Sur Twitter et Instagram, plusieurs comptes scrutent les déplacements en jets de personnalités ultra-riches. Si certains se contentent de relayer la position de leurs aéronefs sans revendication particulière, d’autres dénoncent l’impact environnemental de la pratique.
Il était temps. L’aviation d’affaires est enfin pointée du doigt pour ses émissions de gaz à effet de serre. Alors que seul le trafic aérien régulier subissait jusqu’ici la vindicte populaire, les jets privés sont désormais sous le feu des projecteurs. Depuis le lancement de sites permettant d’observer la position des avions en temps réel comme Flightradar24 et ADS-B Exchange, impossible de décoller en catimini. La quasi-totalité des mouvements aériens civils peuvent être scrutés, quasiment partout sur terre.
Il suffit donc de renseigner l’immatriculation d’un aéronef pour connaître l’ensemble de ses trajets. Si la plupart des clients de jets privés passent par des compagnies et ne peuvent donc pas être identifiés, certains milliardaires possèdent leur propre appareil. Du pain béni pour les comptes Twitter et Instagram qui ont fait de la surveillance de jets de milliardaires leur spécialité.
À lire aussi Pollution du transport aérien : et si l’on se trompait de cible ?Le jet privé d’Elon Musk
L’un des plus connu, baptisé « ElonJet » sur Twitter, suit à la trace l’avion privé d’Elon Musk. Depuis juin 2020, le patron de Tesla et SpaceX ne peut plus se déplacer discrètement par les airs. À chaque mouvement, un tweet automatique décrit les caractéristiques du vol : aéroport de départ et d’arrivée, temps de vol, altitude, vitesse, etc… Une forme d’intrusion dans la vie privée que n’a pas apprécié le principal intéressé.
Landed in Austin, Texas, US. Apx. flt. time 2 Hours : 23 Mins. pic.twitter.com/Lt9QkoCedU
— ElonJet (@ElonJet) July 5, 2022
En février 2022, le milliardaire propose 5 000 dollars à Jack Sweeney, le créateur du compte, afin qu’il cesse sa surveillance pourtant tout à fait légale. Le jeune homme décline, préférant une Tesla Model 3 et un stage chez SpaceX ou Tesla. Sa demande reste sans réponse et Elon Musk finit par le « bloquer ».
Depuis, Jack Sweeney a ouvert d’autres comptes diffusant la position du jet du patron de Facebook Mark Zuckerberg mais également de la flotte privée d’officiels russes. Si le jeune geek de 19 ans n’a jamais vraiment expliqué ce qui motive son initiative, ce n’est pas le cas de certains profils. Sur Instagram, « L’avion de Bernard » traque le jet privé de Bernard Arnault, patron de LVMH et première fortune de France, dans le but de dénoncer son impact carbone.
À lire aussi Des carburants pour voler « vert »Le jet privé de Bernard Arnault
« Ce compte a pour objectif de rendre visible le mode de vie polluant des plus riches » revendiquent les créateurs anonymes. « Nous suivons l’avion, pas Bernard » expliquent-ils, en précisant que l’appareil est la propriété de LVMH mais pas du milliardaire. Une carte de chaque trajet est publié, ainsi qu’une estimation des émissions de CO2 liées. Le Paris-Nice, visiblement très apprécié par Bernard Arnault et/ou ses collaborateurs, rejette par exemple 3,2 tonnes de dioxyde de carbone.
Le compte Instagram publie également un récapitulatif mensuel indiquant le nombre de vols effectués par le jet, la durée totale des trajets et le quantité de CO2 émise. À l’occasion de l’appel à la sobriété lancé par les dirigeants de TotalEnergies, EDF et Engie, « L’avion de Bernard » s’est aussi penché sur les jets détenus par TotalEnergies. On apprend alors qu’en juin 2022, un de ces appareils a effectué 15 vols pour environ 68 tonnes de kérosène consommés et 215 tonnes de CO2 rejetés.
À lire aussi Tourisme spatial : ces hypers riches consomment en 10 minutes autant d’énergie qu’un milliard d’humains en une vie
Voir cette publication sur Instagram
À quel point l’aviation privée pollue ?
L’aviation d’affaires rejette 400 000 tonnes de CO2 chaque année en Europe selon l’ONG The Shift Project. Si ce volume n’est pas colossal par rapport à d’autres industries -il représente 2% des émissions globales du transport aérien européen-, il est bien trop élevé au regard du faible nombre de passagers transportés. D’après Transport & Environment, une autre ONG, l’impact carbone d’un jet privé est de 1 300 g de CO2 par kilomètre et par passager, là où un avion commercial moyen affiche 128 g de CO2/km/passager.
Infographies : Transport & Environment
Ces chiffres mettent en lumière le mode de vie individuellement très polluant des ultra-riches. À des années-lumière des recommandations habituelles sur la sobriété énergétique, milliardaires et autres multimillionnaires n’hésitent pas à sauter dans leur jet au moindre déplacement. Ainsi, 60% des vols privés s’effectuent sur une distance inférieure à 600 km en Europe, sur des trajets pourtant couverts par des lignes aériennes et ferroviaires régulières. Pire, 41% des mouvements de jets s’effectuent à vide, souvent pour des raisons logistiques. Lorsqu’ils ne le sont pas, ces avions transportent en moyenne 4,7 passagers.
À lire aussi L’avion à hydrogène est une chimère ! À lire aussi Avec la batterie lithium-soufre, l’avion électrique n’est plus une utopie
La « dénonciation » tient de la naïveté (vraie ou feinte). Rien que pour le dernier Forum de Davos, on a dénombré 1.200 vols des dirigeants et oligarques mondialistes.
La question n’est pas, à mon avis, qu’ils soient de vilains égoïstes. C’est pire: ils ne croient tout simplement pas en ce qu’ils prêchent; la preuve: la délocalisation toujours croissante de l’économie au profit de traités commerciaux de libre échange avec les quatre coins du monde. Et cela, oui, est beaucoup plus polluants encore (mais qui le dénonce?)
Si si, on dénonce bien les traités de libre-échange. Mais traquer les jets des grands groupes peut finalement leur faire prendre conscience que si les traités de libre échange étaient moins nombreux et leur décarbonation industrielle plus active, ils pollueraient peut être moins, et on leur foutrait la paix. Un pari à tiroirs…