dirigeants, qui y verront gain en efficacité, en motivation, et réduction de coûts.
Au lendemain des manifestations pour le climat, qui ont tout de même rassemblé plusieurs millions de citoyens, comment penser que tout va reprendre son cours normal ? Nombreux sont les témoignages de citoyens confinés qui redécouvrent le chant des oiseaux, le silence dans la ville, le contact avec la nature et une vie plus équilibrée. Oui, il y aura certainement une soif de « rattraper » le confinement, de voyager, de consommer. Mais encore faudra-t-il avoir envie de replonger dans cette société de consommation à outrance dont on sait tous qu’elle ne peut que nous entraîner dans une spirale infernale.
Au-delà du chant des sirènes de la mondialisation, certaines voix en faveur
d’un recentrage vers une économie plus locale, plus durable, moins émettrice de
gaz à effet de serre, et garantissant notre sécurité d’approvisionnement,
semblent avoir un écho grandissant.
[1] Source : notre-planete.info
[2] Le fracking est la technique de fracturation hydraulique utilisée pour extraire le pétrole de roche mère appelé plus communément en français « pétrole de schiste ».
Merci Bruno pour cet article, il me semble qu’une coquille s’est glissée dans l’article, la baisse des émissions de CO2 en Chine est plutôt de l’ordre de 200 millions de tonnes de CO2(soit à peu près 0,6 % des émissions annuelles mondiales liées à l’énergie, qui s’élèvent à 33 Gt). On peut considérer que ce n’est qu’une petite partie de l’effet Covid sur les émissions de CO2 en 2020 et que la baisse mondiale va être historique… L’Europe voit en ce moment ces émissions plonger de plus de moitié (58%) selon Les Echos, c’est également le cas un peu partout… Lire plus »
Excellent commentaire. L’analogie est pertinente et montre bien comment l’esprit humain a une tendance naturelle à ne pas voir le danger qui arrive, jusqu’au moment où il devient directement palpable. La canicule de 2019 a éveillé les consciences, tout comme les premiers morts sur le territoire du covid 19.
« Nous avons découvert avec sidération que la Chine avait très probablement triché sur ses propres statistiques de mortalité du coronavirus : au lieu des 3.187 décès déclarés par la province de Hubei, des sources estiment qu’un chiffre allant de 50.000 à 80.000 morts en Chine serait plus réaliste. » et https://www.lemonde.fr/international/article/2020/04/06/il-ne-faut-pas-diffuser-cette-information-au-public-l-echec-du-systeme-de-detection-chinois_6035704_3210.html
cela permet de remettre en cause certaines certitudes.
Il a fallu attendre tout d’abord l’épisode italien puis le cas du rassemblement mulhousien pour comprendre l’ampleur du danger.
Donc résumons. « le premier cas identifié remonterait au 17 novembre » « Le 15 janvier, Li Qun, chef des urgences à la commission nationale de la santé, affirme à la télévision être « parvenu à la conclusion que le risque de transmission d’humain à humain est faible ». » « Dès lors, il n’y a aucune raison d’annuler le traditionnel banquet organisé à l’approche du Nouvel An lunaire, le 18 janvier à Wuhan, auquel participent 40 000 familles. Le même jour, une nouvelle équipe médicale envoyée par Pékin prend conscience de la tragédie en cours et conseille le confinement de la ville. Annoncé par… Lire plus »
Merci Seb pour cette très belle analyse. Je corrige la coquille immédiatement. D’après mes infos, il existe néanmoins un lien réel avec le réchauffement climatique : le virus se serait propagé par l’intermédiaire de cochons, dont l’élevage intensif a constitué un vecteur jusqu’à l’homme. On déboise à tour de bras pour développer l’élevage ou les cultures de soja et de maïs, provoquant ainsi le réchauffement climatique que l’on sait, et l’on crée en plus des bombes à retardement via des parcs à bétail qui confinent des milliers d’animaux d’une seule et même espèce. Retournons à l’agriculture paysanne, vite ! Ou… Lire plus »
Il devient nécessaire, à ce stade, d’indiquer la trajectoire proposée par la Stratégie Nationale Bas Carbone pour atteindre la neutralité carbone : – transport : 30 % (qui intègre le transport de personnes) soit 149 Mt en valeur absolue – à atteindre 4 soit une division par 40 environ, – agriculture : 19 % soit 94 Mt en valeur absolue – à atteindre 47 soit une division par 2 environ, – bâtiment : 19 % soit 94 Mt en valeur absolue – à atteindre 0, – industrie (hors énergie) : 18 % soit 89 Mt en valeur absolue – à… Lire plus »
Comment pouvez-vous affirmer ce type d’information sans citer vos sources (« D’après mes infos, il existe néanmoins un lien réel avec le réchauffement climatique : le virus se serait propagé par l’intermédiaire de cochons, dont l’élevage intensif a constitué un vecteur jusqu’à l’homme ») ?