Le pays se trouve à 19 000 km de la France. Pourtant, la Nouvelle-Zélande pourrait bien inspirer l’hexagone avec son vaste programme de développement du stockage d’électricité par pompage-turbinage (STEP). 20 fois moins peuplé, l’état insulaire prévoit de construire une centrale 27 fois plus puissante que l’ensemble des 6 STEP françaises. Décoiffant.
Pour satisfaire ses besoins énergétiques, la Nouvelle-Zélande repose fortement sur l’hydroélectricité. Ainsi, en 2019, l’énergie hydraulique représente 57 % de sa production annuelle de 45 TWh. Conjuguée aux ressources géothermiques de l’Île du Nord, elle permet au pays de se placer très favorablement sur les énergies renouvelables : en 2017, elle était classée 4ᵉ parmi les pays de l’OCDE, derrière l’Islande, la Norvège et la Suède.
En 2016, année favorable à la production hydraulique, 84,8 % de l’électricité était produite par des ressources renouvelables. Pour se prémunir des aléas météorologiques, la Nouvelle-Zélande a fait progresser dernièrement un projet d’immense station de transfert d’énergie par pompage-turbinage (STEP) qui sera capable de stocker 5 TWh d’électricité.
Les « années sèches »
La Nouvelle-Zélande bénéficie d’un climat très favorable à l’hydroélectricité, notamment dans son Île du Sud. Les précipitations y sont abondantes, entre un minimum de l’ordre de 600 mm/an à l’est des Alpes du Sud et 1 600 mm/an à l’ouest de cette chaîne de montage qui coupe l’île en deux. Ces précipitations y sont assez régulières au cours de l’année. En outre, la présence de ces hautes montagnes, dont seize sommets dépassent les 3 000 mètres d’altitude, permet la formation d’importants stocks de neige, dont la fonte estivale est également très favorable à la régularité de la production hydroélectrique.
L’énergie hydraulique est toutefois soumise aux variabilités du climat. Ces variations ne sont que peu atténuées en pratique, du fait de la faible capacité de stockage des installations hydrauliques néozélandaises. De l’ordre de 4,5 TWh, elles ne représentent que 20 % de leur production d’électricité annuelle. Pour s’assurer une production régulière d’électricité, elles nécessitent un apport régulier de pluie et la fonte des neiges des Alpes du Sud.
À lire aussi Dans les entrailles d’une gigantesque usine de stockage d’électricitéAinsi, lorsque certaines années la sècheresse frappe dans l’Île du Sud, les installations hydroélectriques rencontrent des difficultés pour alimenter le réseau électrique à son niveau habituel. Pour assurer l’équilibre du réseau, la Nouvelle-Zélande utilise alors des centrales thermiques, lesquelles consomment principalement du gaz naturel. De ce fait, 30 % du gaz naturel consommé par l’archipel est destiné à compenser la variabilité de la source hydraulique, pour environ 17 TWh par an.
Les sècheresses sont d’autant plus problématiques qu’elles sont plus susceptibles de se produire au cours des mois les plus froids ; une partie des précipitations est en effet piégée sous forme de glace et de neige dans les montagnes. Ces périodes sèches coïncident donc avec une période de forte demande d’électricité, puisqu’il faut alors chauffer les bâtiments.
Ces années problématiques sont appelées par le gouvernement néozélandais les « dry years », autrement dit les « années sèches ». Ces années sèches ne sont pas prédictibles, et se produisent à une fréquence de l’ordre de deux fois par décennie ; les dernières années identifiées sont les années 1992, 2001, 2003, and 2008. L’analyse des chroniques de débits hydrauliques des 89 dernières années a montré que le déficit énergétique pouvait s’élever à des valeurs comprises entre 3 et 5 TWh lors des pires années, soit environ 10 % des besoins du mix électrique.
À lire aussi Ces projets pharaoniques de stockage d’électricité lancés par l’AustralieLe projet de STEP du lac Onslow
Ce constat a conduit le gouvernement de la Nouvelle-Zélande à lancer le projet « New Zealand Battery Project », sous l’égide du Ministry of Business, Innovation and Employment (MBIE). Le terme « battery » est ici à comprendre au sens (très) large, parce qu’il implique un portefeuille étendu de projets de natures très diverses : régulation de la demande, foisonnement renouvelable, alimentation des centrales thermiques par des combustibles biosourcés (principalement du bois), stockage hydrogène, et surtout le pompage-turbinage.
Pour mémoire, le pompage-turbinage, désigne une installation constituée de deux bassins d’eau situés à deux altitudes différentes, et reliées par un tunnel où se trouvent des turbines réversibles. Lorsqu’il est nécessaire de fournir de l’électricité au réseau, les turbines laissent passer l’eau du bassin supérieur vers le bassin inférieur, générant ainsi de l’électricité comme dans une installation hydroélectrique classique. Lorsque de l’électricité est disponible en surplus sur le réseau, ces turbines fonctionnent inversement en mode pompe, et remontent l’eau du bassin inférieur vers le bassin supérieur.
Cette eau sera ensuite disponible pour générer de l’électricité plus tard. Il s’agit donc d’un système de stockage de l’électricité, au fonctionnement très différent d’une batterie, mais ayant le même intérêt pour un réseau électrique. Concernant cette option, le site privilégié à ce jour est celui d’une extension de la retenue du lac Onslow par une station de transfert d’énergie par pompage (STEP). Ce lac est situé dans l’Île du Sud, dans la région d’Otago, à proximité de la ville de Roxburgh.
Les études sont réalisées par le consortium d’ingénierie Te Rōpū Matatau, mené par la société Mott MacDonald. La première phase de ces études s’est déroulée de décembre 2020 à décembre 2022, et vient de s’achever. Elle démontre la faisabilité d’une telle installation. Tout d’abord, l’espace est suffisant autour du lac Onslow, puisqu’il permet d’envisager de stocker une grande quantité d’eau en altitude : un stockage de 3 à 8,5 TWh est réalisable, et permet donc d’assurer le besoin de 5 TWh évoqué ci-dessus. Le terrain est par ailleurs capable de supporter le barrage nécessaire.
Les différentes options de tunnel permettent d’envisager jusqu’à six turbines de pompage-turbinage de 250 MW, pour une puissance totale de 1,5 GW. Le réseau électrique, géré par Transpower, comporte en outre des lignes à haute tension compatibles avec une telle installation. En ce qui concerne la source d’eau, la rivière Clutha/Mata Au constitue une source d’eau suffisante, et suffisamment basse, pour pouvoir être pompée. Plusieurs sites de prise d’eau inférieure sont envisageables en amont et en aval du barrage de la localité de Roxburgh.
À lire aussi Les 3 plus grands sites de stockage d’électricité du mondeIl est estimé que la construction et la mise en service dureront entre 7 et 9 ans. Le coût total du projet, estimé sur la base de ces études préliminaires, s’élève à 15,7 milliards de dollars de Nouvelle-Zélande, soit environ 9 milliards d’euros. Le coût unitaire de stockage est donc de l’ordre de 1,8 €/kWh. À titre de comparaison, l’une des plus grandes batteries du monde, le projet de Manattee en Floride, a une capacité de 900 MWh pour un coût d’investissement de 300 millions de dollars US, soit un coût unitaire de l’ordre de 300 €/kWh.
Le NZ Battery Project a dorénavant commencé sa phase 2, visant à établir les évaluations économiques détaillées. La décision finale d’investissement est aujourd’hui programmée pour fin 2024.
Quelles perspectives en France ?
Qu’en est-il des STEP en France ? La France dispose déjà de six installations principales de pompage-turbinage. La plus grande d’entre elles est le barrage de Grand’Maison, situé à 1 700 m d’altitude sur la commune de Vaujany en Isère. Ce barrage dispose d’une puissance installée de 1,8 GW pour une capacité de stockage estimée à 53,7 GWh, soit 93 fois moins que le projet néo-zélandais.
Globalement, les 6 STEP en France représentent une puissance cumulée d’environ 5 GW, lesquelles restituent 6 TWh/an. La capacité totale de stockage est donnée à 184 GWh. Dans un rapport de 2013 pour la Commission européenne, Marcos Gimerno-Gutierrez et ses collègues ont estimé que le potentiel réalisable en termes de capacité de stockage en France était de l’ordre de 5 TWh, c’est-à-dire équivalent au projet du lac Onslow en Nouvelle-Zélande.
À lire aussi Ce gigantesque projet de stockage d’électricité que la France a mis de côtéPourtant, le décret n° 2020-456 du 21 avril 2020 relatif à la programmation pluriannuelle de l’énergie fixe l’objectif suivant : « engager d’ici à 2028 des projets de stockage sous forme de stations de transfert d’électricité par pompage, en vue d’un développement de 1,5 GW de capacités entre 2030 et 2035. », lequel, non seulement ne fixe pas de capacité en quantité d’énergie, mais peut sembler assez limité par rapport au potentiel.
Les raisons en sont multiples et complexes. Le sujet des barrages est en effet pour l’opinion publique un sujet sensible. L’expérience du barrage de Sivens, ainsi que les protestations entourant les projets de méga-bassines, rendent peut-être difficile d’envisager en France les investissements lourds nécessaire à toute installation de pompage-turbinage. Dans ce contexte, les avancées du projet de STEP de 5 TWh en Nouvelle-Zélande, nous permettront d’en tirer les meilleurs enseignements pour de tels projets en France. Pour aller plus loin, le lecteur curieux pourra consulter le rapport du consortium Te Rōpū Matatau.
À lire aussi La Nouvelle-Zélande, futur paradis du véhicule électrique ?
C’est intéressant, cela dit pour qu’il y ait stockage par une STEP il faut un surplus d’énergie.
Chez nous, les STEP (et l’hydraulique en général) sont notamment complémentaire du Nucléaire puisque l’on utilise l’énergie qui continue d’être générée le temps qu’un réacteur s’arrête pour pomper l’eau. Le pompage étant évidement beaucoup plus énergivore que ce que fourni le turbinage. Du coup dans cet article il manque un peu leur stratégie globale, est-ce qu’il vont utiliser les pics en éolien pour faire le stockage quelle est l’idée exactement ?
Bonjour Jerome R
Merci pour votre remarque. Oui, le plan du gouvernement de Nouvelle-Zélande est bien de stocker dans cette STEP les surproductions de renouvelables éolien et solaire. Ils ne sont toutefois pas très dissert notamment sur la capacité de la retenue aval, et cela ne permet pas d’évaluer le potentiel de stockage par rapport aux renouvelables intermittents. On peut supposer que la retenue de 5 TWh est d’abord un moyen de réguler sur l’année le flux des cours d’eau, la STEP elle-même s’ajoutant à ce bénéfice.
@Jerome R, Avec les excès de PV en cours sur les Marchés électriques européens et amené à se répéter chaque année (pour au moins 6 mois/an), le modèle des STEP est largement viable… Sachant de plus que les puissances des ouvrages ne sont que des sommes de pompes/turbines mobilisables les unes après les autres donc graduellement (mais en quelques minutes…). De plus, l’inertie des machines tournantes hydrauliques est très « contributive » à la stabilité réseau… EDF étant en mauvaise passe financière, dépenser des investissements pour des « retours » sur 30 ans et plus, cela ne doit pas enchanter les « financiers » qui régentent… Lire plus »
L’hydraulique , par retenue ou au fil de l’eau ou par STEP , est une très bonne source de production électrique.
Mais comparer la Nouvelle-Zélande (268 800 km2 pour presque 5M d’habitants , 18 hab/km2) à la situation française ( 105 hab/km2) est-il pertinent ?
Oui, vous avez raison, le potentiel de l’hydraulique par habitant est plus élevé en Nouvelle-Zélande qu’en France du fait de la densité de population. Il en est de même pour les pays comme les pays de l’Europe du Nord, par exemple la Suède, ou encore le Canada. Il est toutefois instructif d’observer ces projets à l’étranger pour savoir comment mener au mieux de tels projets chez nous.
Il est en effet intéressant de s’inspirer de ce qui se fait ailleurs et qui fonctionne mais surtout ne jamais oublier que :
– Ce qui marche à un endroit ne marche pas forcément chez nous.
– Ce qui marche à petite échelle ne marche pas forcément à grande échelle.
Mais pourquoi tous les bons projets sont en dehors de l’hexagone? Le lobby nucléaire est il donc aussi puissant pour que toutes les initiatives soient étouffées dans l’œuf, à moins que la majorité du peuple « révolutionnaire » de France ait la BD de Blain Jancovovici en livre de chevet et une confiance absolue en l’atome..et ses retombées…
Ceci étant Il me semble difficile de comparer le barrage de Sivens et les méga-bassines. Le premier, je crois, voulait récolter l’eau de façon gravitaire, le second envisage allègrement de pomper l’eau des nappes phréatiques, mais je peux me tromper?
Mais pourquoi vouloir supprimer le nucléaire pour avoir des ENR?
Pourquoi opposer ces deux types d’énergies?
On ne pourrais pas simplement concilier les deux?
Au lieu de vouloir supprimer l’un des deux, autant les utiliser en synergie pour pouvoir supprimer définitivement le charbon et le gaz, et stabiliser notre production…
Et arrêtez de croire qu’EDF ne finance que le nucléaire…
Oui, les fonctions des deux types de barrage ne sont pas les mêmes. Les barrages ont néanmoins conduit historiquement en France à des oppositions, parfois musclées. Les barrages ont parfois été appelés « barrages électronucléaires » par certaines organisations écologistes, puisqu’ils servaient à la modulation de la production électrique en complément du parc de centrales nucléaires. Comme exemple vous avez l’opposition au barrage de Chambonchard dans les années 1990 : https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/creuse/barrage-chambonchard-notre-dame-landes-annees-1990-1404529.html
Merci Laurent pour ta réponse et surtout merci pour le lien et la triste fin du projet de barrage hydro (l’eau: C’est la vie!) de Chambonchard, résultat pitoyable obtenu par une minorité de pseudo benêts écolos qui préfèrent vivre dans des masures au fond d’une vallée humide où le soleil ne brille que de 10h30 à 15h30 plutôt que de vivre beaucoup plus haut au bord de l’eau (j’en rêve) avec une luminosité de 8h à 20h et des loisirs nautiques au sortir du jardin…Le pire, c’est que ces guignolos sont malheureusement de plus en plus nombreux chez les verts… Lire plus »
@Jean-Pierre Raffin, Sur votre point : » Dans le même genre le projet d’immense STEP en Corrèze stoppé par edf ??? » —> Oui et surtout NON ! La politique sur les concessions des barrages en France a empêché EDF d’aller de l’avant depuis 15 ans (Seul Romanche-gavet en Ouvrage hydraulique conséquent), de même que les prix de l’électricité dans les années 2010 (relativement faible avec en plus l’arrivée de Gaz russe additionnel par Nord Stream…). Le Gaz Fossile a plombé le modèle des STEP à la fin des années 80. La Mer du Nord « crachait » plein de Gaz en… Lire plus »
Ébouriffant ! Sinon, le gaz naturel, il est toujours fossile, en fait.
Le gaz naturel fossile est aujourd’hui la source la plus économique, mais des alternatives existent : biogaz, ou gaz de synthèse (méthanation)
Il s’agit de 1,8€/kWh et non MWh
Merci, nous avons rectifié la coquille.
Le coût unitaire de stockage est donc de l’ordre de 1,8 €/MWh
N’y aurait-il pas un problème d’unités ? Ne serait-ce pas plutôt 1,8€ / kWh
9 milliards d’euros = 9 000 000 000 €
5 TWh = 5 000 GWh = 5 000 000 MWh = 5 000 000 000 kWh
9 000 000 000 / 5 000 000 = 1 800 € / MWh
9 000 000 000 / 5 000 000 000 = 1,8€ / kWh
1800€ le MWh, c’est littéralement ruineux ! Les francais ne pourront jamais se payer de l’électricité à un cout aussi faramineux. Solution inapplicable chez nous.
Il s’agit du coût d’investissement par MWh stocké, et donc pour un seul cycle de charge/décharge. Pour illustrer, si l’on fait amortit l’installation sur 10 ans, avec un cycle de stockage/déstockage annuel, cela ramène le coût de l’ordre de 180 €/MWh stockés, plus proches des tarifs habituels (hors frais d’exploitation, bien sûr). La STEP aura une durée de vie très nettement supérieure à 10 ans. Le prix du stockage n’est donc pas si déraisonnable
Oui, vous avez raison, il s’agit d’une coquille dans l’unité, en €/kWh pour comparer avec le coût du stockage par batterie, avec toutes mes excuses