Notre sous-sol peut stocker de grandes quantités de chaleur, pour une longue durée, et ce, à un coût très faible. Cela n’a pas échappé à la start-up AbSolar, qui a réalisé le premier démonstrateur de Stockage d’Énergie Souterrain (SES) en France. Focus sur cette technologie avec Hervé Lautrette, son CEO et co-fondateur.
Le principe du stockage d’énergie souterrain
Après plus de vingt ans d’expérience dans la géothermie, et notamment en tant que Geothermal Manager chez Burgeap, Hervé Lautrette fonde en mai 2020 la société AbSolar. Cette société girondine est la première en France à commercialiser un concept bien particulier : le stockage souterrain intersaisonnier de chaleur. Ce concept est souvent dénommé SETIS (pour Stockage d’Énergie Thermique Inter-Saisonnier Souterrain), ou en anglais UTES (pour Underground Thermal Energy Storage).
De quoi s’agit-il ? En géothermie classique, on cherche à récupérer la chaleur présente dans le sous-sol, par exemple, par la captation d’une nappe d’eau chaude souterraine. Ce procédé est très largement utilisé de par le monde, mais il présente une contrainte majeure : pour ne pas refroidir cette nappe, le prélèvement de chaleur doit être limité à sa capacité de renouvellement de chaleur, très dépendante des conditions locales. Ainsi, la géothermie est généralement considérée comme restreinte à des zones particulières, dont le sous-sol présente des caractéristiques favorables non seulement en termes de flux de chaleur géothermique, mais également de perméabilité du sol.
À lire aussi Comment cette cuve stocke de la chaleur renouvelable sur plusieurs mois ?Le concept de stockage souterrain SES, et notamment en boucle fermée, lève cette contrainte. Il s’agit de placer dans le sous-sol un réseau de chaleur qui va permettre de faire circuler un fluide caloporteur et dont le fonctionnement est réversible : il est possible d’injecter de la chaleur dans le sous-sol, lorsque cette chaleur est abondante, et de l’extraire plus tard pour s’en servir pour des applications résidentielles ou industrielles.
L’apport de chaleur peut être réalisé, par exemple, par une source renouvelable, comme un champ de capteurs solaires thermiques dont la productivité est maximale en été. Le stockage thermique souterrain devient alors un moyen de stockage de la chaleur entre l’été et l’hiver, autrement dit un stockage intersaisonnier. Comme l’indique Hervé Lautrette : « Les systèmes de stockage thermique souterrain permettent de s’affranchir des difficultés liées à l’intermittence de l’énergie solaire thermique. »
Il existe de nombreuses variantes de ce concept. Lorsque la circulation du fluide caloporteur est en boucle fermée et assurée par un réseau de forages dotés de sondes géothermiques, on parle de BTES, pour « Borehole Thermal Energy Storage ». C’est ce principe qui a été mis en œuvre par AbSolar pour son démonstrateur.
Le stockage thermique souterrain de Cadaujac
En tant que contractant général, AbSolar a livré en septembre 2021 une installation couplant un champ de capteurs solaires thermiques et un stockage d’énergie thermique souterrain. Cette installation a été construite à côté du Domaine le Moulin, un nouvel écoquartier de 67 logements situé dans la commune de Cadaujac en Gironde.
Le système de stockage souterrain est constitué de 60 forages de 30 m de profondeur, espacés de 2,5 m et disposés selon un réseau compact dessinant un cylindre. Les forages sont dotés de sondes géothermiques dans lequel circule le caloporteur. Un champ de capteurs solaires thermiques de 950 m² a été installé à proximité par la société finlandaise Savosolar. En été, ces panneaux alimentent le réseau de sondes avec une eau à 80-90° C. La chaleur est transférée au sous-sol et s’y accumule dans un volume de l’ordre de 10 000 m³.
À lire aussi Cette batterie thermique peut stocker de la chaleur jusqu’à 1 500 °CEn hiver, lorsqu’il est nécessaire d’extraire la chaleur, le sous-sol a gardé sa chaleur et chauffe le fluide qui circule dans son volume. Une pompe à chaleur complète l’installation pour apporter l’ultime complément nécessaire à assurer la totalité des besoins de chauffage et d’eau chaude sanitaire. La haute température de l’eau extraite du stockage souterrain permet à cette pompe à chaleur de fonctionner avec un excellent rendement (COP de l’ordre de 7). Un réseau de chaleur dessert ensuite les habitations.
L’investissement est de l’ordre de 2 millions d’€, et les sondes géothermiques sont prévues pour fonctionner pendant 50 ans. En pratique, l’installation permet à ses utilisateurs de diviser par 5 leur facture de chauffage, et ce, avec une source d’énergie locale et durable, à plus de 90 % renouvelable.
La réalisation de ce projet a permis de mettre à l’épreuve le concept de AbSolar (notion de « Proof of Concept » ), et de fiabiliser la technologie. Comme l’indique Hervé Lautrette, le projet de Cadaujac ne fut pas de tout repos : « nous avons dû faire en même temps la théorie et la pratique pour livrer ce projet à temps. » Depuis juin 2022, l’installation est complètement opérationnelle.
« Les performances énergétiques sont au rendez-vous et même supérieures à ce qui était escompté » s’enthousiasme Hervé Lautrette, en précisant que « ce projet de stockage d’énergie thermique souterrain est une première en France ». Cette première est reconnue par plusieurs organisations en France. Tout d’abord, par le pôle Avenia, basé à Pau, qui a suivi et soutenu le projet, et qui est en train de le labeliser. Par ailleurs, l’AFPG (Association française des professionnels de la géothermie) a élu le démonstrateur de Cadaujac vainqueur des Trophées de la géothermique lors du dernier salon de la filière en juin dernier à Aix-les-Bains.
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Le démonstrateur de Cadaujac s’intègre dans le concept d’AbSolar appelé C2SES, pour Centrale Solaire sur Stockage d’Énergie Souterrain. Ce concept est destiné à stocker jusqu’à 30 GWh/an, à haute température jusqu’à 150° C, et ce, à des profondeurs allant de 30 m à 1 000 m. Pour donner un ordre de grandeur, cette capacité de stockage correspond aux besoins de chauffage de l’équivalent de 3 000 foyers.
Mais la solution du stockage souterrain a l’avantage d’être polyvalente et peut s’appliquer à une palette de besoins. En particulier, AbSolar promeut également sa solution dite SESEF, pour Stockage d’Énergie Souterrain sur Énergie Fatale, destiné à valoriser la chaleur dite « fatale ».
Dans une monographie de 2017, l’ADEME définit la chaleur fatale de la façon suivante : « Lors du fonctionnement d’un procédé de production ou de transformation, l’énergie thermique produite grâce à l’énergie apportée n’est pas utilisée en totalité. Une partie de la chaleur est inévitablement rejetée. C’est en raison de ce caractère inéluctable qu’on parle de chaleur fatale, aussi couramment appelée chaleur perdue. Cependant, cette appellation est en partie erronée, car la chaleur fatale peut être récupérée. C’est seulement si elle n’est pas récupérée qu’elle est perdue. »
À lire aussi Ce projet veut stocker énormément de chaleur en été pour l’utiliser l’hiverDans ce même document, l’ADEME nous fournit le bilan d’une enquête nationale destinée à estimer le gisement d’énergie fatale :
On le voit, le gisement potentiel d’énergie sous forme de chaleur fatale est vertigineux. Le concept SESEF de AbSolar permet donc de stocker dans le sous-sol cette chaleur fatale, de façon à la valoriser en alimentant une large palette d’applications : chauffage résidentiel et tertiaire, intégration à une Boucle d’Eau Tempérée à Énergie Géothermique et Solaire (BETEG) pour les écoquartiers, ou encore le chauffage d’autres espaces, comme les serres et les espaces aquatiques. Le stockage de chaleur est en outre réalisé avec un coût très faible. Comme l’indique Hervé Lautrette : « sur notre projet démonstrateur, nous sommes à 0,04 €/kWh d’énergie extrait du sous-sol ou 40 €/MWh. »
Grâce à la variabilité de systèmes qui peuvent être couplés au SESEF, le système est capable d’assurer de la production d’eau surchauffée jusqu’à 130° C, de froid ou encore d’électricité. Point notable, la production d’électricité est réalisable avec des forages inférieurs au kilomètre, et donc sans qu’il soit nécessaire de creuser à plusieurs kilomètres pour trouver le niveau de température nécessaire.
Hervé Lautrette résume les résultats de leurs efforts de R&D : « avec ces techniques de forage pour constituer des batteries thermiques souterraines, ce dont on se rend compte, c’est qu’on s’affranchit des contraintes du potentiel de la ressource géothermique, et le champ des possibles devient infini ! ». AbSolar a d’autres développements technologiques en cours, aujourd’hui confidentiels, mais qui pourraient se concrétiser très prochainement.
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Un premier projet similaire avait été réalisé en 2007 dans l’écoquartier de Drake Landing, dans l’Alberta au Canada. Depuis, l’intérêt pour la solution grandit peu à peu. On relèvera notamment le projet européen Heatstore, qui réunit 23 partenaires issus de 9 pays, et financé par le fonds Geothermica.
Toutefois, la technologie n’est pas encore très connue. En particulier, comme le relève Hervé Lautrette : « la technologie des SES HT demeure encore trop confidentielle en France et a réellement besoin d’un « coup de projecteur » et de soutiens de la part des institutions et de ses représentants. Par exemple, les SES HT ne sont toujours pas référencés en tant que solutions de Géothermie soutenues par le fonds Chaleur de l’Ademe. ». Nul doute que la publication de la feuille de route jusqu’à 2050 du projet Heatstore aidera à mieux faire connaître son potentiel.
Dernière minute : une excellente nouvelle est arrivée au moment de la clôture de cet article. À la demande d’Avenia, François Bayrou, Haut-Commissaire au Plan et personnalité bien connue du Sud-Ouest, viendra inaugurer le démonstrateur de AbSolar à Cadaujac. Nous laisserons le mot de la fin à Hervé Lautrette : « c’est le début d’une nouvelle et longue histoire pour la filière géothermique ! Avec ce coup de projecteur, il y aura un avant et un après pour AbSolar et le stockage d’énergie souterrain haute température. »
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Si elle était couplé à une autre source de chaleur fatale, la chaleur des centrales nucléaires, ça pourrait faire un malheur !
Bonjour, Merci Laurent G. pour cet article fort intéressant et prometteur. Bravo à Hervé Lautrette pour cette innovation et AbSolar opérationel depuis juin 22 ! Bravo ! Premiers REX grandeur nature bientôt comptabilisables et diffusables. Source actuelle: « Un champ de capteurs solaires thermiques de 950 m² a été installé à proximité par la société finlandaise Savosolar. En été, ces panneaux alimentent le réseau de sondes avec une eau à 80-90° C » Pour constituer une réserve plus chaude donc plus riche, des sources complémentaires type « Ecotech-Ceram » pourraient être adjoints au champ de capteurs solaires thermiques. Je souhaite que ce bel exemple fasse école… Lire plus »
Bravo AbSolar
Merci Laurent pour tes explications et ton expertise
Il faudrait envisager un système similaire pour l habitat individuel
Au plaisir de te lire
Stéphane Chapelle Lyon
Article très intéressant merci.
Est-il possible d’utiliser ce genre de technologie avec des panneaux hybrides (photovoltaïque et thermique, comme les dualsun par exemple)?
Le rendement est plus faible peut être?
Bonne journée,
Revanix
Merci pour cet article. Ça semble très prometteur.
Super cet article ! Merci beaucoup de nous faire découvrir ce nouvel acteur du stockage de chaleur à long terme ! À quand un reportage vidéo sur le site de leur démonstrateur 😉 ? Celui sur le stockage court terme du solaire thermique de Narbonne était vraiment très intéressant.
Tout à fait intéressant ! Merci Mr Gauthier !
Cela n’a t-il pas pour effet de réchauffer la nappe phréatique ? Qu’en est-il de l’eau des puits environnants ? L’eau deviendrait inutilisable il me semble. L’article n’en parle pas.
Bonjour Stéphane Saint-Pierre,
La sol est très faiblement conducteur de la chaleur, et de ne diffuse pas sur une grande distance. Il faut toutefois que la zone où la chaleur est stockée n’ait pas d’infiltration d’eau, ou tout du moins à très faible vitesse, sinon, en effet, une part de la chaleur sera dissipée dans l’eau circulant dans le sol. Pour les projets à plus grande échelle, le stockage est prévu par AbSolar à plus grande profondeur (de l’ordre de 1000 m)