En remportant l’appel d’offres AO5, portant sur la construction d’un parc éolien flottant de 250 MW au large de la Bretagne, le projet Pennavel vient de se lancer dans une course contre-la-montre de plusieurs années qui devrait aboutir avec la mise en service du parc à l’horizon 2031. Aldrik de Fombelle, directeur du projet Pennavel, nous en dit plus sur le déroulé de ce projet hors norme, qui devrait tracer les contours de la filière industrielle de l’éolien flottant en France.

Le projet de parc éolien flottant Bretagne Sud concentre de nombreux espoirs pour la décarbonation du mix électrique de la France. Si tout se passe bien, il devrait, en effet, ouvrir la voie à une industrialisation de la filière, permettant ainsi le développement de vastes parcs éoliens plus performants et plus productifs que leurs homologues offshore posés ou terrestres. Récemment attribué à la société Pennavel, constitué des entreprises BayWa.r.e. et Elicio, ce projet suscite des interrogations, notamment du fait de son caractère novateur. Pour en savoir plus, nous avons échangé avec Aldrik de Fombelle, Directeur du projet Pennavel.

Un parc de 230 à 270 MW au large de Belle-Île-en-Mer

Issu de l’appel d’offres AO5, le parc Bretagne Sud est un projet de parc éolien flottant situé à une vingtaine de kilomètres de « la bien nommée », et à une trentaine de kilomètres des côtes. Il comportera un maximum de 13 éoliennes pour une puissance totale située entre 230 et 270 MW. Il devrait, à terme, être complété par un second parc attenant, d’une puissance de 500 MW, qui sera l’objet d’un nouvel appel d’offre, l’AO9.

Un projet sur le temps long

Si le projet vient d’être attribué à Pennavel, les éoliennes sont encore loin de tourner, au large des côtes bretonnes. Entre études environnementales et préparation du chantier, la route est encore longue avant la construction du parc qui devrait commencer en 2029. Aldrik de Fombelle explique : « Le chemin critique du projet est dicté par les autorisations administratives dont nous prévoyons de déposer les dossiers à l’automne 2025. Pour ce faire, nous avons à mener un travail rigoureux d’évaluation environnementale, de caractérisation des mesures ERC (Éviter, Réduire, Compenser), et de concertation avec, entre autres, les organisations environnementales, les services de l’État et les comités des pêches ». Une fois les dossiers déposés, les services de l’État procéderont à leurs instructions, une étape qui devrait durer environ un an et demi, pour se terminer par l’obtention des autorisations vers la mi-2027. « À partir de ce moment, il se peut que des recours juridiques soient déposés, nous obligeant à attendre qu’un jugement définitif soit prononcé. Considérant la jurisprudence, nous estimons que cela pourrait durer 18 à 24 mois. Ainsi, la phase de construction du projet pourrait commencer en 2029. Après un peu plus de deux ans de phase travaux, la mise en service du projet interviendrait à l’horizon 2031 ».

En parallèle de ce calendrier « administratif », les tâches sont nombreuses avant d’arriver au début de la construction du parc. De nombreuses études de conception et d’ingénierie des flotteurs et des éoliennes auront lieu pour aboutir aux choix techniques définitifs. « On a un effet d’entonnoir. Aujourd’hui, on est au début de l’entonnoir, donc on discute avec tout le monde et on essaie de se faire une idée du marché. On va par exemple discuter avec des fournisseurs de technologie qui avaient des accords d’exclusivité pendant la phase d’appel d’offres avec nos concurrents, mais qui sont maintenant libres de toute obligation ».

« nous nous sommes engagés à ne pas implanter plus de 13 éoliennes »

Les éoliennes de très grande puissance, un sacré pari technologique

Ces discussions sont d’ailleurs indispensables pour déterminer la technologie de flotteur qui sera adopté pour le parc. En effet, en réponse à l’appel d’offres, les développeurs proposent des hypothèses techniques qui vont être amenées à évoluer dans le futur, laissant une certaine marge de manœuvre au futur lauréat du projet. Aldrik de Fombelle ajoute : « Cette flexibilité est octroyée par les autorisations administratives, permettant au projet de bénéficier des dernières avancées technologiques disponibles au moment où la phase de construction commencera effectivement. Ainsi, dans nos dossiers administratifs, nous n’allons pas décrire une technologie ou une éolienne spécifique, mais plutôt des fourchettes avec un seuil minimum et un seuil maximum que l’on s’engage à respecter. Par exemple, pour le projet Bretagne Sud, nous nous sommes engagés à ne pas implanter plus de 13 éoliennes ». Du fait de la durée d’instruction des projets, cette flexibilité est essentielle pour permettre la mise en œuvre d’un projet viable, en phase avec les technologies disponibles au moment de la construction du parc.

De ce fait, les candidats de l’appel d’offre AO5 ont tous proposé des éoliennes qui ne sont pas disponibles à la vente aujourd’hui, anticipant ainsi les développements prévus dans les années à venir. Selon le rapport d’évaluation des offres AO5 de la CRE, on constate que tous les développeurs ont proposé des turbines d’au moins 21 MW dans leur offre. Pour son cas de référence, Pennavel a fait le choix de proposer des turbines d’une puissance de 23,3 MW. Selon son directeur, cette puissance a été déterminée grâce à l’expérience des équipes du consortium et d’experts indépendants, ainsi que « des discussions régulières avec les fabricants de turbines européens ». L’un des deux porteurs du projet, à savoir Elicio, exploite notamment plus d’un gigawatt d’éolien offshore en mer du Nord belge, des parcs équipés d’éoliennes Vestas et Siemens Gamesa. Elicio et BayWa r.e. sont également actionnaires de Buchan Offshore Wind, un projet éolien flottant de 1 GW au large de l’Écosse, pour lequel les discussions avec les turbiniers ont déjà commencé.

« on est persuadés que les européens seront à la hauteur »

Le choix de turbines d’une telle puissance peut surprendre, car des signaux récents de la part des fournisseurs européens tendent à faire penser que les développements futurs ne seraient plus aussi ambitieux que prévus. Pour sa prochaine turbine, General Electric travaillait sur un modèle de 18 MW, mais a finalement décidé de présenter un modèle de seulement 15,5 MW. Au contraire, la Chine, elle, continue de développer des modèles toujours plus puissants, à l’image du prototype OceanX qui développe 16,6 MW de puissance ou encore de la turbine de 18 MW de Dongfang Electric. L’Empire du Milieu commence d’ailleurs une incursion sur le territoire européen et devrait fournir des éoliennes offshore pour le parc allemand Waterkant. Malgré ce signal, chez Pennavel, on reste confiant. « Nous on est persuadés que les européens seront à la hauteur. Sur le long terme, à l’horizon du projet, ils vont le pouvoir non-seulement grâce à leur travail interne, mais aussi grâce à des supports au niveau de la Communauté européenne pour empêcher d’avoir de la concurrence déloyale avec les turbiniers chinois, ce qu’on n’a pas vu sur les panneaux photovoltaïques. On va le voir arriver avec de la protection, ce qui va permettre aux fournisseurs européens de pouvoir investir sereinement ».

Pour l’heure, pas question de choisir, le projet n’étant pas encore assez avancé. « À partir de 2027, on aura une shortlist de turbiniers avec lesquels on va travailler sur les deux dernières années. En réalité, il ne s’agit pas que de la turbine, il s’agit aussi des conditions contractuelles, parce que quand on achète une turbine, on signe en même temps le contrat d’achat et le contrat de maintenance. On a besoin de voir l’ensemble du contrat de fourniture et de service pour pouvoir se dire quelle est l’offre la plus intéressante d’un point de vue technique et financier ».

La fabrication des flotteurs, une histoire d’infrastructures

Outre le choix des turbines, la conception et la construction des flotteurs des éoliennes représentent un défi colossal pour une filière qui en est encore à ses débuts. En France, on ne compte qu’une poignée d’éoliennes flottantes, seuls trois projets pilotes sont en cours de construction, dont le parc Provence Grand Large qui devrait être inauguré en septembre 2024.

Si, dans son offre, Pennavel a pris pour référence un flotteur semi-submersible en béton, les autres technologies seront aussi évaluées avant de faire un choix définitif, y compris des solutions acier. « Le rapport de la CRE indique que deux candidats se sont basés sur des flotteurs béton et quatre sur des flotteurs acier, ce qui démontre une forme d’équilibre entre les deux solutions ». Le développement des flotteurs va nécessiter du temps, car à l’heure actuelle, il n’y a que des projets de test et de démonstration. Certains groupes, ayant de l’expérience dans les plateformes offshore utilisées pour l’extraction du pétrole et du gaz, proposent également des technologies sans même avoir développé de prototype. Les prochaines années vont ainsi permettre d’affiner les technologies actuelles tout en considérant les conditions du site, de la houle, des vagues et du vent de la zone.

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Outre la conception des flotteurs, leur construction représente un défi à elle toute seule. Aldrik de Fombelle explique : «Le grand défi des flotteurs, c’est leur fabrication, parce que ce sont de gros bébés. Un flotteur semi-submersible, c’est à peu près 100 mètres de côté, ça peut faire une quinzaine ou une vingtaine de mètres de haut. Pour ça, on a besoin d’avoir une chaîne industrielle capable de fabriquer ces flotteurs, ainsi que des infrastructures portuaires permettant leur mise à l’eau ». Il ajoute : « Ce sont des sujets importants que l’on discute avec les ports, et notamment les ports de Brest et de Saint Nazaire. Ils ont des infrastructures qui ne permettent pas encore, ou que partiellement, ce type d’opération, mais qui ont des plans de développement et d’investissement importants dans les années à venir. La mutation des ports est un enjeu majeur et les EMR et en particulier l’éolien flottant sont des filières d’avenir. Elles vont permettre de créer de la valeur et des emplois de manière massive partout en Europe et en particulier en France ».

En Bretagne, la région a confirmé un investissement de 900 millions d’euros sur le port de Brest pour les quarante prochaines années, dont 500 millions d’euros sur les dix prochaines années. Ces investissements devraient ainsi permettre le développement de l’éolien en France, mais pas que. les projets se multiplient en Europe, et en particulier au large du Royaume-Uni. La Bretagne pourrait ainsi participer à ce type de projet au-delà des frontières françaises.

Un tarif en cohérence avec les particularités du projet

Avec un tarif de 86,45 €/MWh, l’offre du projet Pennavel a fait réagir. En effet, la maîtrise d’ouvrage du projet envisageait plutôt un tarif proche de 120 €/MWh, tandis que le plafond de l’appel d’offres était fixé à 140 €/MWh. Lors de l’analyse des offres, la CRE avait lancé une procédure relative aux offres comportant un tarif sous-évalué, demandant ainsi des explications supplémentaires sur la manière de fixer ce tarif. Selon Aldrik de Fombelle, ces questions supplémentaires ont été bien perçues du côté de Pennavel. « Recevoir cette demande de la CRE était un signal très positif pour nous, cela vous dire que nous étions en tête de peloton ! En fait, quand vous regardez les rapports de la CRE des appels d’offres précédents, à chaque fois le nom du gagnant se trouve dans la liste de ceux qui ont été consultés pour tarif sous-évalué, qui porte peut-être mal son nom. Mais en tout cas, ça veut dire que la CRE a voulu tester la solidité de notre offre, notre capacité à rebondir et à nous adapter si des hypothèses venaient à ne pas voir le jour comme initialement prévu ».

On est donc bien loin des 240 €/MWh fixés pour les trois projets pilotes en cours de développement en Méditerranée, alors même que ces projets connaissent justement d’importantes difficultés financières. Mais plusieurs paramètres expliquent cette différence de prix. D’abord, lors de l’attribution des projets pilotes, le prix n’était pas indexé, et avait été fixé juste avant la crise COVID. Or, le Covid et la guerre en Ukraine ont grandement participé à une explosion du prix des matières premières. À cette différence s’ajoute l’absence de visibilité sur le futur de la filière qui entraînait une part de risque importante.

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Aujourd’hui, c’est différent. Les appels d’offres s’enchaînent en France (AO9 et AO10) et en Europe. Ainsi, le projet Bretagne Sud se situe comme un premier de série. « Nous inaugurons une filière industrielle de grande échelle, voulue et soutenue non seulement en France mais aussi chez tous nos voisins européens ». De plus, le tarif au MWh de Pennavel est indexé à partir de la remise de l’offre, ce qui apporte une grande sécurité au développeur, et pendant toute la durée de vie du parc.

Par rapport aux autres projets européens, Pennavel bénéficie d’une autre différence de taille : le raccordement au réseau électrique n’est pas du ressort du développeur mais de RTE. Or, comme le dit Aldrik de Fombelle, « D’un point de vue gestion des risques techniques, les ouvrages les plus critiques d’un parc éolien en mer pris dans son ensemble sont la sous-station électrique en mer et les câbles exports : si vous avez un dommage sur l’un des câbles exports, vous ne pouvez plus acheminer votre électricité à terre, ce qui représente immédiatement un manque à gagner énorme, alors que si un câble d’éolienne est endommagé, vous pouvez toujours produire avec les autres éoliennes ». De ce fait, le raccordement augmente très nettement le profil de risque du projet, ce qui a nécessairement des répercussions sur le tarif final au MWh.